C'est à Paul Denis que les organisateurs des conférences d'introduction à la psychanalyse (CIP) de la Société Psychanalytique de Paris ont demandé d'inaugurer le cycle Psychanalyse de l’enfant de cette année.
Quel meilleur représentant de l'esprit de ces conférences, se voulant à la fois accessibles et de qualité, que celui qui, comme Fabienne de Lanlay l'a rappelé dans son introduction, a confié s'être promis pendant sa formation de « s’arranger pour que les gens le comprennent » (Braconnier A., 2007, « Entretien avec Paul Denis », in Carnet Psy, n°122, pp.40-49) s'il devait par la suite enseigner la psychanalyse. Les psychanalystes, psychiatres, psychologues, professionnels du soin, anthropologues, étudiants ou anonymes curieux qui composaient, ce mercredi soir, le public fourni de la salle de conférence du 21 rue Daviel, ont pu en effet facilement suivre ce passeur généreux dans son exploration du « fait psychique ».
Paul Denis a entamé son propos par un constat inquiet. Les pratiques psychiatriques contemporaines réduisent de plus en plus souvent le fait psychique au fait médical. Il ne faut, bien sûr, pas méconnaître l'éclairage des neurosciences, ni les bénéfices de la médication. Mais la psychopathologie ne peut être, pour autant, réduite à un fait biologique. Le fait psychopathologique implique le rôle de l’environnement dans son déterminisme comme dans les soins qu’il nécessite. Ceux-ci ne peuvent se passer de la compréhension de ce qui se passe dans l’esprit et il y faut du temps.
La conférence de Paul Denis intitulée Au cœur de la psychopathologie : la phobie plaide ainsi pour le respect du rôle du symptôme dans l'économie psychique, privilégiant l'établissement d'une relation compréhensive durable sans chercher la résolution immédiate du problème.
L'intérêt de Paul Denis pour la phobie ne date pas d'aujourd'hui puisqu'il est l'auteur d'un « Que sais-Je ? » sur ce thème paru en 2006. Il continue de s'étonner que la phobie soit si peu traitée dans la littérature psychanalytique alors qu'elle est une expérience extrêmement commune et omni-présente dans la psychopathologie.
L'étape développementale dite de « l'angoisse du huitième mois », mise en lumière par Spitz, peut être considérée comme la première phobie observable. L'enfant vit dans les premiers temps la perte de l'objet sur le mode de la terreur, angoisse archaïque marquée par la désorganisation et la dépersonnalisation. L’intériorisation suffisante des premières relations et de l'expérience de satisfaction qu'elles procurent construit des représentations internes qui lui permettront progressivement d'affronter cette perte. Dans la phobie, le vécu de terreur est externalisé et focalisé sur un objet extérieur étranger réorganisant le cours des événements psychiques. La phobie, nous dit Paul Denis, est un moyen de lutter contre la désorganisation intérieure. L'objet phobogène extériorisé protège un objet intérieur garant de la continuité interne. « On ne peut être organisé qu'avec quelqu'un ». Le psychisme ne peut fonctionner sans objet.
Toute phobie implique l'évitement de représentations psychiques porteuses d'une excitation excessive qui risquerait de balayer la continuité de la vie psychique. Les représentations chargées d'une quantité de plaisir ou de déplaisir tolérable permettent le jeu des déplacements, substitutions et refoulements mais certaines représentations sont porteuses d'une telle excitation qu'elles ne peuvent être traitées que par l'évitement et la répression. Ce sont ces représentations traumatiques sidérant la vie psychique qui vont constituer les phobies. La phobie est comme tout symptôme psychique, la meilleure solution que le psychisme ait trouvée pour continuer à fonctionner. Elle a indiscutablement des vertus organisatrices pour la psyché qu'il importe de respecter. Mais tel un « petit délire localisé », elle modifie le rapport à la réalité et restreint plus ou moins les investissements des relations et le fonctionnement psychique. La phobie scolaire est typique du cercle vicieux qui peut conduire d'une difficulté de séparation d'avec la mère jusqu'à un isolement social complet, ce que Serge Lebovici et Annick Le Nestour avaient bien montré dans leur article de 1977.
