Sylvain Missonnier : La mère, le bébé et le père du 3ème millénaire
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Sylvain Missonnier : La mère, le bébé et le père du 3ème millénaire

La SPP a eu le plaisir de retrouver la vivacité clinique de Sylvain Missonnier lors de sa Conférence d’Introduction à la Psychanalyse à la SPP, intitulée “ La mère, le bébé et le père du 3ème millénaire”, suivie par zoom par plus de 150 participants le mercredi 16 décembre 2020.

D’emblée, nous sommes plongés dans l’univers de la maternité où travaille S. Missonnier, qui nous conte une saynète de vie et déploie le florilège de questions que peuvent se poser les hommes dans leur devenir père. Fort de son expérience en périnatalité et des groupes de papas qu’il anime depuis des années, il nous montre l’importance de cet espace pour élaborer les angoisses, le manque, les tâtonnements, la métamorphose du papa. Cette clinique du tout-venant, par la réédition de la bisexualité offerte par ce passage, montre une amplification des fantasmes originaires de vie utérine, de séduction, de scène primitive et de castration pendant la période prénatale chez le père. La question du fantasme de l’homme d’avoir une poche à bébé apparaît centrale et S. Missonnier, à partir du cas du petit Hans, montre le parallèle entre la dépressivité du petit garçon découvrant qu’il est dépourvu de poche à bébé et la résurgence de la position dépressive chez le devenant père (plus précisément  sa « capacité dépressive de la vie psychique » au sens de Fédida, 2001).

On dispose de plusieurs pistes étiologiques concernant cette dépression/dépressivité paternelle.

La première est la réactualisation du conflit œdipien chez le devenant père avec résurgence de la rivalité fraternelle. S. Missonnier raconte le souvenir issu d’une expérience de Michel Soulé sur la triadification à l’échographie, qui illustre bien cette confrontation du père au rival œdipien.  Le père, pointant le ventre de sa femme, s’adressait alors à l’échographiste en disant : « Eh monsieur, il y a quelqu’un chez moi ! ». Dans la réalité psychique de cet homme, l’utérus de sa femme était chez lui et S. Missonnier nous rappelle qu’avant la jalousie du père face à l’enfant tétant les seins sexuels de sa femme, on trouverait l’enfant s’appropriant l’intérieur de l’utérus maternel.

La deuxième piste serait la réédition d’une relation d’objet archaïque. Le père peut se retrouver face à une mère archaïque qui aurait droit de vie ou de mort sur ses habitants. En effet, la mère toute puissante a le pouvoir de fabriquer un héritier, mais derrière ce pouvoir de concevoir, le négatif ne serait jamais loin et la fausse couche et la prématurité pourraient venir rompre cette contenance maternelle sans faille. S. Missonnier illustre par l’exemple d’une femme, mère d’un prématuré, écrasée du sentiment de honte et d’humiliation de « n’avoir pas été capable de finir son enfant ».

La troisième piste serait la naissance comme traumatisme, soit qu’elle confronterait l’homme à la représentation d’une femme, mère toute puissante munie d’un pénis lors de l’expulsion soit qu’elle mettrait en péril l’enveloppe narcissique du père. A. Aubert-Godart énonce à ce sujet que la menace dépressive est là pour le père, s’il ne parvient pas à transférer une partie du narcissisme attaché à sa personne et notamment à sa puissance génitrice sur l’enfant qui en résulte.

La quatrième piste à la dépression périnatale paternelle ressortirait des relations de couple et de ce qu’A. Eiguer a intitulé le choix d’objet conjugal (narcissique ou objectal).

S. Missonnier propose ensuite trois scénarios archétypaux pour approfondir les pistes œdipiennes et préœdipiennes de cette dépressivité/dépression paternelle.

Le scénario d’Abel et Caïn, avec la rage de Caïn car Dieu lui préfère son frère, illustre la rivalité fraternelle œdipienne réactualisée chez les devenant-pères. L’enfant à naître est un frère/sœur, rival narcissique, source d’attaque envieuse et ou d’idéalisation réactionnelle. Chez certains pères, les passages à l’acte violents montrent l’incapacité à résoudre ce conflit œdipien, le rival devient alors celui à exclure ou démolir car trop menaçant pour leur narcissisme.

Le scénario de Laïos pose quant à lui la question : « va-t-elle m’aimer encore ? » La maternité va-t-elle tout balayer de sa sexualité féminine ? de la vie amoureuse ? En effet, la rivalité à l’égard de l’enfant à naître porte sur l’attention, la tendresse, l’amour de l’amante devenant mère et qu’Œdipe risque de voler à Laïos, son père.

