Service de Maternité. 18h. En fin d’un après-midi de consultations, je reçois Madame C., une jeune femme que je n’ai jamais vue. Je sais une seule chose : une gynécologue-obstétricienne de l’équipe me l’adresse dans le cadre d’un suivi d’infertilité. Je n’ai ni échangé avec cette correspondante, ni lu le dossier. Précision topographique importante : la salle d’attente de mon bureau se trouve au voisinage de chambres d’accouchés en post-partum avec leur nouveau-né.
Mme C. bondit littéralement de sa chaise et rentre dans mon bureau avec une vive énergie. Je l’invite à s’asseoir et m’installe. Une fois assis, je m’aperçois qu’elle est restée debout au milieu de la pièce. Je suis surpris par son regard d’une farouche intensité. Ce n’est qu’un début ! Lentement et avec une émotion tragique, Mme C. me toise, puis profère avec une voix profonde, très inhabituelle dans ce contexte : “Monsieur ! Comment pouvez vous faire votre métier avec des personnes comme moi dans cet endroit ? J’ai perdu un enfant et vous me recevez dans une maternité où l’on respire une odeur de bébé et où on entend ces cris. C’est insupportable. C’est comme ça que vous pensez m’aider ? Si j’avais su, je ne serai pas venue. J’ai trouvé le courage de rester dans la salle d’attente uniquement pour vous dire combien je suis scandalisée.” Touché de plein fouet par cette introduction décapante, je lui demande encore groggy si elle peut me dire comment s’est décidée cette consultation avec moi. Toujours debout, agrippée à son sac et à un foulard, elle me répond, qu’elle est suivie depuis 3 mois pour infertilité par Mme le Dr S. qui l’a invitée à me rencontrer car “elle n’a pas fait son deuil”. Redoublant alors dans le registre rageur, elle déclame : “je vous préviens, cette histoire de faire son deuil, je n’y crois pas du tout. Je n’oublierai jamais. Le souvenir de Léon ne s’effacera jamais ni chez moi et ni chez mon mari.” Je reprends interrogatif “Léon ???”. Mme C. reformule en écho “Léon” en se laissant littéralement tomber sur son siège. Elle pleure un long moment avec des sanglots d’une rare violence qui ponctuent sa répétition du prénom. Quelques minutes plus tard, je propose à Mme C. des kleenex car elle vient de finir ceux de sa pochette. Tranchante, elle me remet à ma place : “oh non les kleenex, je n’ai besoin de personne vous savez, j’ai toujours sur moi une réserve conséquente !” et, de fait, elle prend dans son sac un paquet neuf. Un court silence, puis nous nous regardons en face quelques longues secondes. Je sens chez elle comme la corde d’un arc qui se tend puis, d’un coup, Mme C. s’élance : “Léon est mort d’une fausse-route chez sa nourrice à 4 mois. Elle ne s’en est pas aperçue tout de suite. Elle gardait trop d’enfants. Elle a appelé les secours beaucoup trop tard. J’avais confiance en elle. Elle m’a trahi. Maintenant je la hais, je rêve de la tuer, de tuer un de ses enfants devant elle, même quelquefois de la torturer”. Mme C. se remet à pleurer, s’arrête me dit que cette odeur de bébé est insupportable car elle lui rappelle trop de souvenirs avant la mort de Léon. Elle s’interrompt, me dit qu’elle veut partir, se lève et disparaît comme elle était entrée. Je reste sur mon siège KO assis.
Encore sous le coup de cet orage, je lis le dossier, rencontre sa consultante et discute abondamment avec elle. Mme C. est venue la voir avec son mari pour être enceinte après deux années infructueuses. L’infertilité maternelle est sans étiologie médicale connue. Il semble évident au Dr S. que la catastrophe de la mort de leur fils survenue 3 ans plus tôt est encore un obstacle incontournable pour engager un nouveau projet d’enfant. Ma collègue insiste : ce couple est, selon elle, ravagé mais très attachant, elle croit en leur potentiel. Elle a envie qu’on essaye ensemble de les aider. Deux jours après, j’écris un courrier à Mme C. en lui donnant un rendez-vous. Je lui propose de la recevoir avec son mari et, si elle le souhaite, à l’hôpital mais en dehors de la maternité. Par retour, elle me dit qu’elle sera présente et précise que ce changement de lieu n’est pas nécessaire.
