La vie psychique du bébé. Emergence et construction intersubjective.

La vie psychique du bébé. Emergence et construction intersubjective.

Albert CicconeAlberto KonicheckisDenis Mellier

Editions Dunod, 2012

Bloc-notes

La vie psychique du bébé. Emergence et construction intersubjective.

Il nous faut dire tout d’abord le plaisir qui a été le nôtre de découvrir et prendre connaissance de cet ouvrage très didactique et profondément stimulant dans la diversité du savoir qu’il présente. Il relaie de façon vivante toutes les avancées qui concernent le développement de la vie psy-chique du bébé, depuis ces trente dernières années, et permet au-jourd’hui d’approcher au plus près tous les acquis théorico-cliniques sur l’émergence et la construction de mécanismes psychiques qui fondent la vie psychique du bébé. Un formidable atout en psychologie clinique ! Publié dans cette nouvelle formule de la collection dirigée par René Kaës, cet ouvrage est structuré en 4 parties et 11 chapitres selon une progression logique, et regroupe ainsi les textes d’auteurs, tous éminents chercheurs, cliniciens en périnatalité et psychanalystes.

Cet ouvrage précise en premier lieu la place que nous devons accorder à l’étude de la sensorialité du bébé, de ses émotions, de son rythme et de ses capacités premières, en termes d’attentions, d’interactions et d’échanges avec le monde extérieur (M. Despinoy et M. Pinol-Douriez). La rythmicité, centrale dans le développement psychique du bébé, est au carrefour et parfois à l’origine de plusieurs aspects : continuités/discontinuités, présence/ absence, échanges interactifs/ intersubjectifs, positions objectales et narcissiques, sentiment de sécurité/insécurité, satisfactions/ insatisfactions libidinales (A. Ciccone, A. Konicheckis). Ces premières expériences sont reliées et forment un temps psychique (D. Stern) où le bébé peut penser ce qu’il vit, réussir à se représenter ses expériences, façonner ses premières (proto)-représentations, toujours, et cela est nécessaire, en lien étroit avec l’autre. L’inté-gration interne de son vécu, la possibilité petit à petit de la cons-titution d’un en-dedans psychique convoque nécessairement l’inter-subjectivité.

L’enfant peut éprouver dès sa naissance (mais peut-être antérieurement) des états de détresse psychique qualifiés d’angoisses primitives (D. Houzel). La fonction d’anticipation (S. Missonnier) et  de prévision (C. Athanassiou-Popesco) s’avère cruciale dans son développement, dans sa vie psy-chique, mais également dans les processus de la parentalité. Les émotions du bébé (B. Golse), qui sont ainsi insérées dans le champ complexe des liens intersubjectifs psyché-soma, peuvent devenir le révélateur de souffrances périnatales. Nous avons été particulièrement intéressés par la récente théorie du « biofeedback social » de G. Gergely et J.S. Watson qui étudient les comportements d’imitation de la mère et confir-ment aujourd’hui les vues théorico-cliniques de W.R. Bion et d’E. Bick. En effet, les états psy-chiques du bébé ne peuvent être perceptibles par lui et devenir conscients, que sous l’action de processus d’imitation, d’empathie et de leurs effets rétroactifs.

Les modalités défensives ultra-précoces que l’on peut observer chez les bébés ont fait l’objet dans cet ouvrage d’une attention particulière avec S. Fraiberg. Pionnière, elle a décrit cinq com-portements responsables de déviations dans les modalités des relations objectales et qui ont des effets sur la formation du moi : évitement du regard, avec absence de sourire ou de vocalise, gel des affects, inversion de l’affect, auto-agressivité et comportements de lutte. Chaque description est assortie d’exemples cliniques tout à fait pertinents et convaincants. Les réactions de gel correspondent à une immobilité complète de la posture, de la mobilité et de la voix. Rappelons que l’immo-bilisation constitue une défense quasi biologique contre la perception d’un grand danger. Lorsque S. Fraiberg reprend les voies d’écoulement et d’expres-sion de l’agressivité, nous percevons tout à fait le compor-tement de ces enfants imprudents, téméraires, ou exprimant leur rage par des auto-agressions.

Malgré les apparences et en dépit des progrès scientifiques, l’incer-titude et l’aléatoire restent majeurs au cours de la procréation (associations génétiques, contex-tes de vie, environnement, aspects somatiques…). Par ailleurs, nul n’échappe aux réminiscences du passé : les transmissions transgénérationnelles du passé infantile parental, qui sont présentes au temps périnatal (A. Carel), exigent tout un « travail de la nativité » au sein de la famille.  

Alors quelle est la manière dont s’exprime la souffrance du bébé ? Comment la reconnaître ? Quel sens lui donner et quels sont les processus de contenance pour l’enrayer ? Lorsque l’angoisse du bébé s’exprime par une émotion, la mère est là pour aider, réduire, aménager, transformer ce qu’il ressent. Le lien ici est préservé et l’intersubjectivité maintenue. Dans ce cas, les angoisses de pertes sont alors à considérer comme un signal d’alarme pour le Moi. Très différentes sont les manifestations de tensions émotionnelles, d’an-goisses primaires, d’anxiétés primitives difficilement locali-sables (D. Mellier).

Une grande place dans cet ouvrage est réservée aux éprouvés n’ayant encore pu faire l’objet d’un traitement psychique : matériaux bruts qui n’ont pu être pensés, ni même remémorés. Ainsi, la possibilité pour le sujet de réintégrer des éprouvés initiaux (originellement, ce qui était « hors de lui ») peut lui permettre de se remémorer ce qu’il avait oublié ou n’avait pas pu penser. L’exigence de travail entre les psychés individuelles est ainsi une nécessité incontournable. Elle passe au préalable par l’empathie, la résonnance émotionnelle et le sentiment de confiance que le bébé peut éprouver dans son environnement. Le praticien est amené à convertir en matériau psychique des éléments hors psyché. Il existe en effet des liens entre les capacités de rêverie maternelle et l’attention du soignant. Cette possibilité de se rendre disponible psychiquement pour accueillir les projections brutes modifie, on le sait, la psyché et in fine les comportements et attitudes du bébé mais aussi des adultes qui s’occupent de lui.

Cet ouvrage est précieux à plusieurs titres. Il participe à l’essor et à l’avènement des connaissances s’agissant de la vie psychique des bébés, il met éga-lement à notre disposition un modèle métapsychologique perti-nent et fécond pour penser aujourd’hui toute émergence, construction de la vie psychique et ses aléas. Source considérable d’enrichissement pour tous les praticiens, y compris ceux qui exercent à d’autres âges de la vie, cet ouvrage permet de penser la vie infantile, l’archaïque et ses répercussions sur le devenir du sujet adulte. Par ailleurs, la prise en compte du fonctionnement psychique individuel et groupal, amplement démontré, améliore notre compréhension des proces-sus psychopathologiques et des dispositifs de soins qui sont alors à mettre en place.