Saül Karsz, philosophe, sociologue et consultant, en collaboration étroite avec des travailleurs sociaux, propose dans ce nouvel ouvrage de suivre sa pensée autour du concept de « parentalité ». L’auteur approfondit l’exploration de ce concept en lien avec les constellations familiales d’aujourd’hui et les changements sociétaux qui les accompagnent. La réflexion de Saül Karsz permet de reconsidérer nos croyances et nos représentations ainsi que les pratiques à propos et auprès des familles, et ouvre des perspectives sur leur place dans la société. Cet ouvrage s’adresse donc aux professionnels et aux multiples réseaux en lien avec les familles, les parents, les enfants.
En nous présentant, dans son premier chapitre, un panel de situations de vie familiales, l’auteur nous encourage à (re)penser ces scènes comme se situant entre le privé et le public. Le lecteur est ainsi plongé au cœur de scènes de vie quotidienne aux multiples configurations, de couples qui « préparent » et/ou « attendent » l’enfant (parents hétérosexuels, homosexuels, beaux-parents, pacsés, concubins, mères porteuses). Mais, l’enfant est également attendu par la société. Non sans humour, Karsz passe en revue ces diverses convocations de l’enfant à naître, circulant entre les parents, les professionnels de l’enfance, l’École, les institutions médico-sociales et judiciaires, allant jusqu’aux marchés financiers de la puériculture. C’est sans doute là que se mêlent « jouissance privée et ordre public » ; la famille n’est pas omni-responsable de l’enfant, et l’enfant n’est pas non plus la propriété de l’État, marqueur des droits et des devoirs. En s’interrogeant sur les notions de « propriété » et d’ « appartenance », Karsz fait état de ces « interrelations (coresponsabilités) entre État et famille » sans négliger que « si l’enfant appartient à quelqu’un c’est bien à lui-même » (pp. 19-20). En trois parties principales, Scènes de famille, Histoires de familles, Des enfants en famille, il expose des perspectives tantôt privées, relationnelles et subjectives, tantôt publiques, idéologiques et politiques.
La famille existe entre ces diverses alternances, et Karsz s’attache dans la suite de l’ouvrage à davantage les dialectiser dans la pluralité des situations familiales.
La deuxième partie, La parentalité n’est pas qu’une affaire de famille, semble être le point central de l’ouvrage de Saül Karsz. Il y reprend le concept de « parentalité » en soulignant l’accumulation conceptuelle et clinique, et la difficulté à en donner une définition. Cette complexité paraît être un atout selon Karsz, étant donné la transversalité pluridisciplinaire qu’elle recouvre et son « rôle de passerelle entre des champs théoriques et des pratiques d’intervention souvent isolés les uns des autres » (p.87), notamment entre le médical, le psychologique et le social. L’auteur dénonce ainsi le « mutisme définitionnel » faisant de la catégorie parentalité, à la fois une énigme et une évidence, « formule ordinaire et mot de passe » dont « nombreux sont ceux qui en traitent, rares disent de quoi » (p.92). Karsz s’attèle alors à clarifier la catégorie de parentalité en relevant ce qui
l’organise, la représente, et en repérant les pratiques qui s’en inspirent. C’est dans son articulation avec l’ « être-parent », le parent idéal, « ce qu’un parent normalement constitué se doit d’accomplir », que peut perdurer la consistance de la catégorie de parentalité (p.160). Autrement dit,
l’ « être-parent » a un statut de substance. Il se rapporte à un métier – l’auteur se référant en partie aux écrits de Didier Houzel – par l’acquisition de compétences particulières et non à une vocation, qui aurait un caractère d’évidence et de don. En somme, c’est le débat entre l’inné et l’acquis de la parentalité qui prend le dessus dans ce chapitre, avec une prédilection de l’auteur pour l’acquis ; ce qui aurait sans doute pour bénéfice de déculpabiliser certains parents, ne les renvoyant pas simplement à un statut de « démissionnaires » ou de parents « pas-comme-il-faut ».
Saül Karsz développe par la suite sa pensée autour de l’articulation entre parentalité et idéologie ; il la conçoit telle « une idéologie en actes ». Le statut idéologique de la parentalité rend cette catégorie signifiante, car les questionnements autour de la parentalité mobilisent toutes sortes de références à la fois théoriques et cliniques, psychosociales, politiques, historiques, éducatives et scolaires, morales et culturelles. Sans idéologie, ces configurations familiales resteraient insignifiantes, ni normales, ni anormales, ni saines, ni maladives ; « sans idéologie, pas de parentalité ! » confirme l’auteur (p. 176). En somme, c’est grâce à cet aspect idéologique que des engagements peuvent avoir lieu et apparaissent dans le champ de la parentalité. En se référant à la figure de Janus bifrons , souvent sollicité dans l’ouvrage, l’auteur suggère que la catégorie de parentalité inclut diverses tendances-types : l’une sécuritaire, conservatrice ; l’autre laïcisante et transformatrice. Bien que la catégorie de parentalité oscille entre ces deux versants, de ces tendances dépendront en partie les pratiques envisagées.
La dernière partie de l’ouvrage traite principalement de ces tendances, en confrontant deux archétypes d’intervention. Saül Karsz nous rappelle qu’intervenir implique une dialectique entre l’impossible neutralité et l’indispensable objectivité des cliniciens, des professionnels. S’agit-il alors de prendre en charge la parentalité en la soutenant, c’est-à-dire en faisant en sorte que les parents se rapprochent des modèles idéalisés et normés ou bien de co-construire, d’élaborer avec les familles et les professionnels, en somme d’accompagner au mieux les parents en prenant en compte leur réalité familiale ? Pour tendre vers la prise en compte, plutôt que la prise en charge, l’intervention transdisciplinaire dans une relation d’alliance est une des clés du co-accompagnement des parents par les professionnels.
En croisant diverses perspectives théoriques, cliniques, idéologiques et sociétales pour parler de la catégorie de parentalité, Saül Karsz présente son ouvrage comme une possibilité d’aller au-delà des banalisations imposées par ce néologisme, qui se situe au carrefour de multiples enjeux individuels et collectifs.