Tout le monde connaît la passion de René Roussillon pour les bébés et la périnatalité. Autant dire qu’il ne s’est pas trompé en demandant à Sylvain Missonnier de réunir une équipe de collaborateurs pour rédiger ce Manuel de psychologie clinique de la périnatalité. Avec Micheline Blazy, Nathalie Boige, Nathalie Presme et Odile Tagawa, ils ont réussi un exploit qui fera date dans la discipline : la somme attendue par tous les praticiens, chercheurs, cliniciens, partenaires et étudiants intéressés par la périnatalité.
Dans sa préface, René Roussillon développe l’idée que la péri-natalité possède toutes les qualités requises pour en faire une des dignes héritières cliniques des avancées de la psychanalyse, mais que, pour ce faire, il faut accepter la « contrainte du terrain clinique ». Ce qui conduit les personnes intéressées par ce challenge à inventer des dispositifs spécialement conçus pour les objectifs fixés, ici, ceux de la périnatalité. Mais cela ne suffit pas, encore faut-il savoir faire montre d’une qualité d’écoute clinique qui n’est pas donnée à tout le monde, et par son intermédiaire, à « ce qui se transfère dans et à travers la narrativité consciemment adres-sée, d’une autre scène, relevant d’un autre temps, d’une autre dimension, inconsciente celle-ci ». et pour couronner le tout, pas d’écoute en solitaire, mais néces-sité absolue d’un travail clinique interinstitutionnel, ce qui fonde la raison d’être et l’éthique de l’équipe de référence clinique.
Sylvain Missonnier et ses amis ont su à la fois suivre le chemin freudien et inventer des pratiques et des mouvements réflexifs à la hauteur de l’enjeu. A noter une post-face en forme de volte-face écrite par Bernard Golse qui se réjouit de ce Manuel de psychologie clinique de périnatalité, sur le fond plus général de la psychiatrie du bébé, et qui donne à la psychopathologie du lien toute la place qui lui revient, en ces périodes troublées par une haine antipsychanalytique sommaire.
Le Manuel est composé d’une vingtaine de chapitres qui laissent une large place aux rappels théoriques, mais comporte éga-lement de nombreuses histoires cliniques démonstratives de ce qui est présenté plus aca-démiquement. Après une ouver-ture en forme de plaidoyer pour la pluridisciplinarité dont Sylvain Missonnier a le secret, abordant à la fois le champ interdisciplinaire périnatal, son espace-temps, ses enjeux et la question des auteurs de professions différentes, puis rappelant les contours de la psychologie périnatale et ses potentialités nombreuses, il engage l’étude de la parentalité et du naître humain.
La parentalité est ainsi présentée comme un outil central et partagé par les différents partenaires des lieux de naissance, servant en quelque sorte de fond général sur lequel se déclinent les grandes étapes du diagnostic anténatal, de la naissance sous, pourrait-on dire, l’œil d’une attention périna-tale partagée. Une attention particulière est cependant accordée à un accompagnement préventif dit « tout-venant », afin d’en préciser les nécessaires qualités d’accueil à l’humain qu’il doit faciliter et offrir aux allant-devenant parents concernés par la naissance d’un bébé. Et ceci à l’opposé de toute prévention prédictive dont les effets de prophétie auto-réalisatrice sont maintenant bien connus. Vient ensuite un chapitre écrit par Odile Tagawa sur l’accompagnement périnatal du point de vue de la sage-femme.
Ce chapitre est complété par celui de Nathalie Boige, pédiatre extra-ordinaire, capable de développer et d’argumenter l’idée psycho-somatique sur les traces de ses maîtres Kreisler et Soulé, et cela, en appui sur sa pratique expérimentée et sa méthodologie pédiatrique rigoureuse. Le fait est suffisamment rare pour être souligné, car il n’est pas courant actuellement d’entendre des pédiatres recourir à la visée psychosomatique spécifique, plutôt, d’attendre que la vraie science EBM vienne à bout de ces impasses qui encombrent les cabinets de pédiatrie. Et loin de n’évoquer que le bébé, elle commence par le foetus en rappelant les données fondamen-tales qui nous servent aujourd’hui à penser pour le fœtus, notamment à partir de la maturité suffisante de ses organes sensoriels, sinon une vie psychique, du moins une existence sensorielle, inscrivant des expériences anténatales dans sa mémoire neurologique.