Mme C. arrive seule un quart d’heure en avance. C’est le matin et le temps de la ronde du pédiatre dans les chambres de la maternité. Dès le début de notre rencontre, elle me raconte qu’elle a repensé à l’autre jour et que si elle est conséquente avec elle même, si elle veut réussir à avoir un enfant, elle doit pouvoir supporter ça. Mme C. semble réussir à s’en convaincre avec efficacité.
“Je n’ai que Léon dans les yeux” affirme-t-elle. “Je ne l’oublierai jamais. Je ne veux pas l’oublier”. Sans plus attendre, Mme C. s’engage ensuite dans une description détaillée de la passion démesurée qui l’envahit quasi constamment : la vengeance. “Jamais me dit-elle, je n’ai senti avec autant de force cette envie de tuer quelqu’un. Je pense à Léon aux échographies puis Léon bébé et immanquablement le visage de la nourrice s’interpose et, là, les pires scénarios se répètent indéfiniment. Une fois je la tue. Une autre fois je tue un de ses enfants devant elle.” Ses nuits sont ponctuées d’un cauchemar récurrent où elle voit Léon déglutir et s’étouffer alors que la nourrice s’occupe d’autres enfants et ne voit rien. “Curieusement, me dit-elle, je suis incrustée à distance de la scène mais figée, impuissante, je ne peux rien faire. J’assiste de loin à l’agonie de Léon paralysée et je suis en rage contre les liens invisibles qui me retiennent et l’indifférence de la nourrice.” Je crois être fidèle à la souffrance de Mme C. en affirmant qu’elle est venue me dérouler pendant près de six mois tous les quinze jours un récit répétitif de cet acabit dont elle déplorait elle même la ressemblance et la circularité.
Les thématiques inlassablement récurrentes étaient les suivantes : passivité, impuissance, piège douloureux d’un destin inéluctable conduisant à la folie de la passion, de la vengeance et de la fureur destructrices. Ces ingrédients constituent les pièces maîtresses de la dolor et de la furor de la tragédie grecque puis romaine. Il sont au cœur de la conception psychanalytique du débordement traumatique et de la compulsion de répétition où la passion aliène à son objet. Bien sûr, quand j’invitais Mme C. à emprunter d’autres chemins, elle le faisait volontiers comme pour faire une courte pause dans son envoûtement totalitaire de la haine. Oui, elle en convenait furtivement, elle avait une histoire avant ce drame ; oui, elle avait une grand-mère maternelle d’une infinie tendresse ; oui, elle avait passé enfant des moments inoubliables sur la plage à faire voler un cerf-volant avec son père ; oui, elle s’était beaucoup engueulé avec sa mère à l’adolescence ; oui, elle aimait son travail ; oui, elle avait un mari affectueux oui, oui, oui… mais aujourd’hui, depuis le coup de tonnerre du commissaire venu lui annoncer la nouvelle à son bureau, tout son être était démesurément dédié à la possession exclusive de ce projet de vengeance.
Ponctuellement, son mari l’accompagnait. Cet homme, tendre et contenant, était à l’évidence lui aussi prisonnier d’une douleur abyssale. Il l’exprimait sans détours. Mais, il revendiquait aussi que le temps était son ami pour ce deuil. Par contre, il était profondément meurtri de voir comment sa femme restait bloquée sur sa position. Un point s’imposait comme essentiel dans le propos de Mme C., en particulier quand elle venait en couple : elle voulait à tout prix nous convaincre qu’elle n’attendait rien de la justice même si elle et son mari avaient porté plainte et qu’un procès aurait lieu prochainement : “de toute façon, répétait elle avec insistance, la plus sévère des sanctions ne pourra jamais faire endurer à cette femme ce que j’ai vécu moi même. Ce que j’aimerai, c’est qu’elle vive -ne serais ce qu’une journée- ma peine”. À chaque fois, avec tact, son mari marquait son opposition sur ce point : il croyait en la positivité du processus juridique.
Au fil des rencontres, notre lassitude commune face à la répétition ouvrait imperceptiblement sur une très lente ouverture salvatrice. Mme C. confirmait systématiquement la constance de la passion de sa haine pour la nourrice mais -de manière infinitésimale-, nous en constations la lente -mais certaine-décrue. De fait, tout en inaugurant les entretiens par une variation autour d’un “rien ne bouge”, elle évoquait de plus en plus spontanément d’autres thématiques ancrées dans ce que je pressentais comme étant la reconquête d’un espace conjugal et d’investissements source de plaisirs de moins en moins barrés par la culpabilité.
