Le terrorisme et la violence de masse soulèvent les passions, l’incompréhension, la peur et encouragent bien souvent les citoyens les plus pacifiques à réclamer des actions drastiques et violentes de la part de leurs gouvernements.
Le jour du 11 septembre 2001 a été d’une rare violence, à la fois réelle et symbolique. Les années qui ont suivi ont vu la majorité des américains soutenir sinon réclamer des mesures de contre-agression, de contre-attaque, dont la nature vengeresse n’était même pas niée ou rationnalisée. Juste avant l’attentat meurtrier à Charlie Hebdo, deux attentats terroristes dits de « loups solitaires » ont eu lieu au Canada ; le 20 octobre 2014 à Saint-Jean-sur-Richelieu et 22 octobre à Ottawa au Parlement même. Depuis, le gouvernement canadien a proposé une nouvelle loi antiterroriste donnant le pouvoir aux services secrets de faire fi de la constitution et de passer outre à de nombreuses libertés individuelles. Les sondages montrent que depuis les derniers attentats, le peuple canadien soutient très majoritairement l’envoi de troupes armées pour combattre des mouvements comme « l’état islamique » et soutient aussi très majoritairement la suspension de droits individuels dans le but de contrer potentiellement une nouvelle attaque terroriste.
Mais faut-il se surprendre de cette réaction ? Faut-il vraiment rappeler le véritable objectif du terroriste ? Plusieurs études (Brunet, Casoni, 2003) ont clairement montré que le choix des cibles terroristes n’est pas le fruit du hasard et que les cibles privilégiées ont pour objet de créer une identification des spectateurs avec les victimes. Cette façon de forcer l’identification aux victimes s’est potentialisée avec la médiatisation des attaques terroristes. Ainsi, notamment à partir de la prise d’otages des jeux olympiques de Munich en 1972, les attentats terroristes ont systématiquement tiré profit de la médiatisation pour créer des millions de victimes, pour étendre l’effet de terreur aux spectateurs du monde entier. Qu’il s’agisse de l’argumentation politique des Brigades rouges (voir Beebe Tarantelli, 2010) ou de l’argumentation politico-religieuse islamiste actuelle, les terroristes semblent préférer tuer publiquement des « innocents » des femmes et des enfants parce que l’identification du grand public avec ces victimes est directe et intense, provoquant donc un sentiment d’insécurité partout où les images peuvent être vues, un sentiment de terreur planétaire. Il est donc tout naturel de voir actuellement, dans beaucoup d’états de droit, qui ont pourtant valorisé la démocratie et la liberté d’expression, des revendications réclamant la restriction de libertés fondamentales, espérant y trouver une illusoire protection contre la terreur.
Il est fascinant de constater à quel point la terreur ainsi provoquée, en partie par identification aux victimes innocentes, provoque une réaction qui ressemble fortement à la logique exprimée par les terroristes eux-mêmes dans leur discours. Ainsi le clivage « nous/eux » est constamment renforcé par les actes terroristes ; non seulement dans le discours des politiciens (le célèbre « either you are with us or you are against us » de George Bush) mais dans la réaction de millions de gens ordinaires.
En fait, il n’y a pas qu’un mais deux mouvements identificatoires, suscités par la médiatisation d’actes terroristes : une identification aux victimes, certes plus aisée à constater, mais aussi une identification aux agresseurs. L’identification aux victimes est un fait largement connu. Nul n’a besoin d’être sur les lieux d’un drame pour s’identifier aux victimes. Le simple fait de voir les images à la télévision d’une attaque terroriste, de voir les tours du World Trade Center s’effondrer, de voir des corps blessés ou sans vie, stimule l’identification. Nous nous identifions, au moins inconsciemment, aux victimes et à leurs familles. Nous souffrons, nous sommes angoissés, meurtris, blessés. Toutefois on oublie qu’une seconde identification, celle-là plus insidieuse, plus inconsciente et beaucoup plus conflictuelle, se met également en place avec les auteurs des actes terroristes. Qu’on le voie sous l’angle de l’identification à l’agresseur (Anna Freud, 1949) ou comme conséquence du retournement du passif en actif pour maîtriser la souffrance psychologique, par ce double mouvement identificatoire, le drame qui s’est joué dans la réalité concrète est dorénavant transposé sur la scène interne, provoquant toute une série d’émotions conflictuelles conscientes et inconscientes, et de réactions pouvant aller jusqu’à la violence (Brunet, 1989). Et paradoxalement, comme le président italien Sandro Pertini en avait eu l’intuition, céder à la violence c’est adopter les mécanismes psychologiques de l’agresseur (notamment l’intensification du clivage et de la projection). Là est la victoire insidieuse du terrorisme.
