En pleine tourmente de « l’affaire du Médiator » et sa cascade de mouvements médiatiques et d’interrogations critiques sur l’organisation de la formation et de l’information des médecins et sur les qualités des organismes de pharmacovigilance, la traduction française du livre de David Healy tombe à point nommé. Sous le titre, Les médicaments psychiatriques démystifiés (à entendre comme dégagés des mythologies construites à leur sujet au fil des soixante-dix dernières années) ce psychiatre anglais, historien de la psychiatrie et chercheur en psychopharmacologie, accomplit son projet d’une lecture intelligente et argumentée de nos pratiques en psychiatrie.
Eclairé par le prisme de l’histoire, ce manuel met à disposition des connaissances indépendantes de tout lobbying pharmaceutique, à la fois utiles à notre pratique quotidienne et à notre compréhension de la construction de nos outils pharmacologiques depuis un siècle. La réussite de David Healy est d’avoir croisé, dans un style narratif qui rend le propos passionnant, le fil des découvertes pharmaceutiques, des hypothèses neurobiologiques articulées à l’expérience clinique. Dans ce paysage, se situe l’inquiétante réalité du marché du médicament et son influence sur nos représentations et nos pratiques. La qualité des essais cliniques, la partialité des publications et l’agressivité du marketing doivent maintenir éveillée notre vigilance. Tout au long de ce travail, David Healy œuvre avec une éthique clinique résolue. Aider les patients à nous transmettre ce qu’ils perçoivent des modifications induites par les médicaments dans leur fonctionnement psychique est un outil inlassablement défendu. Devenant acteurs impliqués dans les soins qui leur sont prodigués, les patients, outre le fait de profiter d’un meilleur ajustement thérapeutique et d’une compliance plus sûre, pourront contribuer à nous mener vers de possibles progrès. Les progrès en matière pharmacologique ne sont-ils pas survenus par le hasard ou l’observation minutieuse des cliniciens.
Comme dans un manuel, l’ouvrage est construit par grands chapitres de la psychiatrie : psychoses, dépressions, troubles bipolaires, anxiété, insomnie… L’évolution de chaque entité nosologique, régulièrement redessinées par les nouvelles propositions pharmacologiques et les évolutions de nos concepts psychopathologiques, est retracée. Elle met en lumière le flou des limites des grandes classes médicamenteuses qui fait, ô combien, écho à notre clinique quotidienne et se retrouve dans nos tâtonnements thérapeutiques. Par exemple, les troubles anxieux, les difficultés existentielles douloureuses jusqu’aux dépressions constituent le vaste champ de commercialisation des antidépresseurs ISRS. Cette réponse pharmacologique, si fréquente, risque de contribuer à une certaine confusion ou une imprécision diagnostique. Si ces traitements sont efficaces (50% dans les dépressions contre 40% avec placebo) le sont-ils par un hypothétique effet antidépresseur ou leur vertu anxiolytique ? Leurs effets secondaires indésirables : l’émoussement émotionnel, l’akathisie ou les réactions d’allure psychotique qui surviennent (également chez des sujets traités mais non déprimés), peuvent conduire au suicide. D’où la nécessité, faut-il le rappeler, d’une mise en route progressive avec des posologies parfois plus faibles que celles proposées dans les formes galéniques et surtout d’une surveillance rapprochée des patients. Les troubles sexuels qu’ils entraînent se révèlent importants et doivent conduire à la prudence dans leur prescription, notamment chez les adolescents. Les questions de dépendances et de sevrages courent tout au long du livre avant d’être précisées dans un chapitre qui leur sont consacré. Une place importante est également dévolue aux récentes « niches » commerciales que constituent les troubles sexuels et certains symptômes de l’enfance pour lesquels les prescriptions médicamenteuses ne cessent de s’accroître sans grande sécurité. Le « commerce de la tranquillité » conclut ce livre et confirme l’engagement de son auteur dans le projet de situer nos pratiques dans le long fil de l’histoire des sciences en tenant compte des enjeux économiques et commerciaux qui la sous-tendent et qu’il est utile de ne pas méconnaître. On retiendra la vision humaniste convaincante qu’il défend et le pari d’une exigence de fiabilité et d’intelligibilité dans ces champs de connaissance, d’hypothèses et d’ignorance.