Si l’on souhaite s’occuper de bébés et le faire en demeurant psychanalystes, c’est bien d’une troisième topique dont nous avons désormais besoin. Le bébé tout seul n ’existe pas, et ni la première ni la deuxième topique freudienne nepeuvent en effet entièrement répondre à nos attentes puisque par essence intrapsychiques, ces deux topiques échouent à rendre compte des fonctionnements dyadiques ettriadiques par essence interpersonnels. Autrement dit, si le bébé ne nous impose aucun renoncement à nos repèrespsycha nalytiques classiques (théorie des pulsions, étayage, théorie des relations d’objet, dynamique de l’après-coup), il exige de nous, en revanche, que n ous revisitions le point de vue topique de la métapsychologie. La chose est délicate mais sans doute pas impossible. « L’objet est investi avant d’être perçu » disait, il y a longtemps déjà, Serge Lebovici.C’était dire que le lien peut être investi et représenté avant même que l’objet externe soit précisément repéré, et ceci est de fait extrêmement émouvant !
Pour penser le passage d e l’interpersonnel àl’intrapsychique, nous avons besoin de faire une place à l’intériorisation (soit à l’inscription intrapsychique du jeu interactif p récoce), à la spécularisation (afin que l’objet découvert soit aussi pensé comme un sujet) et à l’anticipation ou à la supposition du sujet par ceux qui prennent soin de l’enfant. En ce qui concerne l’intériorisation, ce sont les modèl es internes opérants de l’attachement et les représentations internes généralisées de l’accordage affectif qui vont pouvoir figurer dans le monde interne de l’enfant quelque chose de son lien à l’objet encore plus que de l’objet en tant que tel.
C’est cette représentation du lien avant même lareprésentation de l’objet qui permet de penserpsychanalytiquement les bébés, de reconnaître le possible transfert archaïque des enfants autistes en-deçà de la genèse de l’objet, et finalement de comprendre toutes les formes de demande intransitive. L’enjeu est donc de taille et nous somme s bel et bien à la lisière d’une nouvelle étape de la pensée psychanalytique théorico-clinique.
Merci aux bébés et merci aux enfants autistes de nous ouvrir de telles pistes de travail. Finalement, dans le jeu du fort/da, la ficelle compte autant voire plus que la bobine… A nous de ne pas l’oublier et de lui faire une juste place, celle qu’elle mérite, au sein de nos modélisations.
Pr Bernard Golse