Comment réussir un essai philosophique à partir d’une biographie romancée, et en tirer des réflexions de portée générale sur l’histoire récente, sur l’homme d’aujourd’hui, sur son évolution de la névrose aux pathologies limites, sur son être-au-monde, sur ce qui nous arrive dans ce contexte de post-modernité ? L’ouvrage de Marc Hayat remporte le pari d’y parvenir en nous permettant de faire le tour de cette immense problématique sociétale et psychopathologique.
Car le temps du héros des Lumières s’éloigne rapidement pour nous faire entrer dans une nouvelle période dans laquelle les repères, les coordonnées, les étayages ont bigrement changé de références et laissent nombre d’entre nous sur le bord du chemin de la pensée de ce qui nous arrive collectivement.
Dans son livre, Marc Hayat donne à voir, avec délicatesse et sans exhibition, sa propre histoire quelque peu aménagée, entremêlée de celles de ses contemporains, familiaux, amicaux, professionnels, pour nous aider à comprendre le saut épistémologique franchi en quelques dizaines d’années. Du névrosé occidental poids moyen, nous sommes passés à un être limite. Il n’est plus franchement névrosé comme l’étaient ses pères. « Chez lui, il n’y a pas de sentiment de culpabilité, il n’a pas le sens de l’avenir, de son devenir in progress. Il vit dans le présent, dans l’action. À l’extrême, il ressemble à ces jeunes des banlieues pour qui l’horizon est le no future, sans que cela les plonge dans la tristesse et l’inhibition, mais plutôt dans la violence brute de décoffrage, directement pulsionnelle. »
Pour dérouler son argumentation, Marc Hayat reprend l’histoire romano-judéo-chrétienne et retrace les analogies et les différences qui ont conduit l’homme à la période rationnaliste des Lumières. Puis il met en exergue les traumatismes du…