Le mérite de cet ouvrage est d’élargir la question du terrorisme à celle de la destructivité qui est une des composantes du psychisme. Son auteur Daniel Oppenheim psychiatre, psychanalyste part du constat angoissant : « On voit un nombre significatif d’adolescents et de jeunes gens « comprendre », excuser la violence politique excessive en particulier celle du terrorisme, voire tenter de s’y engager » . Si la violence est omniprésente dans notre monde il convient d’en comprendre les mécanismes pour aider ceux qui pourraient être tentés par la violence politique excessive à s’en déprendre. Pour l’auteur : « la destructivité pousse les humains à vouloir détruire objets ou autres humains y compris eux-mêmes, leur corps, leur capacité de penser et d’éprouver des émotions, leurs repères identitaires. Elle existe en chacun, en chacune et en toute société. » Les situations de crises individuelles ou collectives permettent à cette destructivité de s’exprimer en paroles et en actes. Le terrorisme qui fait si peur actuellement n’en est qu’une facette.
Derrière la destructivité on reconnaît la pulsion de mort telle que Freud l’a décrite. L’auteur fait une description simple et accessible pour ceux qui connaissent mal la psychanalyse. C’est en effet sa préoccupation principale : se faire comprendre par un public large pas seulement soignants, mais fonctionnaires, travailleurs sociaux, enseignants etc … Il s’agit de leur permettre de comprendre les raisons et les causes qui poussent des adolescents, de jeunes adultes à soutenir des organisations terroristes violentes voir à s’y engager. Il est difficile de comprendre comment ceux qui présentent de nombreuses caractéristiques communes ne basculent pas tous, loin de là heureusement, dans la destructivité en acte. Daniel Oppenheim s’intéresse à la place centrale qu’occupe la mort dans la destructivité et il s’appuie notamment sur une lecture critique de l’autobiographie du commandant d’Auschwitz.
Dans une seconde partie l’auteur mène une réflexion sur les moyens que les victimes et leurs enfants ont pour résister « à la violence barbare pour se déprendre de leurs effets traumatiques et destructeurs ». Ce qui nous a particulièrement intéressé, c’est le chapitre consacré à ce qui attire des adolescents vers la destructivité que ce soient les terreurs archaïques, les peurs, les fragilités identitaires, l’inscription dans une lignée mythique ready-made qui lui évite de devoir chercher dans le passé les secrets, son histoire, l’origine de son mal-être ». Mais aussi la question de la frontière que cela permet de mettre par rapport aux autres permettant de les déshumaniser. Des remarques sur la notion de certitude et d’engagement sont percutantes. Les réponses d’accompagnement sont proposées.
Il y a même un exemple de psychothérapie psychanalytique aidant à l’atténuation. Mais l’auteur a fait le choix assumé de s’adresser à des lecteurs bien au-delà de ceux qui pratiquent la psychanalyse. On retrouvera dans cet ouvrage une série de vignettes fort intéressantes balayant largement le champ de l’histoire et de la littérature, mettant bien en relief des trajets singuliers d’émergence de la destructivité chez un individu. Tout en soulignant l’ampleur des questions qui restent à travailler dans de nombreux champs (économique politique juridique, etc.). L’auteur souligne : « Le psychanalyste tient compte de la pulsion de mort et de la destructivité, qu’il reconnaît aussi bien du côté des black-blocs actuels, des terroristes, des tortionnaires et des dictateurs. Son expérience lui a appris que la mort peut être utilisée de façon constructive aussi bien que destructrice, que les symptômes sont aussi des tentatives – et des demandes – de guérison et qu’il n’est certes pas inutile de s’adresser à la réflexion consciente même si l’efficacité en reste provisoire et limitée ». D. Oppenheim attire notre attention sur le fait que le psychanalyste confronté à la destructivité doit être suffisamment au courant de la réalité sociale et politique de son patient mais qu’il doit aussi être « attentif entre bien d’autres éléments, à la façon dont celui-ci a construit, facilement ou non, sa confiance dans l’ordre du monde ».