Lors d’une de nos rencontres, Mme C. m’annonce qu’elle est enceinte. Elle est contente et a bu une bouteille de champagne avec son mari. Toutefois elle tient à me prévenir : avec un ton de tragédienne qui me rappelle les premiers rendez-vous que je commençais juste à un peu oublier : “Ne croyez pas que cela va me faire passer mon envie de vengeance”. Suivront, quatre rendez-vous sur deux mois où Mme C. cherchera à tout prix à me convaincre que cette nouvelle ne chang eait effectivement rien à l’affaire. Je sentais en elle un combat titanesque entre les forces de vie et de mort. Sa volonté extrémiste à vouloir me démontrer que la grossesse n’infléchissait nullement sa détermination s’accompagnait chez moi d’un contre-transfert plus agressif que précédemment. L’enfant qu’elle portait était celui de son mari, mais aussi fantasmatiquement le nôtre, fruit de la contenance bienveillante de la gynécologue qui lui avait prescrit une stimulation ovarienne et du psychanalyste, -moi !- qui veillait à sa stimulation psychique… ! Eh bien, cet enfant virtuel ne trouvait pas de place dans son discours. Il n’était ni nommé, ni sexué, ni objet de témoignage échographique ou proprioceptif. Léon, l’ange, restait le seul maître adoré et la nourrice, l’unique objet de sa fidèle passion haineuse.
Un jour, en croisant le Dr C. dans un couloir, j’apprends interloqué que Mme C. a fait une fausse couche tardive à 4 mois. Je suis sans dessus dessous. Comment Mr et Mme C. vont affronter ce nouveau drame ? Mme C. manque deux rendez-vous puis revient. Le souvenir de cet entretien est gravé dans mon esprit de manière indélébile. Mme C. ne me parlera pas ce jour là une seule fois de la nourrice ni de sa vengeance. Le cri avait laissé place au langage. Elle était calme, j’allais dire apaisée. Son message peut se rapporter en ces termes : “Mon enfant est mort en moi. C’est une affaire entre lui et moi et… personne d’autre. Il est mort dans les meilleures conditions. Ils n’ont rien trouvé à l’autopsie. Le foetopathologiste a bien insisté : il n’y a pas eu de souffrance foetale. Il n’y a pas de souci pour une autre grossesse. Il suffit d’attendre un peu”. En un mot : une mort irréprochable. Enfin, une mort d’enfant en présence ou plutôt en fusion et, du coup, une mort cette fois recevable par la mère. À l’issue de cette rencontre, alors que je posais la main comme à l’accoutumé sur l’agenda, Mme C. me dis d’un ton assuré : “Non je préfère vous voir dès que je suis à nouveau enceinte”. C’est précisément ce qui se produit un an et demi plus tard. Mme C. me contacta par téléphone pour reprendre rendez-vous avec son mari. Monsieur C. prit d’abord la parole pour dire combien il pensait que sa femme allait mieux depuis que le procès avait eu lieu. Contrairement aux audiences où sa femme n’avait pas voulu aller et rencontrer la nourrice, elle avait accepté de la voir au procès. La nourrice, condamnée à ne plus faire son métier, y avait reconnu son manque de vigilance, avait demandé aux parents d’envisager ce qu’en tant que Maman, elle considérait elle même comme impossible : qu’ils lui pardonnent l’impardonnable. Mr C. était convaincue que cette confrontation avec la nourrice serait bénéfique pour sa femme et il avait eu raison. Elle s’est trouvée enceinte un mois après le procès. Des rencontres suivantes avec Mme C., je retiens leur contraste avec celles du départ. Léon était présent mais à bonne distance d’aîné ne condamnant plus sa mère à un culte monothéiste exclusif. La grossesse se déroula tranquillement. Claire émergea doucement du nid prénatal et naquit lors d’un accouchement sans heurts. Un suivi familial avec moi persista pendant 6 mois après la naissance de Claire. La date anniversaire des 4 mois du décès de Léon fut explicitement anticipée et franchie avec une angoisse signal maternelle et familiale adaptée. Six mois après la naissance de Claire, d’un commun accord, nos rencontres se sont interrompues.