La radicalisation. Comment devient-on terroriste aujourd’hui ?
Si les années 70 et 80 témoignaient de l’importance d’un effet groupal dans le cheminement menant au terrorisme (Brunet, 1989, 2007), les dernières années nous ont mis en présence d’actes issus de « loups solitaires » ; des jeunes gens ne faisant pas partie à proprement parler d’une véritable cellule terroriste, mais qui se sentent partie prenante d’une cause et qui agissent de façon individuelle ou à quelques-uns. Au Canada, cette année, Martin Couture-Rouleau a tué un militaire avec son automobile après avoir entendu « l’appel » du groupe État Islamique ; et Michael Zehaf-Bibeau, lui aussi en solitaire, a tué un militaire montant la garde devant un monument à Ottawa avant de pénétrer dans le Parlement et d’y être abattu. Comment de jeunes hommes, vivant au Canada, en viennent-ils à se radicaliser au point de voyager clandestinement jusqu’en Syrie pour y joindre un groupe armé ou au point d’attaquer isolément le Parlement canadien, dans un geste qui ne peut se terminer que par leur propre mort ?
À quoi peut correspondre la psychologie de cette radicalisation que l’on voit dans plusieurs pays occidentaux ? Bien qu’on puisse rarement avoir de véritables entretiens avec eux, lorsqu’on prend la peine d’étudier le parcours de ces jeunes, que l’on étudie les traces écrites et même les enregistrements vidéos qu’ils ont laissés, il ressort de leur discours qu’ils portent une « cause », un « idéal » qu’ils s’y identifient au point ou cet idéal semble leur permettre de transcender toute loi. Il ressort que ces jeunes gens pouvaient, bien sûr, connaître les droits et les lois, mais en même temps se sentir justifiés, au nom de la cause, de ne pas respecter ces droits et ces lois. Il ne s’agit nettement pas d’une organisation psychique sans surmoi mais plutôt d’une organisation où un idéal a « déclassé » ce surmoi, l’a dévalué. Comme Beebe Tarantelli l’avait fait ressortir de ses entretiens avec les membres emprisonnés des Brigades rouges italiennes, ceux-ci savaient et comprenaient qu’il n’était pas bien de tuer des femmes, des enfants, et des innocents, mais ils considéraient que cette conséquence malheureuse était le prix à payer pour l’avancement de la cause. Certains disaient même qu’ils étaient malheureux de ces morts innocents mais qu’ils referaient encore la même chose, selon la même logique. Nous avons ici l’illustration d’une radicale différenciation, d’un clivage drastique, entre les interdits et les idéaux au sein d’une personnalité. « Je sais bien… mais quand même ».
Ce clivage nous rappelle la façon radicale dont André Lussier (1975, 2006) a différencié le surmoi du moi idéal, tant sur les plans de leurs sources que de leur visées dynamiques ; le surmoi visant essentiellement la répression et l’interdiction des satisfactions pulsionnelles et narcissiques (Brunet, Casoni, 2003a), le moi idéal désignant les fantasmes de la toute- puissance du moi, dans la mesure où ils forment un tout cohérent toujours inconsciemment actifs.
Dans la radicalisation dont nous sommes témoins depuis quelques années, l’effet d’endoctrinement du groupe « réel » semble beaucoup moins important que la nécessité de l’adepte d’adhérer corps et âme à une idéologie qui constitue pour lui la solution grandiose à son errance identitaire. Déjà par le passé plusieurs individus étaient à la recherche d’un sens et d’une identité qu’ils croyaient trouver dans des groupes violents, des groupes terroristes notamment. L’effet grandiose des groupes est bien documenté depuis Freud, y compris son effet désinhibiteur. Les exemples ne se comptent plus où un individu des plus ordinaires pose, en groupe, des gestes qu’il n’aurait jamais osé poser hors du groupe. À cet égard, Jean Hatzfeld (2003) en donne des exemples éloquents dans « Une saison de machettes »
Quelques considérations dynamiques concernant le terrorisme et la violence de masse
L’étude d’entretiens avec des génocidaires et des terroristes ainsi que l’étude même incomplète de leur parcours identitaire laisse voir une série de facteurs dynamiques pouvant expliquer comment certains individus, à partir d’une forme d’errance identitaire, en viennent à épouser une cause et un mode d’action extrême et radical comme solution illusoire à leur quête identitaire.
