Daniel Widlöcher se voit enfin consacrer un ouvrage synthétique et très bien argumenté pour expliciter et rendre compte des principaux concepts qu’il a travaillés dans ses recherches psychanalytiques : c’est un document de 270 pages réalisé sous la direction d’Antoine Périer en collaboration avec Alain Braconnier, Catherine Chabert, Bernard Golse, Sylvain Missonnier, et Martin Reca. Il est publié aux éditions In Press dans la collection 1 Psychanalyste 1 Œuvre. Il se présente de façon très claire et didactique sous la forme de textes originaux introduits et commentés par les auteurs, tous très proches de l’œuvre et de l’homme. Cette présentation permet au mieux de saisir l’architecture générale et la dynamique de la conception de Daniel Widlöcher dont elle souligne la cohérence, la profondeur et la portée.
Chacun sait dans le petit monde universitaire et professionnel que Daniel Widlöcher a exercé sur beaucoup à partir des années 50 et bien au-delà des années 2000 un magistère à nul autre pareil dans la psychiatrie française, tout en occupant depuis les années soixante une place importante dans le monde de la Psychologie dans le sillage de Daniel Lagache, et en jouant parallèlement un rôle exemplaire dans le débat psychanalytique français et inter-national par ses prises de position courageuses : c’est donc un hommage rendu à l’homme, à son ouverture d’esprit, à la puissance de sa pensée et à sa qualité de grand témoin des transformations scientifiques, techniques, éthiques et sociétales de notre époque. Grand enseignant, il a toujours cherché à diffuser et à faire connaître ses idées au sein du monde des sciences de l’Homme, de la vie et de la santé, en les appuyant sur un fort enraci-nement dans sa triple formation de médecin, de psychiatre et de psychologue mise au service de la psychanalyse, par-delà les querelles homériques qu’aura traversé notre époque. Pour beaucoup, il incarne en France l’esprit de la recherche et de l’approfondissement des fonda-mentaux de la découverte Freudienne, de leur ancrage dans la clinique et dans le soin, avec le souci de les mettre en perspective et les prolonger dans les sciences et dans la culture. Nous nous bornerons ici à quelques points.
Tout d’abord la lecture des textes montre bien que la Réalité psychique doit être comprise en tant que modalité du fonctionnement psychique dotée d’une réalité matérielle et factuelle mais aussi psycho-logique, que l’on peut observer sur le mode de l’accompli sous la forme d’actions dont la représentation trouve en elle-même sa finalité. L’affirmation de la positivité de l’inconscient repose quand à elle sur le constat qu’il existe un objet psycha-nalytique que l’on peut désigner comme tel car il devient visible dès lors que l’on applique la procédure de la cure qui met en lumière des évènements mentaux bien particuliers chez l’analyste aussi bien que chez l’analysant. En ce qui concerne la place de la Sexualité infantile et de l’atta-chement, l’ouvrage montre que Daniel Widlöcher vise à dépasser la théorie explicative de la libido et de l’origine des pulsions en les regardant comme un ensemble de schèmes comportementaux qui tendent à leur propre réalisation ; il ne veut pas renoncer à l’intérêt descriptif du libidinal pour intégrer les manifestations de l’inconscient ; mais il s’agit pour lui de reconnaître du côté maternel la ligne de développement de l’amour primaire suivant le constat de l’école hongroise qui considère la psychanalyse comme une two-body-psychology ; il s’agit aussi pour lui de considérer comme un véritable objet psycha-nalytique les relations interper-sonnelles dans leur rapport avec la ligne de développement de l’amour primaire du côté de la mère au même titre que les fantasmes, en même temps que l’on considère du côté de la fantasmatique la ligne de développement de l’autoérotisme dans ses rapports avec les identifications construites après-coup à partir de celles-ci.
Venons-en à l’écoute analytique, la Co-pensée, l’Empathie et le fil rouge du plaidoyer pour une métapsychologie de l’écoute : ce que la métapsychologie doit définir, c’est le mode de fonctionnement spécifique de l’esprit dans le dispositif de la psychanalyse. La mise en forme de la théorie sur la découverte de l’inconscient ne repose pas seulement sur la manière dont il se révèle dans la cure, mais aussi dans la manière dont le sens peut se construire dans l’écoute analytique. Au bout du compte, il ne s’agit donc pas de postuler une mystérieuse communication d’inconscient à inconscient à travers la co-pensée et l’em-pathie, mais bien de construire un savoir-faire acquis par l’analyste sous la forme d’une double écoute, de l’inconscient d’autrui et de son propre inconscient.
Enfin, pour l’approche « dissé-quante » de l’empathie, qui se manifeste au mieux en clinique par le tact défini comme « capacité de sentir avec » (einfuhlung avec sa dimension d’accordage esthétique) il affirme qu’elle apparaît comme un « procédé » de nature à permettre de mieux distinguer d’une part l’empathie primitive conçue comme précurseur
de l’identification, et d’autre part la prise en compte par l’analyste de l’éprouvé contre-transférentiel avec sa dimension intersubjective et ses effets d’induction réciproque que la présence et la pensée de l’un induit chez l’autre.
Comme l’écrit Alain Braconnier et le conclut Antoine Périer, l’avenir montrera, bien au-delà de la psychanalyse, l’inanité du procès en hérésie souvent fait par certains psychanalystes comme par certains psychiatres à Daniel Widlöcher pour ses travaux qui visent simplement à enraciner les sciences dans la compréhension de l’expérience clinique et psychanalytique sans en altérer la nature. On mesurera alors l’extraordinaire enrichissement, fort bien résumé dans cet ouvrage comme dans son livre Métapsychologie du sens, que sa vision apporte à la psychanalyse grâce aux influences variées dont il a su faire son miel, telles que celles de Politzer, Merleau-Ponty, Henri Wallon, et quelques autres. On pourra aussi mesurer combien ces idées auront fortement influencé toute une génération et contribué à développer au-delà de la Psychanalyse chez tous les cliniciens, de quelques obédiences qu’ils se réclament, la puissance irremplaçable de la perspective clinique comme théorie, comme pratique et comme condition du Soin.
Ouvrage à lire d’urgence !