Discussion
À l’issue de ce récit, je souhaiterai maintenant en extraire arbitrairement quelques éléments pour amorcer brièvement une réflexion sur la passion de la haine à l’aube de la vie. Je voudrai, pour simplifier, diviser ce récit clinique en trois parties : la première concerne le drame du décès de Léon chez sa nourrice et la période d’infertilité de Mme C. La deuxième concerne la grossesse qui suit et se termine à quatre mois par une fausse couche. La troisième partie est celle de la grossesse suivante, aboutissant à la naissance de Claire. Je vais maintenant revenir sur chacune de ces parties.
D’abord, le décès de Léon. Dans la tragédie grecque, à l’instar de Médée trahie par Jason, la nourrice est systématiquement celle qui tente de contenir la douleur maternelle et s’oppose à sa fureur meurtrière infanticide. Dans ce contexte, la nourrice, représente la préoccupation maternelle primaire sans justement ce qui la caractérise : la passion “normale” de la folie maternelle valse-hésitant entre hyperadaptation hypoma-niaque, phobie d’impulsion et dépressivité. Or, ici, c’est le monde à l’envers, la nourrice se transforme en bourreau. La nourrice devient par accident détentrice en pensée et en acte du pouvoir suprême qui signe l’identité maternelle : son pouvoir sacré de vie et de mort sur l’enfant qu’elle à mis au monde. La négligence de la nourrice vole à la mère, bien sur l’enfant, mais plus encore, le pouvoir absolu de la fonction parentale “unique et incomparable” dans ses strates comportementales les plus en surface et les strates fantasmatiques les plus profondes. Suite à cette catastrophe traumatisante de ce rapt et de la perte de Léon, Mme C. n’arrive pas à avoir un enfant et elle consulte avec son mari un professionnel de la procréation médicalement assistée (PMA) qui perçoit la détresse en présence et l’oriente en conséquence. Le travail psychothérapique avec moi s’instaure favorisant, dans le meilleur des cas, une élaboration narrative du traumatisme parental.
La seconde partie maintenant. Elle est temporellement plus courte. Elle concerne la deuxième grossesse se finissant par une fausse couche. Vous vous souvenez, Mme C. me disait juste après : “Mon enfant est mort en moi. C’est une affaire entre lui et moi et… personne d’autre. Il est mort dans les meilleures conditions. Ils n’ont rien trouvé à l’autopsie. Le foetopathologiste a bien insisté : il n’y a pas eu de souffrance foetale. Il n’y a pas de souci pour une autre grossesse. Il suffit d’attendre un peu”. Cette perte est authentifié en temps réel. Mais, ce qui me paraît essentiel, c’est qu’elle disparaît ensuite de la scène consciente. Tout est en place pour que cette séquence soit scotomisée par tous, parents et professionnels. De fait, ce qui m’a le plus frappé à l’époque et plus encore en écrivant après-coup cette histoire, c’est le silence de Mr et Mme C. au sujet de cette perte lors de la troisième grossesse de Claire. Par exemple, il n’y a pas eu explicitement, tout du moins chez Mme C. en consultations, de classique rebond anniversaire de la fausse couche précédente au 3 mois de la grossesse suivante de Claire. Confrontée à l’horreur de la culpabilité de ne pas avoir maintenu Léon en vie, Mme C. transforme la passion amoureuse d’une nécessaire préoccupation maternelle primaire du bébé, en une ravageuse passion de la haine de la nourrice. La “folie maternelle normale” devient une passion addictive.