Le scénario du petit Hans quant à lui illustre l’angoisse de castration et le renoncement chez le petit garçon à la poche à bébé. Le cas du petit Hans publié en 1909 par Freud grâce aux observations de Max Graff, père du petit Hans, montre comment le complexe de castration de Hans flambe à l’occasion de la grossesse de sa mère. En effet dans le conflit œdipien, le désir sexuel de Hans pour sa mère et ses sentiments ambivalents à l’égard du père aimé profondément mais aussi haï comme rival à abattre, ont provoqué un conflit entre des sentiments contradictoires, déplacé sur un objet phobogène évitable, le cheval. S. Missonnier, reprenant la note de Freud ajoutée en 1923, rappelle les racines du complexe de castration : « L’acte de la naissance, en tant que séparation d’avec la mère avec laquelle jusqu’alors on ne faisait qu’un, est l’original de toute castration ». Les théories sexuelles infantiles du petit Hans confronté à la grossesse de sa mère enceinte de Hanna constituent le canevas des conflits psychiques du devenant père pendant la grossesse de sa femme. S. Missonnier reprend alors le dialogue entre Hans et son père :

Hans : – oh si, un petit garçon a une petite fille. Père :  – tu aimerais bien avoir une petite fille ? Hans : – oui l’année prochaine, j’en aurai une, elle s’appellera aussi Hanna.
Père : – Pourquoi donc Maman ne doit pas avoir de petite fille ?
Hans : – Parce que moi justement j’ai envie d’une petite fille.
Père : – Mais tu ne peux pas avoir de petite fille. Hans : – Oh si, un petit garçon a une petite fille et une petite fille a un petit garçon.
Père : – Un petit garçon n’a pas d’enfant. – Seules les femmes, les mamans ont des enfants.
Hans :- Pourquoi donc pas moi ? – Je voudrais tellement avoir des enfants.

On voit dans ce dialogue se déplier le processus de l’enfant confronté à la différence des sexes. Hans, au début, ne veut pas renoncer à sa toute puissance et soutient qu’il peut être les deux à la fois, fille et garçon pour s’acheminer vers la reconnaissance de cette castration, de ce manque de poche à bébé et vers la capacité dépressive.

Puis S. Missonnier termine sa conférence par le cas clinique d’un homme se transformant en Don Juan chaque fois que sa femme se trouve enceinte. Les premières séances font émerger le mandat générationnel à l’œuvre dans cette histoire où cet homme avait eu le sentiment que ses parents lui avaient fait un enfant dans le dos après avoir été pendant des années leur enfant unique. Devenir Don Juan, en suivant le fil interprétatif œdipien, lui permettait de reprendre à son compte cette trahison, cette rage d’autrefois, ressentie enfant, en se vengeant de sa mère à chaque grossesse de sa femme. Dans la deuxième moitié du parcours psychothérapeutique, il aborde la chape de plomb qui lui tombe dessus, le sentiment d’être vidé, désemparé, chaque fois qu‘il arrive à la maternité et poursuit en disant : « Oui, en arrivant ici, je suis confronté à ce que je n’ai pas ».
S. Missonnier reprend alors : « Vous voulez dire avoir un bébé ? ». Se déploie alors la rage de ne pas posséder le pouvoir de fabriquer des bébés comme sa femme. Ce patient, après avoir pu formuler son complexe de grossesse et son désir de poche à bébé, vit ses symptômes de Donjuanisme et son besoin de capturer sa proie disparaître.

Riches sont ensuite les questions et associations découlant de cet exposé. F. De Lanlay souligne la question du fantasme parricide et infanticide chez ces devenant-pères prenant du même coup la place de leur propre père et convoitant celle de leur fils envié. M.-L. Léandri convoque Montaigne et associe quant à elle sur la tendresse, voie non incestuelle, tactile et sensorielle se tenant à l’abri de toute dérive, d’une dépressivité trop grise ou d’un amour trop idéalisé, haineux.
Puis sont esquissées les questions autour de la possibilité d’élaborer tous ces fantasmes dans les parcours de PMA. S. Missonnier associe alors sur Platon en rappelant que les humains sont enragés d’être mortels et qu’ils contrebalancent cette rage par l’éternité générationnelle. Recevoir des humains privés d’éternité générationnelle nécessite de pouvoir entendre cette castration, source de souffrance existentielle.

S. Missonnier nous a fait entendre, tout au long de cette conférence, son engagement profond envers le travail de la pensée pour permettre à tous ces fantasmes particulièrement sollicités durant cette période de se déplier et ainsi en finir avec l’omerta qui opacifie le processus de paternalité et l’inhospitalité de notre société par rapport à l’élaboration de la dépressivité de l’homme. Et de conclure : « on ne naît pas père, on le devient » …

Sophie Martineau
psychologue clinicienne
AEF SPP

Bibliographie

– Fédida P. (2001). Des bienfaits de la dépression : éloge de la psychothérapie, Paris, Odile Jacob.
– Missonnier, S. (2009). Devenir parent, naître humain. La diagonale du virtuel. Paris, France : PUF.
– Missonnier S., Blazy M., Boige N., Presme N., Tagawa O., (2012). Manuel de psychologie clinique de la périnatalité, Paris, France : Masson.
– Missonnier S. (2019), Clinique des métamorphoses, Toulouse, France : Érès.
– Missonnier S., Golse, B. (2021), Le fœtus/Bébé au regard de la psychanalyse. Vers une métapsychologie périnatale. Paris, PUF (sous presse).