Préfacé par Bernard Golse, ce livre important s’ouvre sur une critique de la théorie panfantasmatique de M. Klein tandis qu’Anna Freud tenait grand compte des parents réels mais n’en méconnaissait pas moins la portée psychique des séparations précoces pour les enfants.
Un chapitre biographique sur Bowlby nous montre une jeunesse marquée par deux deuils précoces, et un premier travail d’éducateur à l’occasion duquel, l’importance des traumas réels subis par les enfants est repérée. Malgré ses désaccords théoriques avec ses maîtres, il est admis à la Société britannique de psychanalyse. A partir de sa recherche sur les quarante-quatre enfants voleurs, il travaille avec Robertson et ils réalisent le film Un enfant de deux ans va à l’hôpital. Grâce à Heargraves, il pourra réaliser pour l’O.M.S. un rapport sur les soins maternels et la santé mentale qui va le rendre célèbre.
Dans sa conférence de 1957 à la Société britannique de psychanalyse, Bowlby va associer psychanalyse, éthologie, théorie de l’apprentissage et théorie des stades de Piaget. Entre 1957 et 1960, il précise le lien de l’enfant à la mère avec les comportements d’agrippement et de suite du bébé ; puis il va présenter l’angoisse de séparation avec la colère, le désespoir et le détachement et les aléas des retrouvailles ; enfin, il présente le deuil, tristesse ou dépression. Devant l’attitude des analystes, il cessera d’aller leur parler mais restera membre de la société jusqu’à sa mort.
Collin Parkes va le rejoindre et étudier chez les adultes les phases du deuil repérées chez les enfants. Mary Ainsworth va travailler expérimentalement sur ces bases. Elle va distinguer des bébés à l’attachement secure, à l’attachement insecure (que le test de la « situation étrange » va diviser en insecure évitant et en insecure ambivalent) et des bébés pas encore attachés spécifiquement à leur mère.
Mary Main va décrire plus tard l’attachement désorganisé/désorienté lié à un comportement particulièrement inadéquat de la mère. Elle développe un outil pour étudier l’attitude des adultes par rapport à l’attachement, l’A.A.I. (Adult Attachment Interview). Le mode d’attachement des parents permet de prédire dans 80% des cas celui de leurs enfants. Une étude longitudinale va démontrer que, sauf traumatisme majeur, les enfants gardent leur mode d’attachement de départ.
Inge Bretherton va étudier les modèles de travail psychique mis en avant par Bowlby. C’est à partir de l’attachement secure que les enfants peuvent partir à l’exploration du nouveau tandis qu’un attachement insecure les conduit à limiter leurs explorations, à avoir peur et à garder des modèles stéréotypés. Les travaux de Belski sur la langue confirment Bowlby qui avait montré qu’il pouvait y avoir un conflit entre la mémoire sémantique alimentée par le discours des parents et la mémoire épisodique correspondant au vécu effectif de l’enfant.
Crittenden a mis en place un modèle dynamique de développement de la naissance à l’âge adulte. Les personnes qui ont une base secure apparaissent avec des conduites plus variées que celles qui ont un attachement évitant ou anxieux et dont les conduites sont plus rigides. Au cours de la croissance, il est important que les parents reconnaissent la légitimité des mouvements de colère ou de tristesse de l’enfant tout en lui expliquant que les autres et le monde ne peuvent pas toujours satisfaire ses désirs. Ainsi peut s’effectuer un développement congruent de l’intelligence, de l’affectivité et des relations à autrui. L’insécurité affective amène à privilégier les processus intellectuels pour se protéger d’affects négatifs.
Le couple Steele, psychanalystes, devait s’intéresser à la transmission intergénérationnelle de l’attachement. Le couple Grossmann s’est fixé l’objectif de comprendre comment se développe la capacité à établir des liens affectifs. Trois mécanismes sont retenus : les schémas d’attachement organisant les perceptions, les pensées, les émotions et le comportement ; les représentations élaborées par rapport aux relations intimes ; le respect par les parents non seulement de l’attachement mais de la capacité de l’enfant à explorer le monde sans peurs inutiles. Un chapitre étudie l’attachement adulte. La perception de la relation amoureuse apparaît presque idéale entre deux intimes secure. Les personnes ambivalentes, anxieuses, ont des demandes affectives exagérées. Les personnes évitantes se consacrent plutôt à des réalisations matérielles communes mais restent en retrait sur le plan affectif.
