Une loi relative « aux droits et à la protection des personnes recevant des soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » est en passe d’être votée par nos parlementaires. L’accent mis sur les soins sous contrainte nous ramène à une époque ancienne, celle où la folie était confondue avec la dangerosité. La loi de 1838, créant des asiles départementaux et les modalités de placements d’office, avait été réduite à sa plus simple expression lorsque la doctrine de la psychiatrie de secteur (1960), que je considère comme la plus importante révolution dans l’histoire des dispositifs psychiatriques, avait enfin permis de mettre les psychiatres et leurs équipes soignantes au service de ceux qui présentaient une souffrance psychique, quelles qu’en soient les formes. La philosophie de cette psychiatrie de secteur reposait sur l’idée qu’un dispositif de soin psychiatrique doit être construit pour chaque patient à partir de ses besoins, et mis à sa disposition. Le concept de « continuité des soins » venait ainsi traduire en terme administratif la condition de possibilité de tenir compte de la relation transférentielle. L’expérience a rapidement montré que les soins sous contrainte ne concernaient qu’un petit nombre de patients refusant des soins dont ils avaient pourtant absolument besoin. Mais l’essentiel des organisations de soins pouvait se construire sur des liens contractuels entre le patient, sa famille et les équipes de soins de secteur, aboutissant in fine à une « psychiatrie secure ». La loi de 1990 avait déjà alourdi les procédures en croyant les rendre plus justes, et le nombre d’hospitalisations sous contrainte augmentant, la question se posait de savoir comment soigner, même sous contrainte, mais sans dénaturer une psychiatrie de secteur basée sur la confiance et cultivant l’importance primordiale de la relation intersubjective dans les soins psychiatriques. La loi d’inspiration sécuritaire qui pourrait passer bientôt, sauf à rencontrer une farouche opposition, va déclencher un processus de méfiance vis-à-vis de la psychiatrie de la part des personnes concernées, car la notion de soins sous contrainte en devient le principe organisateur prévalent. Que pour quelques patients gravement malades ayant commis des exactions, peut-être parce qu’ils n’avaient pu être soignés comme il convient, on prenne le risque de conduire à nouveau la psychiatrie publique sur le chemin de l’asile du XIXème siècle est un geste politique irresponsable et dont la portée serait incalculable. Nous avons résolument besoin d’une « psychiatrie secure » en appui sur des équipes généreuses de leur humanité, plutôt que d’une « flichiatrie sécuritaire » passant à côté de la grande majorité des patients présentant une souffrance psychique sous le seul prétexte d’en obliger quelques uns à se soigner malgré leur volonté.