Certains auteurs, tels que Robert et Ilse Barande sont allés jusqu'à considérer que l'être humain, du fait de sa néoténie, est toujours confronté à un excès d'excitation sexuelle que sa constitution biologique ne lui permet pas de satisfaire pleinement avant la puberté. Psyché n'a pas les moyens physiques de ses ambitions. Cette situation place le psychisme dans une « position phobique fondamentale » qui lui impose la déviation quant au but, le déplacement et la recherche de substituts à la satisfaction pulsionnelle. Cette organisation phobique de la pensée marque originellement la construction psychique.
On retrouve cette idée dans les écrits de Jean-Luc Donnet dans son article Le psychophobe, comme dans la pensée d’Evelyne Kestemberg dans son article La phobie du fonctionnement mental et enfin chez André Green sous le terme de Position phobique centrale. Ces travaux montrent que certains patients non névrotiques échouent à constituer une phobie par projection sur un objet extérieur et s'organisent dans une phobie de leur propre fonctionnement psychique. Toute mise en lien de représentations internes trop chargées d'excitation aura pour eux une potentialité traumatique. Techniquement, le clinicien devra prendre en compte cette psychophobie pour maintenir le lien et la continuité de fonctionnement de son patient par un art délicat de la conversation qui n'aborde que tangentiellement les zones conflictuelles. Paul Denis rappelle là la précieuse notion de « Distance à l'objet » proposée par Maurice Bouvet qui n'est pas la distance entre le patient et son analyste mais, celle entre les représentations évoquées en séance et les représentations internes.
Toute phobie comporte donc un noyau de psychophobie et comme l'annonce le titre de la conférence, la phobie est au cœur de la psychopathologie. Chaque organisation psychique peut être abordée comme un aménagement particulier de cette situation phobique fondamentale.
Les pathologies de l'agir peuvent être envisagées comme des conduites contraphobiques traitant par l'emprise les expériences angoissantes ou désorganisantes. Nombreuses formations de caractère sont également sous-tendues par une lutte contre des phobies plus ou moins conscientes. Ainsi une compulsion au leadership peut recouvrir une phobie de la relation de dépendance. Le besoin de l’agoraphobe d'être accompagné dans la rue le protège contre l’idée d’une tentation prostitutionnelle. Certains attachements conjugaux sont surtout des relations contraphobiques. On comprend que la perte de ces aménagements contraphobiques peut déclencher une vague d'angoisse désorganisante. Mais de façon moins attendue, Paul Denis signale le passage possible de la phobie à la dépression : la perte brutale d'un objet phobogène peut elle aussi déclencher une désorganisation qui engage le sujet à se reporter sur un objet interne qui devient le foyer d’une dépression. Alors que la phobie maintenait une relation avec l'objet extérieur, la dépression surinvestit un objet interne sur un mode mélancolique.
Cette plongée dans la psychopathologie semblait pouvoir se continuer encore longtemps quand Marie-Laure Léandri a dû rappeler l'heure de conclure. Un temps d'échange avec la salle permit d'éclairer le riche propos de la conférence par quelques témoignages et questions cliniques du public. Ces illustrations s'ajoutant à celles, nombreuses, déjà fournies par Paul Denis au cours de sa conférence et que nous n'avons pas pu développer ici.
La suite du cycle Psychanalyse de l’enfant sera confié le mercredi 27 novembre à Guy Cabrol dont la conférence aura pour titre La nuit sexuelle adolescente. Alors que le cycle Psychanalyse de l’adulte démarre le jeudi 10 octobre avec la conférence de Vassillis Kapsambelis La personnalité est-elle symptome ?
Mathieu Petit-Garnier
Psychologue, Psychanalyste