Alain Casanova, Monique Saladin Serge Lebovici par lui-même et ceux qui l’ont connu Editions Bayard, 2003 et Rencontre avec un homme remarquable Document vidéo et DVD, 3 heures 30. Il s’agit d’un livre et d’un film, c’est-à-dire d’une entreprise inhabituelle et plurielle comme est pluriel l’homme que nous avons à découvrir avec ses paradoxes. Il n’existe sans doute pas de témoignage équivalent sur la vie et l’ouvre d’un psychanalyste, ni même sur aucun autre intellectuel de notre temps. Depuis la disparition de Serge Lebovici, les hommages publics se sont succédé, chacun a essayé de dire ce qu’il en avait reçu, et nous retrouvons ici leurs témoignages. Cependant le travail d’Alain Casanova et de Monique Saladin ne vise ni au mausolée ni au concert d’éloges, mais à une ouverture sur la vie et sur l’avenir en nous faisant rencontrer à notre tour un homme remarquable.
Nous suivons plusieurs fils : le fil de son histoire personnelle, le fil de sa carrière, longue et riche de travail et d’innovations, le fil de sa pensée analytique résumée avec simplicité et profondeur par Philippe Jeammet, le fil de son enseignement clinique et intellectuel tant en France qu’à l’étranger. En face d’un tel foisonnement, un livre et un document filmé de trois heures et demie sont largement nécessaires. On n’est pas toujours dans le confort ou dans l’adhésion lorsqu’on découvre la personnalité de Serge Lebovici. Ce n’était pas un homme de clan ou d’école, un homme avec lequel on était toujours d’accord, il aimait la confrontation et le conflit et c’était sa force que de n’en avoir pas peur. Véronique Lemaitre insiste sur l’idée qu’il était toujours à même de tirer l’aspect positif d’un conflit pour lui-même comme pour les autres.
À de nombreuses reprises, ici comme à d’autres occasions, il ne craint pas de s’exprimer à la première personne. Pourtant le Je dans ce cas est un je qui nous touche parce que l’on se sent intimement concerné par ce qu’il fait, ce qu’il est et ce qu’il dit. Tous ceux qui l’ont côtoyé ou qui ont travaillé avec lui s’accordent sur cette idée centrale qu’auprès de lui, on commençait à se trouver soi-même. C’était probablement un don exceptionnel que possédait cet homme que d’avoir le pouvoir d’ouvrir pour chacun une perspective sur la découverte de soi, que ce soit au travers d’une seule rencontre ou à la faveur d’une collaboration plus longue. C’est à proprement parler la tâche que s’assigne la psychanalyse, psychanalyse que sa vie et sa pensée mêlaient si intimement. Il n’allait pas seulement à la rencontre des autres, mais surtout il se laissait prendre par les autres. Son souci de curiosité et d’intérêt pour autrui n’était pas de l’ordre d’un rapt mais d’un échange et même d’un don.
S’il est une image que je retiendrai plus particulièrement parce qu’elle symbolise à merveille me semble-t-il la fascination si particulière qu’exerçait Serge Lebovici sur ceux qui le rencontraient, c’est celle de l’ambassadeur du Mexique à Paris. La scène se passe dans les locaux de l’ambassade, Michel Botbol et Serge Lebovici participent à une réunion de travail inaugurale d’une collaboration de longue haleine avec des collègues mexicains. L’ambassadeur vient saluer cette assemblée avec une courtoisie toute diplomatique et s’installe pour quelques instants dans un canapé. Puis la séance démarre par la projection d’une bande vidéo retraçant une consultation de Serge Lebovici à Bobigny. Non seulement l’ambassadeur reste pour visionner l’intégralité de la consultation, mais il assiste à toute la séance de travail visiblement passionné par ce qu’il voit et ce qu’il entend.
Les grands psychanalystes comme les grands artistes ont des qualités telles qu’elles ne sont pas transposables. Le charisme de Lebovici car, bien évidemment, il en avait et s’en servait, n’est pas plus transposable que celui des autres, par contre, il ne s’en servait pas seulement pour séduire mais aussi pour encourager chacun à puiser dans ses propres ressources. Ce qui paraît très perceptible au-delà des témoignages rassemblés, c’est que cet effet est aussi présent pour le spectateur ou le lecteur et ce n’est pas un des moindres mérites d’Alain et de Monique d’avoir réussi à nous le faire partager.