Réfléchir à la question de la résidence alternée inscrit la pensée dans une problématique vivifiante ! Il s’agit en effet de se mettre au carrefour de préoccupations croisées et complémentaires tant dans le champ clinique, social, judiciaire que familial. L’enjeu majeur de la journée du 8 avril 2013 fut, au-delà d’un débat de société passionnel, de faire notre travail de clinicien, c’est-à-dire mettre l’enfant au cœur des préoccupations, dépasser les contraintes et demandes (parfois légitimes des parents) et rendre compte de ce que les enfants ont à vivre au sein de certaines organisations familiales. Il ne s’agissait en aucun cas de lisser la problématique, de trouver un consensus plat, mais de s’accorder sur des enjeux cliniques essentiels, incontournables afin de donner aux professionnels sur le terrain et aux magistrats en particulier, des éléments cliniques suffisants pour nourrir leurs pratiques et décisions. Les intervenants de cette journée, d’horizons croisés et complémentaires (juriste, sociologues, cliniciens, membres d’associations…) ont renforcé la nécessité, autour de cette question, d’un débat éclairé, humain et respectueux.
L’idée majeure autour de laquelle s’accordent tous les orateurs et cliniciens réside dans la volonté de protéger la singularité et l’histoire originale de chaque enfant, de chaque situation. Certes il est important de dessiner des lignes de force, de s’entendre sur des impératifs cliniques mais surtout il est essentiel de résolument plaider pour des prises en charge « sur mesure » tenant compte des différentes composantes de chaque famille. Cliniciens et chercheurs se rejoignent sur la nécessité de penser l’organisation du quotidien d’un enfant en fonction de paramètres propres à chaque trajectoire de vie mais se doivent néanmoins de donner des critères assez généralistes en évitant l’écueil de figer les représentations. Les connaissances développementales et psychopathologiques du bébé, de l’enfant, de l’adolescent, dessinent des panoramas psycho- affectifs aux enjeux relationnels souvent contrastés. Bien évidemment l’âge de l’enfant est un critère majeur de différence d’approche et de compréhension : l’environnement d’un bébé, d’un enfant ou d’un adolescent se doit d’apporter et garantir des supports de développement très différents. Dans le très précoce de l’existence, la qualité d’un environnement qui répond aux besoins relationnels de l’enfant et à sa sensibilité particulière, détermine un sentiment de sécurité de base, essentiel à un développement épanoui. A travers l’investissement premier d’une figure de sécurité contenante et inscrite dans une continuité relationnelle anticipable, s’organise pour le tout-petit la conviction que le monde interne et le monde externe valent la peine d’être explorés. C’est aussi grâce à l’intériorisation continue de la figure d’attachement primaire, que les fondations narcissiques indispensables à l’estime de soi et au sentiment d’être acteur de sa vie peuvent se « couler ». Le ressenti de continuité n’est pas à confondre avec présence continue, mais s’inscrit dans une alternance rythmée entre contact et solitude. L’enfant doit pouvoir « absenter » la figure de sécurité tranquillement, en sa présence, afin de passer du contact direct à la représentation. Ces mouvements psychiques fondateurs varient dans leur rythme et tempo, d’un enfant à l’autre, et peuvent par là même, être mal- menés par l’absence de permanence d’un cadre de vie.
La question de la résidence alternée vient interroger en direct celle de la bisexualité psychique. Des hommes et des femmes, des pères et des mères, de l’anima et de l’animus… de la différence ! Comment tout ceci se pense et se vit au sein des nouvelles compositions familiales ? Les deux genres ne sont pas interchangeables et très précocement, féminin et masculin s’équilibrent dans les représentations du monde de l’enfant. La bisexualité se retrouve dès la mise en place des enveloppes psychiques au sein de la double fonction holding (du côté maternel) et limite (du côté paternel).
La co-construction par le bébé de la place du tiers, étape indispensable du développement psycho- affectif, s’appuie sur la tranquille certitude de la fiabilité rassurante et constante de la figure d’attachement. La triangulation peut alors se généraliser à des tiers substituables. Il devient de ce fait très apparent que pour le tout-petit la résidence alternée représente un cadre de vie dont les contraintes constituent autant d’entraves à un developpement psychique harmonieux. Partir de l’idée forte que référence n’est pas préférence permet de désigner aux parents des places et rôles différents où la qualité de la mise en place des liens prime sur la quantité faussement égalitaire de temps passé avec l’enfant. Entre 3 et 6 ans. Période complexe : les éléments œdipiens trouvent dans ces configurations d’organisation du quotidien de quoi nourrir culpabilité et symptômes névrotiques. La loyauté des enfants est grande et leur soutien aux parents fragilisés par les aléas de séparations parfois musclées est évident.
