Tu n’as pas honte ?
Éditorial

Tu n’as pas honte ?

Tel est le rappel formulé à l’enfant ou l’adolescent qui vient de déroger à une règle de conduite engageant le surmoi de l’un de ses deux parents. Freud ne lui ayant pas consacré de théorie constituée, la honte a fait l’objet de nombreuses batailles théoriques sur ses racines dans la psyché humaine. S’il revient à Ferenczi d’avoir repéré le lien indissociable entre honte et trauma, les avis divergent sur le moment et la place de la honte dans la constitution du sujet de l’inconscient. Freud insiste sur la honte originaire, appelée aussi honte primaire, rejeton de l’idéal du moi, et la distingue de la honte dite secondaire, liée au déclin de l’Œdipe. C’est à cette forme seconde que nous confronte la clinique des enfants, alors même que la « latence » n’est plus toujours au rendez-vous de l’âge à laquelle elle donne son nom. Dans la clinique de l’adolescence, cet affect surprend par sa présence récurrente, par son intensité, par la diversité de ses expressions. La honte est alors sous-tendue par des représentations sexuelles, le plus souvent inconscientes, qui ont des manifestations cliniques très variées. Une forme commune en est l’éreutophobie, où le sujet a honte « pour des raisons inconscientes », selon Freud, et qui porte sur le dévoilement d’un savoir précoce en matière de sexualité. C’est que la honte est un signe dont on peut souvent tracer la généalogie : il s’arrime à un signifiant. 

Ainsi faudrait-il démêler le nouage particulier dont témoigne la mode du « selfie », entre absence de honte à se montrer et honte d’être vu. L’image de soi est essentielle chez tout adolescent, tout particulièrement dans notre société du paraître. S’exposer aux regards au risque de la honte : c’est le mouvement paradoxal qu’épingle l’expression qui fait aujourd’hui florès, « se taper l’affiche ».

D’une façon plus générale, la honte est présente dans de si nombreuses occurrences cliniques, que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un élément structurel, constitutif de la position de sujet à l’adolescence, et qui perdure bien 
souvent à l’âge adulte ?

Didier Lauru,
psychanalyste Espace analytique, Directeur CMPP Etienne Marcel