En parcourant la table des matières, j’ai pris le parti de ne pas lire cette monographie comme on lirait un roman, en commençant par le début et en finissant (dans le meilleur des cas…) par la fin. J’ai choisi de me laisser guider, mener par les différents articles. Mon parcours de lecture, qui a été celui d’une clinicienne en mater-nité, diffèrera sûrement de celui d’un chercheur, d’un enseignant ou d’un autre intervenant en périnatalité. Mais ce dont je suis certaine, c’est que chacun y trouvera un savoir, un outil, une piste de réflexion qui enrichira sa pratique et/ou sa curiosité pour la périnatalité.
C’est Monique Bydlowski qui inaugure cette monographie en rendant ses lettres de noblesse au « cas clinique dans le champ périnatal » (démarche non superflue à une époque où l’on nous presse à utiliser des méthodes dites objectives telles que les tests, questionnaires, échelles). Elle convainc aisément le clinicien que l’observation clinique ne peut et ne doit se restreindre au langage et à l’associativité verbale en nous rappelant que les expériences précoces du sujet s’expriment avant tout sur un mode gestuel et comportemental.
Dans une continuité évidente, Albert Ciccone nous rappelle les exigences de l’observation clinique, ses limites ainsi que ses intérêts. A l’aube de la rentrée universitaire, ces deux articles didactiques feront de très bons supports de travail pour nos « futurs cliniciens ». Connaissant les enjeux de la prévention des dépressions périnatales et des troubles de la relation mère-enfant, les cliniciens liront avec intérêt « Fraiberg in Paris », une recherche action, illustrée par des vignettes cliniques, ayant pour objectif de démontrer l’efficacité de visites à domicile périnatales auprès de jeunes femmes vulnérables afin de prévenir les troubles de la relation mère-enfant, la dépression postnatale et les troubles des enfants de deux ans. Ce dispositif mené par des psychologues formés et supervisés consiste en des VAD débutant au cours du troisième trimestre de grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant.
Dans ce même objectif de prévention, nous serons tentés de mettre en place dans nos maternités un dispositif assez simple permettant de prévenir les dépressions périnatales. Cette intervention psychothérapeutique brève centrée sur la parentalité, consiste en deux séances de thérapie pendant la grossesse et deux autres avant le troisième mois de post-partum. Les auteurs distinguent deux axes d’inter-vention, le premier cherchant à identifier et à interpréter les contenus fantasmatiques parentaux problématiques, le second se centrant sur l’observation, la compréhension et l’interprétation des interactions conflictuelles. Une prévention de qualité ne peut se faire sans le concours de nos collègues somaticiens. Échanger, réfléchir avec eux sur les effets du « discours médical » transmis aux couples est primordial et plusieurs articles de cette monographie seront de bons supports à ces échanges. Le suivi d’une grossesse est rythmé par les échographies attendues et… redoutées par les patientes. J’ai souvent été étonnée par le détail des récits de ces échographies ( les mots employés, le ton, les silences, la tenue ! de l’échographiste). « On m’a dit que les résultats étaient bons, que je pouvais être rassurée mais je ne peux pas » nous disent en condensé certaines patientes. C’est à celles-ci que Sylvie Viaux et Ouriel Rosenblum se sont inté-ressés en menant une recherche sur les femmes enceintes sans facteur de risque pour lesquelles, le dépistage échographique prénatal montre des signes mineurs et isolés qui sont de bon pronostic pour l’enfant, mais laissent planer le doute pendant plusieurs semaines au cours de la grossesse d’une malformation du foetus. Cet article permet de comprendre aisément la dyna-mique psychique de ces patientes, le vécu de l’annonce et des échographies de contrôle, et leurs effets sur l’investissement de la grossesse ainsi que sur les effets des interactions futures entre le bébé et ses parents. L’analyse transférentielle de ce qui se joue entre l’échographiste et la patiente est particulièrement parlante. Souhaitons que cet article soit lu par le plus grand nombre, pour que ces patientes soient orientées rapidement afin de « remobiliser leur pensée ».
Les diagnostics prénataux peuvent, a contrario de l’article précédant, aboutir à une proposition d’interruption médi-cale de grossesse. Mais comme l’indique Sophie Parat et Luis Alvarez dans leur article Soins palliatifs en salle de naissance, nous assistons à un nombre croissant de couples souhaitant laisser évoluer la grossesse malgré l’indication d’IMG. Cette décision peut être incomprise, jugée irresponsable, dangereuse par certains somaticiens (ne sommes-nous pas régulièrement appelés par les soignants pour aller rencontrer ces couples, dans l’espoir plus ou moins énoncé qu’on les fasse changer d’avis… qu’ils retrouvent la raison ?).Cet article, qui reprend très clairement les répercussions foetales sur la dynamique de la grossesse, apporte un précieux éclairage pour la compréhension d’un projet parental (quand cela est possible) de soins palliatifs en salle de naissance. La co-construction d’un tel projet, nécessitant « un engagement intense et une réflexion de tous les acteurs du domaine périnatal » permet aux parents de prendre leur place, de rencontrer leur enfant, et ainsi d’éviter par le biais de l’objectalisation de l’enfant, le risque de mélancolie.
Et ce foetus que l’on scrute lors des diagnostics prénataux, quel est son statut, est-il une personne et peut-on parler de maltraitance à foetus? Claude Tabet (et coll.) nous présente leur recherche dont l’objectif est l’étude clinique et psychopathologique de la maltrai-tance dès la période anténatale. D’éloquentes vignettes cliniques illustrent cet article.
Dans la continuité de celui-ci, Catherine Dupuis-Gauthier, dans une approche compréhensive et psychodynamique, évoque le statut et la fonction de la haine au sein de la relation foeto-maternelle. On ne se privera pas de lire et de relire cet essai, qui a pour volonté, de « fournir un outil conceptuel souvent compatible avec une meilleure élaboration, de nos résistances et de celles de nos patients ».
Il m’est difficile de présenter ici tous les articles de cette monographie et mon choix n’a, comme je le précise en intro-duction, rien de qualitatif. Ne vous privez pas cependant de lire l’article de Sylvain Missonnier (qui m’a donné envie de relire Devereux et je l’en remercie…) et qui aborde l’épineuse question de la coexistence des neurosciences et de la psychopathologie psychanalytique périnatale.
Les deux articles de recherche fondamentale, Y’a t’il une science du sujet de François Ansermet et De la perception à la représentation : recherche sur ce qui fait trace en périnatalité, sont ardus mais ne manquent pas d’intérêt. Mes collègues de néo-natalogie s’attarderont certainement sur l’article de Ayala Borghini, Margarita Forcada Guex et Carole Muller-Nix Prématurité et inter-ventions précoces. Enfin, nous attendons avec impatience la suite des résultats de la recherche de Joëlle Rochette-Guglielmi sur « la psychopathologie de l’inter-subjectivité précoce et développement d’une sémiologie dyadique ».
Cette monographie est un outil de travail, de réflexion, de trans-mission. Monographie dans laquelle chacun peut aller « piocher » en fonction de ses intérêts et de ses question-nements. Elle nous invite également à nous ouvrir à d’autres discours et/ou disciplines et c’est en cela qu’elle est riche et complète.