Myriam David est morte en décembre dernier. Elle avait 87 ans, et toujours son regard si bleu, son teint si clair et son sourire si attentif à l’autre. Lors d’un congrès organisé à Budapest en son honneur, il y a quelques mois, Myriam David avait conclu, comme s’il ne fallait pas s’attrister de son grand âge : « C’est bien, aussi, d’être vieux ». Elle avait expliqué qu’être vieux, cela permettait de voir ce que devenaient de petites phrases qu’on avait pu dire, de petites pensées qu’on avaient pu avoir, et qui avaient pu servir à d’autres, alimenter les actions et la réflexion de certains. Un travail de jardinier, en quelque sorte, qui voit tout doucement germer les graines qu’il a ensemencées. Elle qui n’avait pas eu d’enfant, c’était, au fond, l’avenir et la descendance de ses pensées et de ses actes qui lui faisaient plaisir. C’est bien aussi d’être vieux surtout quand on reste jeune, plus jeune que nombre d’entre nous, par sa rigueur, sa créativité, son inventivité méthodologique et sa capacité à prendre des risques conceptuels. De la déportation, qui lui avait appris comment le soin du corps vaut aussi comme soin du psychisme, jusqu’à Loczy dont elle soutenait l’idée que l’attention accordée à la liberté des mouvements fondait, finalement, la liberté du psychisme et de son développement, on pourrait sans doute, pour faire moderne, parler de la résilience de Myriam David. Jacques Brel nous l’a appris : le plus difficile est de « devenir vieux sans être adulte », et c’est peut-être ce lien vivant avec nos parties infantiles qui forme le ressort intime de la résilience. En ces temps de catastrophes dites naturelles et imprévisibles, la disparition de quelqu’un comme Myriam David, aussi prévisible qu’elle pouvait l’être, fait pourtant figure de catastrophe non naturelle et, quelque part, scandaleuse. Heureusement, rien ne pourra plus jamais être comme si Myriam David n’avait pas été et nous devons, tout simplement, la remercier, précisément, d’avoir existé.