Livre après livre, la collection des « petits bleus » des PUF nous a habitués à des projets ambitieux. Le dernier en date, La Grande Histoire et la petite, vise une réflexion sur l’apport de la psychanalyse à la compréhension des faits de notre histoire contemporaine. Dirigé par Jacques André, Françoise Coblence et Catherine Chabert, l’ouvrage présente huit textes croisant des récits cliniques avec un questionnement sur l’Histoire : quels sont les effets des évènements réels, passés ou présents, sur les productions psychiques des individus ? Qu’advient-il des vies minuscules lorsque l’Histoire frappe à la porte ? Comment l’histoire individuelle et l’histoire collective se nouent-elles dans la cure et quel statut leur donner dans notre écoute ?
De l'expérience au récit de l'expérience
Le titre a de quoi surprendre. Selon une représentation commune, la grande Histoire ne relèverait pas du domaine de la psychanalyse, mais appartiendrait aux historiens, sociologues ou journalistes. Tout se passe comme si un « Yalta » épistémologique partageait les territoires disciplinaires entre les sciences du collectif et celles du psychisme. Aux cliniciens, la petite histoire, le destin individuel, la psyché ; aux autres, la grande Histoire et la marche du monde. Pour le plus grand plaisir du lecteur curieux, l’ouvrage s’autorise à atténuer une distinction arbitraire qui dissocie l’indissociable : la société et l’individu, l’expérience et le récit, le psychisme et le contemporain. Nous voici donc amenés à écouter comment la grande Histoire travaille l’appareil psychique, à nous pencher analytiquement sur la résonance dans les récits cliniques d’une poignée d’expériences les plus folles de l’histoire actuelle : la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, le massacre des Rohingyas, la guerre en Colombie, la dictature sous Poutine.
Pour l’analyste, penser l’Histoire revient d’abord à repenser les contours…