Un voyage au coeur du cerveau avec Siegel montre que la structure du cerveau est modelée par les interactions précoces. Plusieurs types de mémoire sont distingués. L‘acquisition du langage permet de nommer et de discuter les émotions en lien avec l’attitude de la figure d’attachement. Mais le langage permet aussi le mensonge et des interprétations biaisées de la réalité. Les récits de la mémoire consciente se substituent à la réalité vécue et, à la limite la carte se substitue au territoire et on peut vivre dans l’illusion. La manière dont les enfants vont traiter leurs émotions dépend des attitudes des parents. Il y a un lien entre le type d’attachement évalué à un an et le mode relationnel de l’enfant à l’école à l’âge de six ans. Lorsque la vie affective d’un enfant n’est pas prise en compte, il risque des troubles dissociatifs de la personnalité. Curieusement, l’auteur passe des données scientifiques aux troubles dissociatifs dans l’idéologie du DSM IV.
L’auteur termine plus justement en évoquant le caractère dynamique du système neuronal qui permet le changement en liaison avec les relations à autrui et, en particulier le changement thérapeutique. Tenir compte de toutes les données disponibles sans en négliger ni en mépriser aucune permet à l’humain un fonctionnement harmonieux en lui-même et avec autrui dans une envie de compréhension et de souci de l’autre, égale à celle que l’on se porte à soi-même.
Un chapitre imagine ce que Bowlby aurait pu penser du développement des recherches sur l’attachement et des neurosciences. Être joyeux de tous les développements positifs et être attristé des conflits interdisciplinaires ainsi que de la faiblesse des applications pratiques. Alors que ses recherches étaient toujours guidées par une clinique fine, sous-tendue par sa formation psychanalytique, on a assisté à une dérive vers une psychologie expérimentale quantifiant des éléments non quantifiables. Toutes les conclusions essentielles de Bowlby sont rappelées : sa théorie traumatique des névroses ; le fait que la peur et la colère soient liées non à un hypothétique instinct de mort mais à des menaces réelles d’abandon ; le fait que les enfants et les adultes qu’ils deviennent ont tendance à protéger leurs images parentales en dépit des réalités défavorables vécues….
Bowlby a terminé son œuvre par une biographie de Darwin auquel il a pu s’identifier car il a été aussi maltraité en critiquant une partie de l’oeuvre de Freud que Darwin en remettant en cause les théories religieuses concernant la création. Par ailleurs, l’endeuillement précoce de Darwin sur lequel sa famille l’a réduit au silence indique la possibilité du lien entre maladie physique- en particulier cancer- et attachement évitant. Egalement le lien entre un meilleur état du système immunitaire et la satisfaction du besoin relationnel affectif.
La conclusion du livre invite à comprendre le care anglais, non comme soin médical, mais comme le « prendre soin de quelqu’un ». Sans cela, l’enfant devenant adulte aura de la peine à faire attention à lui, à sa vie intérieure et, encore bien davantage à celle d’autrui. En dehors des séparations et du rejet de l’enfant, Bowlby a relevé le rejet inconscient derrière une attitude aimante et l’exigence excessive d’amour de la part de l’enfant. Beaucoup de psychistes préfèrent mettre l’accent sur l’imaginaire et les fantasmes des enfants plutôt que de se pencher sur leur vécu de parents.
En France, Raphaëlle Miljkovitch a étudié les types de relations de couple à partir de l’attachement. Une enquête décrit les conséquences désastreuses de l’éducation japonaise à la concurrence dès la maternelle qui aboutit au désinvestissement des relations humaines. L’auteur met en garde contre les changements multiples de mode de garde des enfants pour leur développement affectif. Mais la formation se poursuit jusqu’à la fin de l’adolescence. Le problème, c’est que l’abondance de biens matériels « ne remplace pas (pour l’enfant) l’attention de l’adulte ». L’absence d’attention peut entraîner l’indifférence et la violence relationnelle de l’enfant dès le plus jeune âge.
La postface du livre, humoristique, nous invite à explorer le territoire clinique et à ne pas le remplacer par des cartes prétendant tout mesurer. Une bibliographie du thème termine le livre où manque, comme précurseur, Imre Hermann et le colloque sur l’attachement réalisé en France dans les années 70 par des psychologues et des psychanalystes. On aurait aimé y trouver en plus (mais je suis gourmand) une discussion des critiques psychanalytiques de l’attachement. Ce beau travail mérite la lecture et doit conduire à (re)lire les principaux ouvrages de Bowlby.