« Clinique des rêves répétitifs », c’est le titre que Sabina Lambertucci-Mann avait choisi pour le programme du cycle de Conférences d’Introduction à la Psychanalyse de la Société Psychanalytique de Paris. Pour sa conférence du 31 janvier 2020, elle y a adjoint : « Rappels théoriques et illustration clinique », citant Freud (1933) pour qui l’essentiel est « qu’un titre rende compte du contenu et n’éveille pas de fausses attentes » et la conférence a effectivement tenu ses promesses.
Avant d’en dessiner la théorie développée par Freud au fil de sa pensée, Sabina Lambertucci-Mann nous a rappelé que le rêve est un objet d’intérêt constant pour lui. Dès 1900, dans L’interprétation des rêves, il décrit un contenu manifeste et un contenu latent du rêve reliés par le travail de rêve : censure et déformation déguisent et voilent le désir inconscient. A cette époque, Freud considère le rêve comme une réalisation hallucinatoire de souhait, alors que vers la fin de son œuvre, et surtout après le tournant des années 1920, le rêve acquiert une nouvelle fonction, celle de traiter la dimension traumatique sous-jacente aux rêves. La notion de travail de rêve prend encore plus d’importance et sa réussite devient incertaine. Cette nouvelle conception « Au-delà du principe de plaisir » intègre les effets de la première guerre mondiale et notamment les rêves répétitifs, les névroses de guerre et d’autres névroses traumatiques. Sabina Lambertucci-Mann souligne le terme choisi par Freud : le rêve n’est plus une simple réalisation de souhait, mais une « tentative » de réalisation hallucinatoire de souhait.
La nuance a son importance puisque se place ici le vaste groupe des troubles du sommeil. Comme les cauchemars et/ou les réveils nocturnes, les rêves répétitifs témoignent d’un achoppement du travail de rêve et donc de l’échec de la déformation et de la transformation. On comprend pourquoi les rêves répétitifs suscitent l’intérêt de Sabina Lambertucci-Mann dont le rapport pour le CPLF de Gènes en 2018 avait justement pour objet les transformations psychiques et plus particulièrement le travail de déformation 1.
Les névroses traumatiques sont caractérisées par la contrainte à produire des cauchemars, des rêves répétitifs. Aux prises avec des excitations internes et externes, privé de sa capacité de déformation et donc de transformation, l’appareil psychique est menacé. Le rêve ne peut plus jouer son rôle classique de gardien du sommeil : « Quand surgit une grande quantité d'angoisse, liée aux difficultés de la censure et aux attractions négatives émanant du souhait inconscient, les rêves répétitifs se transforment en cauchemars ou en terreurs nocturnes, somnambulisme ou insomnie. La répétition tente de limiter la compulsion. Elle peut alors immobiliser le travail de rêve ; le réveil devient alors parfois l'unique solution pour contrer la quantité d’angoisse ». Comme le passage à l’acte, le rêve répétitif s’apparente à une décharge obéissant à la compulsion de répétition, logique démoniaque qui peut rendre le travail analytique difficile mais pas impossible : « La clinique des rêves répétitifs traduit une confusion entre dedans et dehors, entre sujet et objet, mettant en jachère les processus d’inscription des traces mnésiques ainsi que tous les renoncements nécessaires au devenir-conscient ». La remise en jeu d’un processus oscillatoire de régression-progression et/ou déliaison-reliaison, peut produire de nouvelles transformations « créant des conditions pour le traitement des excitations qui débordent le moi. Dans les bons cas, ces excitations pourront, grâce à ce travail de transformation, se muter en pulsions et quitter la seule voie courte de la décharge ». Le travail du psychanalyste consiste à reconstruire la déformation pour éviter la répétition du traumatisme qui sidère et fige le fonctionnement psychique. « La déformation est ainsi reliée, d’abord, à l’activité de censure du rêve et, plus tard, aux exigences du surmoi qui implique un travail de deuil ». Ainsi, lorsque le travail de déformation est possible, il favorise l’endeuillement des objets d’enfance.
Dans la situation clinique de perte traumatique amenée par Sabina Lambertucci-Mann, la transformation, à partir de l’intérêt que lui porte l’analyste, ainsi qu’un travail sur les éprouvés, finit par faire disparaitre un rêve répétitif et émerger un souvenir annonçant un véritable moment mutatif. Les interventions de l’analyste sur la dynamique du rêve ont favorisé une reprise associative et un investissement authentique du fonctionnement psychique. Dès le début manquait la possibilité d’accéder à des constructions fantasmatiques inconscientes permettant d’arrimer les fantasmes à des représentations et d’accéder, selon la logique de l’interprétation du rêve, aux motions pulsionnelles déguisées par le travail de déformation. C’est ce ratage du travail de rêve que la répétition confirmait. La patience d’un travail analytique s’attachant aux nuances du discours, aux sensations, a permis l’émergence d’un vrai fantasme, une capacité nouvelle de figuration et un travail de construction. À cette figuration sont alors rattachées d’autres bribes de souvenirs. D’autres fantasmes sont retrouvés ou construits, les processus de pensée sont relancés, ouvrant vers la mentalisation. Plus tard, la réapparition du rêve répétitif, sous une forme différente, signe le travail de déformation qu’a permis le travail analytique en lui adjoignant une signification nouvelle.
« L’atténuation de la qualité trau-matique du rêve répétitif permet alors une première construction d’un fantasme de scène primitive, précurseur d’un processus de renoncement aux objets œdipiens ». Le barrage lié à un vécu de perte traumatique cède pour devenir un simple déni.
Sabina Lambertucci-Mann a bien montré l’importance du travail de déformation pour la psyché, son absence se révélant, par les rêves répétitifs, certes, mais aussi par l’absence de déguisement du contenu manifeste, la pauvreté des associations, la réduction du travail de rêve au minimum : « Cet aplatissement d’écart entre manifeste et latent, dans le rêve comme dans le discours de séance, condense le noyau du traumatique que l’analyste traite par des tentatives répétées d’affaiblir l’attraction régressive (Freud, 1926) vis-à-vis des effrois traumatiques de disparition ». Dans la situation rapportée, la cure analytique a rendu possible le passage du registre de la compulsion de répétition à celui d’une répétition élaborative du souvenir, une perlaboration. « C’est ainsi que l’analyste participe, par son écoute en égal suspens et par ses interprétations, aux différentes oscillations régressives et progrédientes de son analysant, au passage d’un fonctionnement psychique prototypique de la seconde topique à un fonctionnement plus souple, dit en première topique, enrichi de contenus mnésiques et fantas-matiques. C’est l’élaboration de la conflictualité œdipienne, soutenue par un véritable travail de deuil, qui assure une mentalisation vivante et l’investissement de nouveaux objets d’amour, seule façon de reconnaître la réalité du traumatique en nous ».
La conférence de Sabina Lambertucci-Mann a répondu à nos attentes et plus encore. Elle nous a permis de relier un concept longuement élaboré par l’auteur : « le travail de la déformation » à la réalité du traitement analytique in situ.
Caroline Lebrun
Psychologue, Psychanalyste
Notes
1. Lambertucci-Mann S., Vicissitudes des transformations psychiques. Le travail de la déformation, Revue française de psychanalyse, 2018/5 (vol.82), p.1235 à 1299.