V. Kapsambelis remet la personnalité à sa place !
La personnalité est tellement là, solide, immuable… qu’on aurait pu oublier de s’interroger sur sa place dans l’histoire de la psycho-pathologie. Il n’y a rien d’évident à considérer la personnalité comme relevant du champ psycho-pathologique. Elle est le bois dont nous sommes faits, un point c’est tout ! Alors, comment la « personnalité » a-t-elle fini par intéresser la psychopathologie ? Comment les « troubles de la personnalité » ont-ils émergé dans le corpus psychiatrique ? Quel rapport entretiennent-ils avec la notion de symptôme ? Une personnalité pourrait-elle être l’analogon d’une maladie ? La conférence de V. Kapsambelis, la première du cycle « adulte » des Conférences d‘Introduction à la Psychanalyse (CIP) de la Société Psychanalytique de Paris (SPP), aura permis de répondre à ces interrogations en traversant l’histoire psychanalytique.
V. Kapsambelis nous rappelle que la personnalité apparaît tardivement dans le savoir psychiatrique. Hippocrate avait bien établi une typologie des tempéraments dont nous gardons encore la trace dans le langage courant (personnalité sanguine, flegmatique, bileuse…). Mais ce n’est qu’au début du XXème siècle qu’on porte un intérêt aux « personnalités pathologiques ». Kurt Schneider, père du DSM, décrit dix « types psychopathiques » qui constitueront le socle de toutes les études ultérieures des troubles de la personnalité. Quant à Freud, il considère la notion de personnalité superficielle jusqu’à ce qu’il s’intéresse au caractère, terme qui s’imposera en psychanalyse quand la psychiatrie continuera de parler de personnalité.
La psychiatrie s’intéressera à la personnalité sur le même modèle que celui qu’elle utilise déjà pour décrire les maladies. Les auteurs établissent des listes, « symptômes » par « symptômes » pour former des ensembles descriptifs d’une personnalité.
Pourtant… un symptôme se définit par le fait qu’il survient, qu’il nous tombe dessus alors qu’il était absent jusque-là. Un trait de caractère est tout l’inverse. Il est présent très tôt dans la vie et dirige notre façon de réagir de manière immuable. Les traits de caractère sont donc là depuis toujours et de surcroît, ne sont pas accessibles à la conscience. Le caractère, c’est par les autres qu’on le perçoit. On ne peut être conscient d’un trait de caractère comme on l’est d’un symptôme. Finalement, rien de ce qui fait un trait de caractère ne semble correspondre à un symptôme. Mais l’efficacité du modèle classificatoire habituel prévaut sur ses failles. Il continuera de s’imposer et permettra d’établir un savoir nosographique.
Jusqu’à ce que… la conception du symptôme connaisse une véritable révolution, concomitante de l’intérêt porté à l’inconscient à la fin du XIXème siècle. Nombre d’auteurs, dont bien évidement Freud, vont se pencher sur les manifestations ne relevant pas de la conscience, qu’elles soient « automatiques » pour Janet ou non déclenchées intentionnellement pour Pavlov. A partir du moment où Freud va s’intéresser au symptôme comme une expression de même nature que tout ce qui survient et qui n’est pas contrôlé dans un psychisme quelconque (lapsus, rêve, acte manqué…), il contourne l’opposition normal-pathologique et le symptôme perd sa spécificité pathologique. Il est alors défini avant tout comme une formation de compromis visant à satisfaire deux forces contraires. Freud ne modifiera plus ce modèle dynamique de formation du symptôme, seule la nature des forces contraires évoluera au fil de son œuvre : de l’opposition principe de plaisir/principe de réalité à celle des pulsions de vie/pulsions de mort. Un des deux pôles correspondra toujours à une partie indomptée du psychisme humain quand l’autre sera celle qui voudrait faire taire la première.
Toutefois, Freud précisera qu’il arrive que toute la partie pulsionnelle soit repoussée afin qu’il n’y ait plus du tout de conflit entre les deux forces. Inutile alors de former un compromis, le psychisme construit une digue contre la motion pulsionnelle et Freud parle de formation réactionnelle. Il décrira toute une série de couples d’opposés pour illustrer les formations réactionnelles : la générosité fait barrage à l’avarice, la pudeur à l’exhibitionnisme, la propreté à la saleté, la pitié à la cruauté…
Pendant un certain temps, Freud considère ce mécanisme comme signe de santé mentale. La formation réactionnelle produirait un psychisme où plus rien de la pulsion n’apparaît et où toute l’énergie pulsionnelle peut être utilisée à des fins désexualisées ou à des fins de civilisations. La formation réactionnelle est alors perçue comme une défense réussie dans un psychisme sain au service de la sublimation et de la morale.
A partir de 1920, lorsque Freud se saisit de la question de la répétition, il s’aperçoit que la formation réactionnelle, si elle se répète de façon continue et sur une longue période, conduit à une déformation du Moi : le trait de caractère. Il décrit là une évolution pathologique de la formation réactionnelle. La réponse à l’attaque pulsionnelle que constitue la formation réactionnelle aboutit à un investissement continu du Moi qui se maintient même en l’absence de la menace pulsionnelle. Une partie de l’énergie psychique est ainsi engagée en permanence. En termes écono-miques, l’énergie de l’attaque pulsionnelle qui était tournée vers l’objet est captée par le Moi. L’énergie objectale devient narcissique et perd sa dynamique. Elle court le danger de devenir fixe, d’être captée par la pulsion de mort. C’est cette immuabilité qui définit le trait de caractère.
Alors, comment travailler avec un trait de caractère ? Comment mouvoir un psychisme minéralisé, chosifié ? Une proposition d’E. Kestemberg est de tenter de faire évoluer le trait de caractère en symptôme pour retrouver une mobilité psychique. Il s’agirait de réinsuffler du conflit, de faire émerger la souffrance liée à l’appauvrissement libidinal, en veillant scrupuleusement à éviter toute blessure narcissique qui risquerait de faire échouer la cure.
Pour conclure, V. Kapsambelis nous met en garde contre le risque d’organiser un trait de caractère acquis au cours d’une cure. Il s’appuie sur les travaux de R. Diatkine autour de patients qui, après des années d’analyse, disent « je me suis encore arrangé pour… ». Ils pourraient avoir adopté un trait de caractère par identification narcissique à l’analyste. Les patients auraient développé une nouvelle manière d’être au monde « grâce » à leur analyse mais qui les prive tout autant de liberté de penser. Finalement, ces traits de caractère pourraient ne pas être là depuis toujours, ils pourraient nous tomber dessus, comme un symptôme… A moins que le processus aboutissant à ces traits de caractère acquis au cours d’une cure ne relève d’autres mécanismes que ceux exposés par V. Kapsambelis. Une autre conférence s’impose !
Stéphanie George, Psychologue clinicienne, Psychanalyste (Institut de Psychanalyse, SPP)