Paul Marciano est bien connu des équipes de pédopsychiatrie pour son engagement dans notre discipline, tant au niveau des institutions qu’à celui de la périnalité. Il a créé dès 1985 les journées de Saint Alban réunissant Tosquelles, Bonnafé, Oury, Gentis et beaucoup d’autres autour de la psychothérapie institutionnelle. Il a ensuite créé à Béziers des journées de périnatalité très suivies par les professionnels concernés. Plus récemment, il s’est intéressé aux questions de l’enfant à l’école, à ses difficultés d’apprentissage et à ses moyens de sublimation. Dans ce dernier ouvrage portant sur la dyslexie-dysorthographie, il approfondit cette voie en nous proposant à point nommé une réflexion très aboutie sur un syndrome en passe de suivre le mouvement général des pathologies pédopsychiatriques, celui d’une neurologisation exclusive de son approche, notamment aux niveaux étiologique et thérapeutique. Après l’autisme et l’instabilité psychomotrice devenus des troubles du développement neurologique de l’enfant, essentiellement programmés par des étiologies génétiques, à l’exclusion de toute problématique psychique, la dyslexie-dysorthographie vient prendre tout naturellement sa place dans ce concert de la modernité clinquante, sous le seul ciel des neurosciences, pour in fine, en chasser les pédopsychiatres qui pourraient prétendre vouloir continuer à les prendre en charge.
Paul Marciano, éminent acteur d’une pédopsychiatrie intégrative, fait l’effort de rassembler les différents aspects d’un problème complexe comme celui-là, pour attirer notre attention sur le fait que, loin de contester les explications neuroscientifiques proposant des hypothèses de compréhension fonctionnelles des phénomènes en question, un nombre non négligeable d’exemples cliniques montre que ce syndrome peut également survenir dans les histoires d’enfants à des moments et selon des processus sur lesquels la psycho-dynamique a des hypothèses spécifiques à proposer. Et loin de s’en tenir à de vagues supputations fumeuses qui ont tant fait pour délégitimer la psychanalyse, Paul Marciano nous démontre, exemples à l’appui, que ses positions d’intégrateur de la pédopsychiatrie sont une voie à suivre avec le plus grand sérieux. Pour lui, lire, écrire, orthographier sont des apprentissages fondamentaux du petit d’homme, qui, dans le monde contemporain, comptent énormément pour son avenir social et personnel. Si parfois, une difficulté d’ordre neuro-développemental portant sur ces mécanismes d’apprentissage se fait jour, cela peut amener l’enfant à présenter des symptômes qui vont faire l’objet d’une rééducation ciblée. Toutefois, dans d’autres circonstances, ce symptôme peut aussi être le porte-paroles pour l’enfant d’un compromis économique entre une angoisse de castration (voire des angoisses plus archaïques) et son désir inconscient de ne pas suivre la route que ses parents ont tracée pour lui. Encore faut-il accepter l’idée d’un inconscient, d’un désir, de pulsions et des processus de sublimation qui vont avec, et pour corser l’affaire, des aléas de la sublimation qu’un tel processus ne manque pas de porter avec lui dans les développements singuliers de chaque enfant, en fonction de l’histoire personnelle, familiale, transgénérationnelle. Donc là encore, la nécessité se fait jour de réunir les forces en présence, neurosciences et psychopathologie, pour rendre aux enfants qui en ont bien besoin, les services qu’ils attendent de nos savoirs rassemblés.
Dans son livre, Paul Marciano nous donne les éléments pour avancer dans cette direction, en mettant à la disposition du lecteur les outils qui lui permettront de comprendre ce qui peut être en jeu dans ces pathologies complexes. Ces éléments sont détaillés en fonction de l’objectif poursuivi, et commencent tout d’abord par quelques considérations historiques permettant de resituer l’enjeu du problème dans un contexte plus global, puis les différentes approches sont déclinées avec nuances pour se centrer sur la question de l’écriture comme phénomène humanisant relativement récent et participant de fait à l’identité du citoyen d’aujourd’hui et à son insertion dans son groupe d’appartenance.
Mais Marciano n’en reste pas à une description de l’extérieur, il entre dans la psychopathologie pour éclairer les mécanismes qui peuvent être utilisés par l’enfant pour construire son identité à partir des grands concepts freudiens et post-freudiens : la scène primitive, les parents combinés, le roman familial, l’identification des lettres aux personnes, l’emprise et bien d’autres que je ne peux tous citer. Mais la lecture n’est pas un apprentissage comme les autres, il met en contact l’enfant avec le livre. A une époque à laquelle le livre semble en perte de vitesse au profit des écrans de tous ordres, quels sont les enjeux de la pédagogie contemporaine autour du livre ? Quelle est la place du livre pour l’enfant d’aujourd’hui ? Après tous ces éléments de réflexion, Paul Marciano nous propose quelques hypothèses psychopathologiques, soit générales, soit spécifiques. Dans les premières possibilités, plusieurs alternatives sont rencontrées qui contribuent à l’apparition d’une telle psychopathologie : la dépression, le mandat familial, la contrainte consciente ou inconsciente exercée par le ou les parents, la phobie des livres. Dans la deuxième, Marciano approfondit le concept de « lettre » en suivant les pistes de Freud, Klein et Lacan pour mieux mettre en évidence son importance dans la fonction de représentation qu’elle rend possible. Puis il insiste sur la pulsion d’emprise qui vient occuper avec une « fougue sadique » une place défensive vis-à-vis de l’écriture, indiquant son agressivité sous-jacente. Parfois l’enfant fait prévaloir ses codes personnels sur ceux que l’enseignement tente de lui imposer.
D’autres cas montrent que les remaniements familiaux peuvent avoir un impact sur les phénomènes d’identifications des enfants, soumis à des variations des conditions de possibilité oedipiennes qui ne le laissent pas toujours indemne. Enfin, l’auteur présente l’hypothèse de la dyslexie-dysorthographie comme auxiliaire du sur-moi, avant de conclure par une présentation du dispositif qu’il a créé dans son service de pédopsychiatrie pour accueillir et traiter ces psychopathologies singulières présentées par des enfants et des adolescents. Face au discours dominant et simplificateur sur ce symptôme concernant beaucoup d’enfants, Paul Marciano oppose un discours sur la complexité, tentant de prendre en considération tous les paramètres qui peuvent intervenir dans sa constitution, y compris les plus décriés actuellement, ceux que la psychopathologie psychanalytique propose d’éclairer avec ses concepts. Il y parvient avec une grande sérénité en ouvrant les perspectives à d’autres possibles que la seule immanence d’une « neuroscience sans psyché ».
Ce faisant, il participe à l’aventure décisive d’une pédopsychiatrie transférentielle, référée à la psychodynamique comme à beaucoup d’autres savoirs, mais pas sans elle. Cet ouvrage permettra à tous les professionnels de l’enfance de garder un point de vue humanisant dans un domaine pour lequel la tentation d’un tout biologique, fut-il séduisant sur le plan intellectuel, serait préjudiciable pour les enfants concernés sur le plan psycho-affectif. Je ne peux que conseiller vivement la lecture de ce livre. Même les dyslexiques y trouveront des raisons de se poser des questions sur leurs propres difficultés et aussi d’y trouver des réponses vitales pour eux. Merci à Paul Marciano de nous avoir donné l’occasion de reprendre ce débat et de l’avoir fait avancer à grands pas, fut-ce au prix de la complexité.