Carnet Psy a publié en avril 2005 (n°98- p.30-31) un texte d’Annie d’Anzieu dans le dossier « Psychanalyse et psychothérapie ». Nous avons souhaité le reprendre dans cet hommage. (La rédaction).
l est clair que je ne saurais admettre que quelqu'un s'engage dans la profession de psychothérapeute sans avoir fait soi-même l'expérience, selon les règles les plus strictes possibles, de la discipline qu'il prétend appliquer. Il me paraît fort regrettable qu'en France les Sociétés de Psychanalyse rattachées à l'IPA (Association Internationale de Psychanalyse) n'aient jamais jugé valable l'inclusion d'une pareille formation à leur programme d'enseignement. Tout au plus un semblant d'intérêt se manifeste, qui n'a jamais abouti à un vrai programme jusqu'ici. Par ailleurs, il est bien évident qu'une formation à l'analyse d'adulte n'est pas toujours suffisante pour parvenir à soigner des enfants, surtout lorsqu'on doit aborder des cas dits « difficiles ». La particularité du transfert, des conditions du cadre, des relations avec les parents et surtout des modes d'expression de l'enfant (activité motrice, jeu, etc.) bousculent inévitablement l'image de l'analyse dite « classique ». L'image de soi de l'analyste est ici mise en question et requiert une aide extérieure la plupart du temps. C'est, sans doute, ce genre de problème posé par les particularités de la technique analytique auprès de l'enfant, qui fait que nombre d'analystes renoncent à cette pratique.
L'analyste, surtout dans son rapport avec l'enfant, doit faire la part du processus économique qui fonctionne chez lui et fait appel à son propre infantile. Il doit aussi prendre en compte de façon plus évidente la réalité sensorielle et la part de la mégalomanie qui donne
l'illusion du pouvoir sur la personne de l'autre. Depuis bien longtemps donc, il m'est apparu qu'une formation spécifique est une nécessité pour les psycho- thérapeutes d'enfants, qu'ils soient, ou non, déjà psychanalystes. Il convient désormais d'en établir les normes. Il est bien connu à présent que nombre de mes collègues qui sont engagés auprès des enfants, ont déjà officialisé leur travail en ce sens. Ce que je fais moi-même avec Florence Guignard depuis un certain temps (Association pour la Psychanalyse d'enfant – APE) qui s'est étendue à l'Europe (SEPEA, 1993).
Si ce n'est certes pas une idée récente pour moi qu'une formation spécifique soit nécessaire au psychothérapeute d'enfants, cette nécessité me paraît devenir de plus en plus urgente du fait que le nombre d'enfants traités par la psychothérapie s'accroît sensiblement et rapidement. Peu importent les raisons de ce fait : on ne peut que le constater. Les psychanalystes engagés comme moi auprès des enfants, sont pour la plupart, en accord avec moi sur la nécessité de cette formation qui implique pour celui qui s'y engage un investissement long et serieux.
Je me place, ici, dans une perspective psychanalytique bien que la formation des psychothérapeutes ne coïncide pas toujours avec celle des psychanalystes. Se former à une discipline et, tout particulièrement, à la psychanalyse suppose des connaissances de base complétées par un développement personnel. La technique appliquée par le soignant dépend non seulement de ses connaissances, mais aussi de la manière dont il peut s'utiliser soi-même en tant que lieu du transfert.
Ma propre expérience et celles que j'ai faites auprès de nombreux thérapeutes, m'ont enseigné que cette sorte de formation exige un investissement solide et durable et que le transfert de l'enfant présente des caractères qui font appel à l'auto-analyse du thérapeute. Or, dans les conditions actuelles de la demande de plus en plus intense en vue du traitement des enfants, les psychanalystes font défaut. Ce sont les psychologues qui répondent le plus souvent aux besoins. On ne peut que constater que, parmi ceux qui ont la chance d'accéder à un poste dans une institution, le nombre de personnes susceptibles de traiter un enfant par la psychanalyse est bien réduit. Ils sont, le plus souvent mis face à une situation pour laquelle ils ne sont pas armés.
En effet, les études universitaires indispensables à cette pratique engagent ceux qui les entreprennent uniquement dans leur fonctionnement intellectuel. Dans cette situation on ne peut accepter une apparence de savoir procurée par des diplômes universitaires en ce qui concerne la charge d'un psychothérapeute d'enfant. Il lui incombe bien plus, ne serait-ce que la prise en considération de l'environnement familial qui pèse, parfois fortement sur le traitement entrepris.
Les conditions de travail intellectuel et personnel étant remplies, il n'en reste pas moins que l'expérience de la psychothérapie de l'enfant soumet à bien des épreuves qui sont épargnées, en général, à l'analyste d'adultes. C'est pourquoi il paraît nécessaire de suivre un
entraînement que proposent quelques associations : un enseignement en participation à des groupes d'élaboration de textes de discussion de cas, et de situations institutionnelles dans lesquelles les psychologues se trouvent souvent démunis. Il ne faut pas oublier que l'enfant met en scène plutôt que de parler. Il s'exprime par le jeu et souvent dans la provocation et la séduction. La relation du thérapeute passe par l'activité motrice avant la parole.
L'initiation par un superviseur reconnu est indispensable pour que le thérapeute apprenne à utiliser ses propres capacités de compréhension de soi-même. Le contre-transfert est souvent suscité de manière très vive par les comportements des enfants et nécessite le recours à un processus auto-analytique. Il est remarquable, par ailleurs, que le travail en groupe apporte des possiblités de communications fort enrichissantes, du fait du partage des expériences. Il diversifie les points de vue et les retours sur la dynamique professionnelle propre à chacun. Ces ressources sont déjà mises en œuvre dans plusieurs groupements français et européens. Il faut reconnaître que les décrets ministériels et leurs divers amendements n'ont pas jusque là mis au clair les formes que peut prendre cette formation cependant indispensable. Toujours est-il que la personne du thérapeute n'y est mise en question d'aucune autre manière que par la reconnaissance de diplômes universitaires, ce qui n'est pas admissible si on se place dans un esprit de psychanalyste. Quelles que soient les décisions officielles prises à l'avenir, et les positions lointaines des instances qui nous gouvernent, le travail avec les enfants, s'il veut être valable, sérieux, doit être initié par une formation rigoureuse.
Annie Anzieu