Puis la psychosomatique des situations médicales à risque psychologique est décrite à partir de cinq situations de la grossesse. Tout d’abord, celle des grossesses à risque et des naissances traumatiques est présentée par Micheline Blazy, gynéco-obstétricienne. Ce chapitre permet de faire le point sur beaucoup de situations qui laisseront des traces doulou-reuses pendant longtemps et que le pédopsychiatre retrouve très souvent à condition qu’il veuille bien se soucier de ce qui s’est passé en anténatal. Combien de vomissements incoercibles, de menaces d’accouchement préma-turé, de pré-éclampsies et autres restent-ils présents à l’état fantomatique dans l’histoire de certains bébés ? Comment la dimension du traumatisme, sans convenir à toutes les situations délicates de la grossesse et de la naissance à risque n’est-elle pas d’une grande utilité dans certaines situations pour aider à franchir les avatars du post-traumatisme ? Sylvain Missonnier fait ensuite une revue précise du déni de grossesse, Micheline Blazy, du diagnostic anténatal vu par l’obstétricien et Nathalie Presme, de la grossesse interrompue. Nathalie Boige reprend de façon méthodique les maladies psychosomatiques précoces du bébé, en y intégrant les éléments de la pédiatrie moderne.
Après un chapitre consacré à l’importance du contexte social et culturel, l’approche clinique de la parentalité en période périnatale est présentée, selon le vertex psychanalytique, par Nathalie Presme, pédopsychiatre en maternité. Elle décrit sa pratique de liaison en brossant l’éloge de la singularité et de la complexité. Elle passe en revue l’importance des antécédents, les vulnéra-bilités et résurgences trauma-tiques, à partir d’exemples comme ceux de la dépres-sivité/dépression et des décom-pensations périnatales. Elle en tire une réflexion psychopa-thologique approfondie sur la parentalité en fonction des diverses situations rencontrées dans la clinique, aussi bien à partir de signes d’appel « bénins » que de pathologies avérées telles que la schizophrénie ou les pathologies limites. Confrontée également aux difficultés des parents carencés et défaillants, elle envisage cette occurrence avec humanité et souci d’efficience, afin d’organiser au mieux les stratégies thérapeu-tiques à inventer dans chacune de ces « familles sans qualités » (Diatkine, G.,/Musil, R.).
Un chapitre est réservé à la psychopathologie de la pater-nalité qui ne pourra qu’être utile à tous les praticiens de la périnatalité cherchant parfois des références pour aider les pères à accompagner la dyade mère-bébé. Puis après un exercice obligé sur les facteurs de risque, préjudices et maltraitance en périnatalité par Micheline Blazy,
Odile Tagawa a rédigé un beau chapitre consacré à « l’accom-pagnement coutumier » qui contient une véritable leçon d’humanité pratique. Pour rester fidèles à leurs points de vue du départ, les auteurs ont ensuite rédigé chacun leur chapitre préventif et thérapeutique, relatant en quoi leur statut professionnel de sage-femme, de gynéco-obstétricien, de pédiatre, de pédopsychiatre et de psychologue les amenait au contact des personnes concernées par une naissance dans une famille selon des dimensions à la fois spécifiques mais aussi communes.
La conclusion, en insistant sur la partition clinique venant du continent matriarcal archaïque, polyphonique et respectant l’énigme de chacun, pluridisciplinaire mais sans le risque de la totalisation, nous permet de prendre la mesure du travail accompli par ce quintette exceptionnel. On sent à la lecture de l’ouvrage que ses écrits sont non seulement le résultat d’excellentes recherches biblio-graphiques mais qu’elles ont été soumises à la sagacité et la critique du groupe-écrivain, dans le but d’en polir les aspérités anti-pédagogiques et les redondances distractives. Le corps du texte en sort purifié et lumineux, et pour ma part, il occupera dans ma bibliothèque la place qui lui revient, celle d’une pépite venue tout droit de l’Atlantide…