Les traces de leurs parcours lors de l’adolescence, leur recherche d’une cause à épouser alors qu’ils sont jeunes adultes, les rares entretiens qu’ils ont donné lorsqu’ils sont emprisonnés laissent croire que ces jeunes radicalisés, qui ont tué selon une logique terroriste, étaient des individus à la recherche d’un « idéal » allant définir totalement leur identité et effacer leur sentiment d’insuffisance sinon d’insignifiance. Bien sûr, dans une certaine mesure, tous les jeunes adultes sont à la recherche d’une cause, d’un idéal donnant un sens à leur vie. Certains le trouvent dans la politique, d’autres dans des causes environnementales et communautaires, certains investissent passionnément un hobby ou une cause politique, mais tous ne versent pas dans la violence pour autant. Le cheminement terroriste, à la lumière des analyses de leurs trajectoires de vie et de certains entretiens, montre la conjonction d’une grave errance identitaire, de la quête fondamentale d’une identité d’emprunt qui contre-investira le vide narcissique et le sentiment de futilité ainsi que l’adhésion massive à une cause idéalisée donnant l’illusion d’une identité grandiose. La conjonction de la fragilité narcissique identitaire et de la promesse, souvent manipulatrice de l’atteinte de la grandiosité semble souvent être la clé d’une série de modifications dynamiques qui mèneront presque inéluctablement à la violence. Une suite logique de conséquences dynamiques s’en suivra dans la lignée suivante :
• La découverte d’une cause ; idéalisation de la cause, du groupe, du leader.
• L’identification à ce nouvel idéal grandiose qui accentue l’investissement du moi idéal.
• L’inversion de l‘importance dynamique du surmoi et du moi idéal.
• L’identification par projection d’un ennemi.
• L’utilisation d’une série d’attributions psychiques clivées visant à réduire l’humanité de cet ennemi (mépris, triomphe, désengagement identificatoire, désubjectivation, démonisation).
• La désidentification d’avec ces personnes vues comme « le démon » ouvrant sur la possibilité de l’acte de tuer sans que le surmoi n’inhibe l’expression extrême de l’agressivité.
Cette séquence dynamique est facilement visible non seulement dans le discours des jeunes terroristes mais dans les nombreux entretiens effectués auprès de Huttus génocidaires. Chez eux, pour la plupart, il est facile de voir comment une « cause » s’est imposée, martelée par les leaders, répétée sans cesse à la radio, menant des milliers de gens (étudiants, professeurs d’université) à délaisser leur fonctionnement habituel dans lequel le surmoi conservait sa fonction interdictrice, pour aller « exterminer des blattes ». Dans des entrevues, ils relatent un processus partagé de déshumanisation, de mépris, faisant en sorte que les Tutsis, graduellement, en sont venus à ne plus avoir le statut d’êtres humains. À un moment s’est généralisée l’utilisation du mot « inyenzi » pour les désigner, mot qu’on peut traduire par « coquerelle » ou « blatte ». Nous retrouvons alors une forme de déshumanisation et de désidentification soutenues par la dynamique connue des groupes, procédant de l’identification à une cause, vue comme un idéal de pureté, stimulant l’inversion du rapport dynamique entre le moi idéal et le surmoi. Ces individus deviennent, pendant quelques jours ou quelques semaines, eux-mêmes grandioses, identifiant au passage les Tutsis à ce qui constitue l’autre face du clivage : le méprisé, le non humain, le mauvais à détruire. La désidentification est maintenant complète. Il est dès lors possible de détruire ces blattes, sans reconnaître qu’en réalité on cherche à détruire la propre partie de soi qu’il faut éradiquer pour confirmer l’illusion de ne faire qu’un avec le moi idéal grandiose.
Quand quelqu’un est aux prises avec une grande difficulté narcissique identitaire, il est souvent à la recherche d’une identité qui lui sera donnée de l’extérieur. Cette identité d’emprunt sera d’autant plus attirante qu’elle incarnera une promesse de valorisation sans limite. C’est pourquoi les sectes religieuses et les groupes terroristes sont si attirants pour certains. Ces personnes croient adhérer à une cause alors qu’en réalité ils endossent une identité. Ils croient se trouver, se définir alors qu’en réalité ils s’effacent. Ils ne succombent pas qu’à l’illusion de se trouver mais à la promesse de grandiosité sous toutes ses formes. Cette illusion de grandiosité, dans le contexte de la radicalisation terroriste ou religieuse signifie bien plus que de participer à une cause grandiose, bien plus qu’être admiré par le groupe une fois leur geste posé, il signifie inconsciemment l’immortalité, même lorsque la religion ne semble pas en cause.
