La question de la psychanalyse et de la psychothérapie psychanalytique est régulièrement reprise et débattue. C’est un débat intéressant, complexe, sur lequel il y a beaucoup à dire et qui soulève bon nombre d’interrogations et de problèmes difficiles à résoudre. A partir de cette situation, j’émettrai quelques hypothèses en prenant le risque de passer à côté de notions connues et de superposer encore une fois certains concepts.
Replaçons cette question dans l’histoire de la psychanalyse. Revenons à Freud : en se plaçant dans la position d’un patient, Freud a été amené à articuler clairement l’art d’être à la fois un psychanalyste et un psychothérapeute. Même si dans la transmission qu’il a faite de son œuvre, clinique, théorique et technique, il n’a jamais établi de problèmes importants quant à cette double appartenance. Tandis qu’il ré-affirmait sa découverte de l’inconscient, de la sexualité infantile, des traumatismes psychiques, Freud a pris une certaine distance par rapport à certaines techniques thérapeutiques utilisées jusque-là, et a mis au point une nouvelle compréhension du psychisme. Cette découverte a, selon moi, établi les bases de ce qui devint plus tard la Psychothérapie Psychanalytique.
Cette découverte freudienne est à comprendre comme l’expression inoubliable de G. Cecchi, celle du thérapeute irrévérencieux. Ce thérapeute “se caractérise par une irrévérence très marquée envers ses propres croyances en dépit des efforts qu’il a réalisés pour les atteindre et les conquérir”. La curiosité et les interrogations quant aux modèles, aux croyances, et aux enseignements ne cessent de l’assaillir, lui permettant d’ “échapper à la certitude des vérités ultimes” (1995 ; p.333-345). D’un autre côté, Freud peut être considéré comme un activiste capable de promouvoir l’émergence de paradigmes (Kuhn, 1962). Quand dans un certain domaine du savoir des écarts apparaissent dans sa structure provoquant la survenue de critiques qui en viennent à mettre en cause tout ce qui était considéré comme adéquat et valide, un chercheur pense à de nouveaux paradigmes.
Ainsi nous pouvons observer comment Freud a introduit une combinaison de paradigmes nouveaux et anciens. En créant des structures et en recréant d’autres, en en gardant certaines et en éradiquant d’autres, on peut observer que chaque paradigme est en définitive le produit de récoltes anciennes et nouvelles. A l’aide d’une brève citation, on peut illustrer sa position : “Les modifications introduites dans la procédure cathartique de Breuer étaient au début des changements techniques ensuite elles ont conduit à des résultats nouveaux qui ont nécessité l’adoption de diverses conceptions sur notre travail”. A partir d’extraits de ces cadres historiques épistémologiques et structuraux, j’ai commencé à observer la perspective selon laquelle la période pré-analytique avait avancé des paradigmes pour la période analytique, à partir de celle-ci, d’autres paradigmes ont alors été construits pour une représentation de l’esprit. Parmi eux, la psychothérapie psychanalytique et sa coexistence avec la psychanalyse ont aidé à consolider la présence d’une double identité et d’une double appartenance entre psychanalyse et psychothérapie. Ainsi se sont développés des débats immortels et intemporels dont les origines se situent de manière mythique dans cette période du passé.
Hier, de mon point de vue, dans l’approche que nous venons de voir, une bonne partie de la confusion et de l’angoisse des cliniciens était due à la confusion des rôles au sujet des psychanalystes qui pratiquaient la psychothérapie. De nombreux psychanalystes étaient gênés de se séparer du protocole pointilleux de la situation analytique classique dans laquelle ils avaient soigneusement appris les procédures pour éluder les questions, identifier les phénomènes de transfert et se positionner face aux passages à l’acte et aux évitements. Dans une certaine mesure, les psychanalystes se sentaient plus confus à propos de leur attitude transférentielle et contre-transférentielle et il n’était pas rare que le patient contribue à ce malaise. La psychothérapie est une aventure moins structurée qui se situe dans l’immédiat et dont le patient attend quelque chose rapidement.
Aujourd’hui, tous les psychanalystes de l’API pratiquent des psychothérapies psychanalytiques et une de leurs incertitudes causées par cette double appartenance est la difficulté d’établir une définition de la psychanalyse et des thérapies analytiques. Bien plus, les psychanalystes qui ont toujours formé des psychothérapeutes psychanalystes rencontrent maintenant un sérieux problème d’identité. D’après J.P. Jimenez, de nombreux psychanalystes ont idéalisé l’institution et la profession de psychanalyste. Ils ont ignoré “officiellement” tous les développements latéraux en se privant d’ “une intégration organique” des autres thérapies et une pratique sauvage de diverses formes de psychothérapie psychanalytique a été ainsi facilitée (1999, P. 20). La coexistence de deux modèles implique-telle l’exclusion de l’un d’entre eux ? Un complément ? Ou une réponse aux exigences cliniques et culturelles ? En ce sens, il est possible que la coexistence implique seulement la confirmation qu’il existe en l’homme depuis la nuit des temps un état latent, un besoin de construire des modèles ; un besoin qui, dans notre profession se matérialiserait en un espoir de découvrir de nouvelles façons de saisir la pensée comme l’a démontré le maître de la psychanalyse. Des modèles qui élargiraient la compréhension des désirs, des besoins, des souffrances et du plaisir psychique de l’homme au sein des transformations qui ont décidé de son installation, de sa localisation, de son époque (événements familiaux, sociaux, environnementaux, culturels, idéologiques, économiques, et politiques).