Je perçois cette passion démesurée de la haine de la nourrice comme une manière pour cette mère de survivre, de s’auto-conserver face à la privation d’un don d’amour passionnel qui fait exister le nouveau-né vulnérable. La haine se substitue à l’impossible travail de deuil. Quand il n’y a pas de catastrophe, à la fin d’une lune de miel fusionnelle, la mère suffisamment bonne prend progressivement de la distance à l’égard du bébé et l’inscrit dans une un processus de séparation/individuation. Après la folie amoureuse inaugurale, une conquête de l’ambivalence émerge. Après une période d’illusionnement du bébé, sa désillusion progressive lui ouvre la voie des compromis entre principe de plaisir et de réalité. Privée par la perte réelle de Léon de cette trajectoire intersubjective de l’élaboration de la passion de l’amour maternel, Mme C. devient prisonnière de la haine primitive, une haine “en tant que relation à l’objet, plus ancienne que l’amour” nous dit Freud (1915). Dans ce contexte de blocage condamnant Mme C. à la rumination de sa passivité et de son extériorité traumatiques face au drame, la survenue de la fausse couche, peut-être envisagée comme une répétition cathartique car processuelle. Mon hypothèse est alors la suivante : la mort de cet enfant virtuel du dedans vient s’inscrire pour Mme C. en contrepoint de la perte de Léon car elle y est cette fois fantasmatiquement à l’abris du défaut de contenance et de l’extra-territorialité du drame : cela s’est produit chez elle, dans son corps. C’est à dire au sein d’un espace autochtone qui, au delà de l’issue, témoigne en valeur absolue de sa contenance matricielle. En ce sens, il est alors possible de risquer l’idée que cette fausse-couche est mutative pour Mme C. car elle permet l’investissement inconscient des vertus dynamiques d’un sacrifice expiatoire. “Le sacrifice, écrit René Girard (1972), cherche à maîtriser et à canaliser dans la “bonne” direction les déplacements et substitutions qui s’opèrent alors”. Dans cette logique sacrificielle inconsciente, le foetus de quatre mois est dans cette hypothèse la victime émissaire dont le sacrifice permet d’éponger le dolor (la souffrance physique et morale insondable de la perte) et de décharger le furor (l’état dans lequel l’humain reconquiert son identité en quittant (transitoirement) son humanité via le crime sacrificiel innomable (le scelus nefas).
Face à cette homéostase de la conflictualité inconsciente, tout est en place pour que le refoulement règne en maître. C’est ce qui semble s’être passé dans cette histoire clinique. Quel est alors l’intérêt de tenter d’en comprendre les ressorts en périnatalité ? Je vais conclure en répondant lapidairement à cette question.
Pour conclure
Deux décennies de clinique périnatale m’ont convaincu de l’intrication d’Éros et Thanathos à l’aube de la vie. D’un côté, l’idéalisation de la parentalité est extrémiste dans le temple moderne de la fécondité, et, de l’autre, la destructivité et les désillusions y sont redoutables. La clinique de l’origine confronte peu ou prou à la passion du tragique. Cette passion en présence amplifie spectaculairement la commémoration des conflits oedipiens et, surtout, archaïques. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la passion de la haine inconsciente du foetus (Sirol, 1997, 1998 ; Soulé 1999) puis du bébé (Winnicott, 1947) y soit aussi banale que sa dénégation et, parfois, son déni chez les parents comme chez les soignants. “La haine, précède l’amour mais sans doute n’y a-t-il d’amour que parce qu’il y a haine, aux origines mêmes du sujet” écrit Roger Dorey (1986). Et, c’est bien en ce sens qu’on a pu parler justement de “haine nécessaire” (Jeammet, 1989) en tant qu’elle est l’objet, dans le meilleur des cas, d’un apprivoisement oedipien où haine et amour seront progressivement liés.
Avec cette esquisse, j’ai tenté de suggérer combien la période périnatale vient mettre singulièrement à l’épreuve les forces de vie et de mort chez tous les acteurs en présence. La passion archaïque de la haine et de l’amour non liés y est -souvent monstrueusement- omniprésente dans les cris, les crises et les chuchotements du quotidien. Dans son texte Passions et destins des passions, André Green (1980) a bien montré le bannissement de la passion dans l’analyse de la névrose chez Freud lui-même. En périnatalité, écarter cette passion serait ni plus ni moins qu’un évitement de l’essentiel. Décrire cette passion comme le signe distinctif des sujets psychopathologiques serait tout aussi erronée. Cette démesure primitive tragique, cette “folie originelle” cette “folie privée” est en effet consubstantielle au devenir mère, au devenir père, au naître humain et, probablement, à l’être soignant durant cette période. Le défi majeur en périnatalité est d’accueillir et de contenir cette passion sans en éteindre, en passiver, la flamme créatrice. Et la résonance permanente entre le Bébé et l’Adolescent entretenue dans ce colloque, permet de suggérer aisément la répétition de cet enjeu, un peu plus tard, entre adultes et adolescents.
Au final, face à la passion de la haine, je recommande l’option Spinoziste : l’homme “nécessairement toujours soumis aux passions” ne pourra s’en libérer d’une qu’au profit d’une autre, plus forte. Le seul antidote efficace à la passion de la haine ?… une autre passion, bien sûr ! Mais laquelle, me direz-vous ? Pour ma part, la passion pour la clinique psychanalytique de la passion périnatale me paraît une valeur sûre !