Moi idéal vs surmoi
L’analyse des propos de ces jeunes radicaux et terroristes, tout comme celui des génocidaires Huttus laisse voir comment, structurellement se produit une inversion drastique de l’investissement du surmoi et du moi idéal et par conséquent une réduction de l’effet régulateur du surmoi. L’identification à une cause vue comme grandiose, et par là à un idéal transcendant, permet à des jeunes radicaux de renverser dramatiquement leur souffrance narcissique et de trouver réponse à leur errance identitaire. Non seulement ils trouvent ainsi une réponse identitaire mais cette réponse constitue un contre-investissement de leur souffrance par une illusion de grandiosité, par l’élation du « sans limite ». Dynamiquement et structurellement, cette identification signe un investissement massif du moi idéal et par conséquent un désinvestissement de tout ce qui pourrait le diminuer ou le brimer, au premier chef le surmoi. En d’autres mots, l’investissement est déplacé vers le moi idéal, confortant l’illusion grandiose. « La cause est grandiose, je suis grandiose, la cause est plus importante que la loi, je suis au dessus des lois, je suis admiré et immortel pour ainsi actualiser la cause ». La voix du surmoi, qui habituellement inhibera l’expression de la violence, n’a plus d’importance devant le gain narcissique, devant le chant des sirènes du moi idéal. Bien évidemment l’identité grandiose qui en découle est fortement soutenue par le discours des groupes terroristes qui savent proposer cette illusion. Ce qui est nouveau lors des dernières années, c’est que cette offre de grandiosité qui était autrefois faite en personne dans de petits groupes clandestins est maintenant accessible à tout jeune en quête identitaire, où qu’il soit au monde, par le truchement d’Internet. C’est ainsi que des jeunes canadiens en errance identitaire se sentent tout à coup appartenir à un groupe terroriste lointain sans jamais en avoir rencontré un seul de ses membres. L’effet groupal avait déjà été clairement identifié dans le devenir terroriste (Brunet, 2007). Cet effet semble maintenant pouvoir se réaliser par l’appartenance à un groupe « virtuel ».
La marche vers la déshumanisation et la désidentification
Le discours des jeunes radicaux terroristes montre aussi un processus tout à fait semblable à ce qui avait été noté chez les génocidaires Huttus : un processus graduel mais radical par lequel « l’autre » est peu à peu dépouillé de ses attributs humains, par clivage, créant ainsi un « démon », un « dépravé » un « non-croyant » ou une « coquerelle ». Évidemment, un tel clivage définissant un ennemi implique aussi une augmentation de la crainte de cet autre ou un risque du retour du projeté. Comme l’autre haï est créé à partir de ses propres failles narcissiques, il faut dans un second temps s’assurer de ne pas lui ressembler, d’éviter le retour du projeté. Alors, en parallèle, on trouvera dans le discours des terroristes et des jeunes radicaux, un processus de déshumanisation qui créera la distance nécessaire entre l’ennemi et soi et qui va rendre le meurtre d’autant plus facile. Coiffant le renversement du moi idéal et du surmoi, s’additionnant au clivage habituel identifiant un ennemi à combattre, le discours idéologique de ces groupes en vient à dépouiller l’autre, clivé de ses attributs d’êtres humains. Graduellement l’autre n’est plus un autre semblable, il devient au mieux un être complètement hétérogène qui n’a plus rien en commun avec soi, et peu à peu il n’a même plus la valeur d’un être humain ce qui rend le surmoi tout à fait inefficace. L’autre n’est plus un autre sujet, n’est plus un autre semblable, le mal que je peux lui faire ne me touche plus. Quand s’ajoute une idéologie comme chez les Huttus qui faisaient des tutsis des insectes ou qui fait des « incroyants » des être indignes de vivre, le meurtre devient presqu’un aboutissement logique dans un processus inconscient de purification. Ce meurtre permettra non seulement l’illusion d’avoir détruit la partie de soi clivée qu’il fallait éliminer pour pouvoir devenir grandiose et immortel, mais il accentue l’identification totale à l’idéal grandiose, il cristallise l’identité d’emprunt venant colmater la brèche narcissique ayant motivé cette recherche.