Il y a inconsciemment une réaction à la nouveauté et les débats sont relancés en raison de l’anxiété et de la confusion qui envahissent les protagonistes. Les anciens paradigmes ont renforcé l’illusion selon laquelle les problèmes rencontrés ont été résolus. Les nouveaux paradigmes révèlent que les solutions trouvées sont relatives et partielles.
La coexistence des modèles, d’une double identité et d’une double appartenance psychanalytique dans la pensée du psychanalyste
L’analyste a développé (à l’exception de certains) une double identité et une double appartenance en vivant et en expérimentant de façon consciente et inconsciente, ce que son environnement (professionnel ou non) lui a transmis à propos de la spécificité de la psychanalyse et de la spécificité de la psychothérapie psychanalytique. Lorsque les limites entre ces deux types de compétences sont fragilisées, des ambiguïtés en ce qui concerne l’identité et l’appartenance apparaissent. Cependant, est-il possible d’effacer le principe d’identité ou d’appartenance de la pensée ? de sous-estimer la confusion qui existe depuis le commencement de la période analytique ? Et vu sous un autre angle, quelles sont les différences qui font que, lors de procédés thérapeutiques, l’analyste se retrouve à écouter et à comprendre le patient en tant que psychanalyste et en tant que psychothérapeute ?
La spécificité de la psychanalyse en milieu hospitalier pourrait donner lieu à beaucoup de réponses
Une psychanalyse est un moment intense, insaisissable, et unique quand elle a lieu entre la force subjective du transfert du patient et le contre-transfert de l’analyste. Lorsque l’analyste s’engage entièrement dans ce processus, ces forces deviennent des outils mettant en évidence les singularités et les significations de la séance. Il est possible de remarquer que suivre une formation analytique, confère au psychanalyste des qualités spécifiques qui font évoluer sa façon de penser et ses techniques d’approche face à de telles situations. Ce qui rend possible la réflexion de cet événement intense, insaisissable, unique, en ce qui me concerne, c’est le processus plutôt que la situation analytique en elle-même. Et, une des particularités est de démêler grâce au processus psychanalytique, s’il y a autoanalyse ou non. L’autoanalyse est d’après moi une boussole incroyable et précise. Grâce à l’autoanalyse, on peut faire la distinction entre les similitudes et les différences présentes dans ces deux modèles. L’analyste peut découvrir des nuances différentielles dans son approche de la régression, du transfert, du contre-transfert, des silences, de l’identification projective, de la résistance, et d’autres phénomènes psychiques.
“L’analyste a besoin de l’autoanalyse pour atteindre la latence de la situation analytique” dit L. de Urtubey (1994, p.725). Alors que son échec ou son absence révèle au contraire des difficultés pour s’engager dans un processus. En outre, les échecs et les absences dans l’analyse et dans la névrose de transfert peuvent faire apparaître des troubles graves de la personnalité et on peut se demander quel type de modèles thérapeutiques choisir pour accompagner le patient dans sa recherche psychologique. Pour résumer mes idées issues de mes expériences cliniques, je ferai l’hypothèse que la présence de l’autoanalyse montrera ses qualités de “boussole” et influencera les modèles thérapeutiques en vigueur. Qu’il s’agisse d’un modèle ou d’un autre, le processus reste le même. Acceptons donc l’ensemble des similitudes et des différences dans cette double identité et cette double appartenance dès le début de notre formation à la thérapie.
Le thérapeute irrévérencieux
Une question reste en suspens : l’analyse comporte deux moments : la pré-analyse et l’analyse proprement dite, avec une co-existence de multiples thérapies dont le champ d’action et les limites restent imprécis et confus. Cela suppose que nos modèles, nos connaissances, nos croyances et nos pratiques gardent une “touche” d’irrévérence. Ainsi l’identité et l’appartenance uniquement psychanalytique dans la compréhension du psychisme est remise en question. En même temps, cela souligne l’importance du développement et de la réactualisation des paradigmes qui caractérise la psychanalyse : la base de la formation.
Pour conclure, si le thérapeute est irrévérencieux, subsistera un débat intemporel entre ces deux modèles thérapeutiques fondamentaux.
Références
Cecchi, G. (1994). “Construccionismo social e irreverencia terapéutica”. En Nuevos Paradigmas, Cultura y Subjetividad. Buenos Aires, Edit.Paidós, 1995
Chassell (1953). “Mesa Redonda sobre Psicoanálisis y Psicoterapia”. En Revista de Psicoanálisis ; Montevideo, XVIII, 1971
De Urtubey, L. (1994). Sobre el trabajo de la contra-transferencia en Revista de Psicoanálisis A.P.A. Buenos Aires, 1994.
Freud, S. (1904-05). Sobre Psicoterapia en Obras Completas, Tomo VII ; Buenos Aires, Edit.Paidós : 1970.
Israel, P. Jiménez, J.P. ; Kirshner, L. (1999), Foco en Newsletter IPA, Vol. 8, n° 1
Kuhn T. (1962). “La estructura de las revoluciones científicas”. En Cultura Económica, México, l971.
Médici de Steiner, C., (2001). Psicoanálisis de Niños y Psicoterapia Psicoanalítica de Niños.