Comment parler de la douleur sans peine, surtout quand elle est dédiée à un disparu ? Il n’existe pas de manuel qui s’appellerait « la douleur sans peine » : cette langue-là ne s’apprend pas, d’ailleurs ce n’est pas une langue - un cri peut-être, ou une plainte, ou un silence, celui du Recueillement auquel Baudelaire invite en le brisant - « sois sage, ô ma douleur, et tiens toi plus tranquille/Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici...». Communiquer avec sa douleur, le poète seul en est capable, lui qui en fait sa « compagne intime », selon Jean Starobinski1 : « Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici, Loin d’eux. ». Le poète ?... Baudelaire, oui, mais pas tous les poètes : pour Henri Michaux par exemple, que cite Pontalis, Face à ce qui se dérobe, « les rapports si difficiles à établir avec la souffrance, voilà ce que ne réussit pas le souffrant, voilà sa véritable souffrance, la souffrance dans la souffrance »2. Comment parler avec une douleur qui ne répond pas, qui ne me donne pas la main, à qui parler de la douleur quand « l’objet cesse d’avoir la fonction de répondant possible3 » ? Et puis encore, comment parler en public d’un affect si intime, si privé4, si peu présentable sinon dans les habits de l’endeuillé, ou masqué par la souffrance ?
Entre souffrance et douleur, Pontalis éclaire la nuance (même si de Baudelaire à Michaux, que j’évoquais plus haut, l’écart de sens est peut-être bien inversé). Il en fait l’hypothèse : la souffrance manifeste, bruyante, répétée, sert parfois d’écran à la douleur - elle peut même avoir pour fonction, comme dans la souffrance du scénario sadomasochique, d’évacuer la douleur psychique : le cri, contre le silence. La thématique répétée de la souffrance dans les discours psychologiques contemporains pourrait d’ailleurs bien avoir la même…