Comme le souligne Claude Le Guen, dans sa préface au livre de Claude Janin, Figures et destins du traumatisme, le trauma « est sans doute l’une des notions les plus indécises de la psychanalyse, voire des plus équivoques, et sans doute des plus énigmatiques. Cela tient, à l’ambiguïté de ses confluences placées à la rencontre du dedans et du dehors, à sa dynamique d’excès, de rupture et de perte, à sa fonction d’alarme et de protection comme à son pouvoir d’effraction. Agent d’une réalité dont la puissance et la source demeurent incertaines, le trauma est l’occasion d’entrevoir ce qui peut agir au-delà du plaisir et de son principe (…) Le trauma : la pire et la meilleure des choses… ».
L’importance et la pertinence de l’ouvrage de Claude Janin réside en ce qu’il fait avancer la compréhension de la complexité de la problématique du « trauma », tant au regard de la question de l’historicisation qui surgit à chaque fois que l’on est conduit à s’y référer sur le plan clinique et théorique (l’histoire du sujet et la place de l’événementiel dans son histoire singulière), qu’au regard de sa position « originale » et « originelle » dans l’histoire même de la psychanalyse, du fait que ce concept est aux « origines » même de la psychanalyse : il est le concept clef, aux fondements de l’édifice freudien, à partir duquel Freud, en 1897, est conduit au renversement épistémologique du « renoncement » à sa croyance en la « neurotica ».
Dès lors, les liens entre la réalité psychique et l’origine externe et interne du traumatisme posent une question épistémologique essentielle en psychanalyse. Cette question fut au centre de la controverse entre Freud et Ferenczi, entre les années 1928 et 1933, et, depuis, ce « débat » semble « hanter » la communauté psychanalytique au point de donner le sentiment d’interdire toute pensée qui permette l’articulation dialectique concernant la question de l’origine du trauma avec celle de la réalité, alors que, comme y insiste longuement l’auteur, les théories de D.W.Winnicott, les travaux de S.Viderman et la conception moderne de l’Histoire, entre autres, l’autorisent.
Ainsi, les conceptions de l’auteur – qui introduit les notions de « noyau traumatique du Moi », de « collapsus topique », de « noyau chaud » et de « noyau froid », ainsi que d' »animisme à deux » – lui permettent, à partir de très nombreux exemples cliniques qu’il déploie pour le plus grand bonheur du lecteur, une réévaluation des liens entre trauma « réel » et trauma « psychique » et le conduisent à postuler l’existence de « traumatismes sans fin » et de « traumatismes avec fin », ainsi que la capacité du sujet à constituer au sein de sa psyché une « potentialité » à subir psychiquement un traumatisme qui, en fin de compte, a une valeur et se révèle « anti-traumatique ».
L’incontestable mérite du livre de Claude Janin est de montrer comment à partir de la clinique, et comment à partir de l’épistémologie psychanalytique, la question du traumatisme est centrale pour la pratique de l’analyse au regard de l’épineuse question soulevée par Freud, à partir de 1937, de la « vérité historique », c’est-à-dire, pour l’auteur, de la « mise en forme d’histoire », et donc de « représentation », d’événements qui n’ont pas été représentés. Ce point de vue, permet à Claude Janin de soutenir, dans une démarche extrêmement originale qui le conduit à dialoguer avec de nombreux auteurs de l’analyse contemporaine (A.Green, J.-B.Pontalis, C. et S.Botella, etc.), que la cure psychanalytique est par essence « anti-traumatique ». Son dispositif, du fait même de l’activité de liaison qu’il met en oeuvre (même si celle-ci est à la fois toujours menacée et toujours possible), permet en effet, selon la très belle formule de Jules Michelet, de « faire parler les silences de l’Histoire, ces terribles moments où elle ne dit plus rien et qui sont justement ses instants les plus tragiques ».