À l’écoute du potentiel signifiant
Une fois radicalisé, une fois partie d’un groupe et d’une cause qui permet le surinvestissement du moi idéal au détriment du surmoi, il est très difficile de détourner un terroriste ou un jeune radicalisé de ses idéaux. Ce que l’on connaît des tentatives de « déradicalisation » qui sont mis en place dans certains pays ne permet pas d’être très optimiste surtout quand on comprend la puissance du chant des sirènes d’un moi idéal partagé. Quand on a goûté à l’élation de la radicalisation violente, les idéaux ordinaires semblent bien fades. Par contre, il arrive que certains jeunes gens sur le chemin de la radicalisation ressentent une certaine intuition de la pente dangereuse qu’ils empruntent. Certains éprouvent un moment de doute, prenant conscience du fait qu’ils vont franchir une ligne dont les conséquences sont effrayantes pour leur propre dynamique psychique. À ce moment, les policiers ne sont pas vraiment ceux qui sont à même de décoder certains gestes qui peuvent avoir valeur de message.
Ainsi Zehaf Bibeau, le jeune homme qui a commis l’attentat au Parlement d’Ottawa en 2015, avait posé des gestes préalables qui auraient pu être interprétés comme un signal. Ou du moins qui auraient pu être « reçus » comme un signal signifiant, le message d’une intuition que Zehaf Bibeau avait une relative prise de conscience du dérapage dans lequel il se sentait engagé et qui allait le mener à la mort. Ce jeune homme s’est d’ailleurs présenté une première fois aux policiers pour demander d’être arrêté ! Mais comme il n’avait commis aucun geste criminel, il n’a pas été « arrêté et emprisonné ». Quelques jours après il s’est ensuite empressé de commettre un vol ! Ce jeune homme semblait non seulement incapable de demander de l’aide mais il était peut-être même incapable de comprendre qu’il demandait de l’aide en demandant d’être arrêté. Pourtant sa conduite laisse croire qu’il avait l’intuition d’une transformation dangereuse qu’il fallait arrêter.
Ici, on reconnaît la question récurrente du sens des gestes violents. Les gestes des gens violents, des meurtriers, ont-ils un sens et une adresse ou sont-ils essentiellement de nature quantitative, une décharge sans sens et sans adresse ? Plutôt que penser en termes dichotomiques, la pratique clinique avec les meurtriers ou les jeunes radicaux nous oblige plutôt à imaginer un continuum allant de la pure décharge dans certains cas à une décharge comprenant aussi un appel à l’objet. Cependant les gestes violents n’auront valeur de gestes signifiants et d’appel à l’objet que si un objet est là pour le voir, pour le comprendre et pour le rendre signifiant pour le sujet incapable de le faire.
Références
Beebe Tarantelli, C. (2010), « The italian red brigades and the structure and dynamics of terrorist groups », International journal of psychoanalysis, 91, 541-560.
Brunet, L. (1989), « Le phénomène terroriste et ses effets sur les objets internes », Revue québécoise de psychologie, vol. 10, no, 1, 2-15.
Brunet, L. (2007), « Violence et appareil psychique groupal », Topique, 99, 87-96.
Brunet, L., Casoni, D. (2003a), « Culpabilité, honte et dynamique criminelle. Au sujet des fonctions anti- pulsionnelles et anti-narcissiques du Surmoi », Revue française de psychanalyse, 5, 1561-1565.
Brunet, L., Casoni, D. (2003b), « Visées psychologiques du terroriste », in, Casoni, Brunet, éd. Comprendre l’acte terroriste, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 37-50.
Casoni, D., Brunet, L. (2002), « The psychodynamics of terrorism », Canadian Journal of Psychoanalysis, 10, 1, 5-24.
Casoni, D., Brunet, L. (2003), Comprendre l’acte terroriste, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 148 p.
Casoni, D., Brunet, L. (2007), « The psychodynamics that lead to violence. Part 2. The case of « ordinary » people involved in mass violence », Canadian Journal of psycho-analysis, 15, 2, 261-280.
Hatzfeld, J. (2003), Une saison de machettes, Paris, Seuil.
Lussier, A. (1975), Essai sur l’idéal du Moi, Thèse de doctorat (Ph.D.) sous la direction de Noël Mailloux, Département de Psychologie, Université de Montréal. Lussier, A. (2006), La gloire et la faute. Essai psychanalytique sur le conflit qui oppose narcissisme et culpabilité, Montréal, Presses de l’Université du Québec.