Entre 6 et 12 ans, la capacité de symbolisation de l’objet absent est certes acquise, mais la nécessité d’un lieu investi comme base secure reste prégnant. La résidence alternée devient beaucoup plus supportable, de là à la penser souhaitable…
A l’adolescence : même s’il serait malvenu de laisser l’ado décider de son cadre de vie, celui-ci devient néanmoins beaucoup plus acteur de son quotidien et des enjeux relationnels. Là encore chaque cas devrait pouvoir garder sa singularité dans une souplesse d’adaptation témoignant d’une organisation contenante et malléable. Pouvoir investir des espaces de vie séparés, différents et complémentaires, décider selon les moments et les vicissitudes de la crise pubertaire d’un endroit plutôt qu’un autre, offre à l’adolescent un jeu (au sens où l’on dit qu’une serrure a du jeu) salutaire dans des réaménagements œdipiens parfois « brûlants ». Mais là encore, la tolérance conjointe des parents est indispensable pour autoriser ce nomadisme, tout en garantissant un cadre rassurant par sa solidité. Or, la résidence alternée recèle un paradoxe fondateur : pour qu’elle soit bénéfique à l’enfant (importance de l’âge), il convient que les deux parents dans la tourmente d’un conflit douloureux, préservent leur confiance dans les compétences parentales de l’autre. Parce que les enjeux existentiels en sont vitaux et que la loyauté des enfants à l’égard des parents est constante, l’observation rapide pourrait aller dans le sens d’une adaptation très souple des enfants à leur mode de vie quel qu’il soit. Des observations plus fines et éclairées sont nécessaires pour repérer le coût majeur en termes développementaux pour un enfant d’avoir à composer avec un environnement discontinu voire insecure. Rares sont les enfants (petits et grands) « dénonçant » la difficulté d’accordage de leurs espaces de vie, tant ils ont une perception aiguë de la souffrance de leur parents.
On aimerait penser la résidence alternée comme une solution idéale dans un monde parfait ! Cela étant, les enfants non seulement ont des ressources insoupçonnées, proposant eux-mêmes des alternances ou des solutions de résidence, mais deviennent actifs et participatifs. Cette dimension active leur permet de mieux affronter la souffrance de la séparation de leurs parents, d’en comprendre le sens et de ne pas s’installer dans une place de victime passive. Bien évidemment l’âge de ce que les magistrats repèrent comme âge du discernement est requis pour que l’enfant trouve bénéfice à devenir acteur de son destin.
Cette journée, on le comprend, fut un plaidoyer pour une clinique fine et adaptée à chaque situation familiale. Partir de l’enfant, (des enfants) dans son parcours de vie, sa sensibilité relationnelle, l’environnement de plus ou moins grande qualité qui est le sien et des composantes de son quotidien, devrait devenir le réflexe des adultes et professionnels.
Les conflits conjugaux et les douleurs de certaines séparations peuvent entraver parfois lourdement les capacités d’identification des adultes aux besoins et désirs des enfants. Cette attitude adultomorphique peut contaminer les professionnels, sidérés qu’ils sont par la détresse et la souffrance des parents. Comment alors garantir aux enfants une continuité de pensée au-delà des différences d’enjeux, de représentations et d’approches théoriques ? Comment soutenir des compétences parentales attaquées par des rivalités conjugales parfois haineuses ? Comment rendre à nouveau possible des jeux identificatoires vivants ?
Si l’enjeu majeur de la journée du 8 avril était de poser la problématique dans toute sa complexité, il semble plus qu’atteint : au fil des interventions apparaissait une clinique subtile, riche, et aux enjeux importants pour le développement psychique. Une fois encore la résistance des adultes à s’identifier aux ressentis des enfants avec une « surdité » à ce qu’ils peuvent exprimer, semble être un des obstacles majeurs. Faire entendre ce qu’ont à dire les enfants petits et grands de leur quotidien, servir en quelque sorte de porte-parole devrait représenter l’engagement des adultes en place de responsabilité.
Aujourd’hui c’est de la parole des bébés, des tout petits dont il s’agit, parole d’autant plus essentielle qu’elle témoigne des fondations de l’être. Et là, la fonction « porte parole » des professionnels est d’autant plus nécessaire et évidente ; pouvoir recueillir, transcrire et témoigner de ce dont un bébé a besoin pour garantir un développement harmonieux.