Pierre Fédida s’est engagé dans la pratique de la psychanalyse au cours des années soixante. J’ignore comment il en était venu à choisir l’Association Psychanalytique de France et Georges Favez comme analyste. Ce dont je me souviens très bien c’est que, quand il est venu me voir pour entreprendre une cure supervisée sous mon contrôle, j’ai été surpris par la qualité de l’écoute psychanalytique chez ce collègue à peine plus jeune que moi, qui était surtout marqué par une aura de philosophe et d’intellectuel. I
l s’est très vite montré un brillant théoricien, sachant utiliser sa vaste culture philosophique et ses liens profonds avec la phénoménologie dans une très authentique réflexion freudienne. De même, par la suite, il a su intégrer les différents mouvements de pensée de la psychanalyse française, en particulier ceux issus des recherches de Lacan. Tout récemment encore, lors de ce qui fut notre dernier échange téléphonique, comme nous parlions du rapport entre l’Association Psychanalytique Internationale et les courants de pensée dits « lacaniens », de la nécessité du dialogue clinique entre pensées freudienne et lacanienne, il eut ce mot : « Mais nous sommes lacaniens, toi et moi ». Je répliquais vigoureusement mais je comprenais que, dans sa bouche, il s’agissait moins d’une adhésion à certaines pratiques ou théories qu’à un mode de questionnement que nous partagions depuis plus de vingt-cinq ans. Il a pu ainsi construire un parcours de pensée très original qui a largement contribué à vivifier la clinique française et conféré à son enseignement la place prestigieuse qu’on lui connaît. Cette capacité théorique n’aurait pu se faire sans une grande finesse clinique ; tous ceux qui ont partagé avec lui leur expérience de praticien sont là pour en témoigner.
Pierre Fédida a été Président de l’Association Psychanalytique de France et sa présence au sein de l’Association est restée très forte jusqu’à sa disparition. C’est une grande perte pour l’Association Psychanalytique de France. Rappelons également que Pierre Fédida était très présent au sein des institutions internationales, la Fédération Européenne de Psychanalyse et l’Association Psychanalytique Internationale. Récemment, il avait présenté un rapport très écouté sur la formation dans le cadre de la Fédération Européenne et pour ma part, assumant la présidence de l’Association Internationale, je lui avais demandé d’assurer pour l’Europe la charge d’un important comité sur nos relations avec notre environnement professionnel, les champs de la psychiatrie, de la psychothérapie et des autres écoles de psychanalyse, tâche qu’il avait prise particulièrement à cour. Sa perte sera durement ressentie dans toute la communauté psychanalytique.
Enfin, je voudrais insister sur son ouverture à la pensée contemporaine, en particulier sa co-direction de la Revue Internationale de Psychopathologie. Cette collaboration entre nous a, je crois, marqué une certaine étape des échanges interdisciplinaires en France. Elle nous a permis de rassembler autour de la revue un groupe de psychanalystes amis, mais aussi de psychiatres, de psychologues et de biologistes. J’espère vivement que cette ouvre de réflexion et de débat ne restera pas à mi-parcours et que d’autres pourront la reprendre.
Cette ouverture vers le débat interdisciplinaire a marqué également sa présence au sein du mouvement universitaire français. Il a su mieux que personne assurer cette présence en maintenant une identité psychanalytique très forte et sans concession, tout en témoignant d’une grande curiosité et d’une ouverture au monde des sciences et de la culture. Garder Pierre Fédida en mémoire c’est le tenir pour modèle de cette ouverture et de cette présence, plus que jamais nécessaires.