Le voile est tombé sur la crèche de Baby-loup : son sort est désormais scellé. Sa fermeture, décidée en juin dernier par toute l’équipe à la suite de la décision en mars de la cour de cassation et de ses conséquences sur le personnel qui ne peut plus fonctionner, ne sera pas remise en cause par la Cour d’appel de Paris qui doit rendre son jugement le mois prochain, après que la Cour de cassation ait cassé la décision de la Cour d’appel de Versailles le 19 Mars dernier confirmant le licenciement pour faute de sa directrice adjointe survenu en Décembre 2008. La crèche de Baby-loup, en fermant ses portes, vient témoigner du recul de notre démocratie au profit d’une décision objectivement anti-laïque. Cette crèche exemplaire est depuis plusieurs années l’objet symbolique d’une disparition souhaitée de longue date et stratégiquement déterminée par « l’emprise insidieuse du fondamentalisme au sein de cette crèche ». Le licenciement pour faute de la directrice adjointe résultait de son obstination à porter le voile sur son lieu de travail. Saisie en 2010 par la plaignante, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) affirmait que la directrice adjointe avait fait l’objet de discrimination en se voyant refuser le port du voile, mesure ne s’appliquant pas dans un établissement de droit privé, bien qu’il remplisse des missions de service public. Or « cette histoire nous concerne tous, pour peu que nous ayons des enfants, que nous soyons impliqués dans l’évolution de la société, où que nous aspirions simplement à vivre ensemble en assumant les tensions qu’entraî-nent les difficultés sociales, économiques et familiales aux-quelles nous sommes confrontés.». En publiant en ce moment son livre, Caroline Eliacheff manifeste une fois de plus la clairvoyance qu’elle nous a habitués à trouver dans l’ensemble de ses interventions ainsi qu’un courage remarquable mis au service de la défense des valeurs de notre démocratie ; à partir de faits, qui pour être divers n’en sont pas moins essentiels dans nos réflexions, elle nous retrace l’histoire de la crèche de Baby-loup avec objectivité et précision. Un premier chapitre nous décrit l’histoire de Fatima, la directrice adjointe, qui est exemplaire à bien des titres puisqu’elle bénéficie de la rencontre avec les fondateurs de la crèche en entreprenant une aventure passionnante pour elle et pour ceux avec lesquels elle a travaillé alors. Mais un change-ment dans cette trajectoire la fait bifurquer vers un chemin de croyances qui va la mettre en porte à faux avec les valeurs qu’elle partageait jusqu’alors avec les professionnels de la crèche.
Dans un deuxième temps, Caroline Eliacheff raconte l’histoire de cette crèche passant successivement d’un lieu artisanal à une structure accueillant les enfants sept jours sur sept, éventuellement nuit et jour si nécessaire, et favorisant l’intégration des femmes par la formation professionnelle. Une des six fondatrices, Natalia Baleato, venant du Chili, assurera la direction et, avec ses partenaires toutes musulmanes, réussira à créer un état d’esprit de grande qualité comme il en existe peu aujourd’hui. Basé sur le respect des différences, le travail se consacrera de manière prévalente à l’intérêt des enfants. Des pratiques réfléchies permet-tront de tenir compte des situations diverses de chaque enfant, et les rapports avec les parents dans cet endroit seront pris en considération comme rarement. Un troisième chapitre est centré sur les questions tournant autour de la neutralité nécessaire au respect de chaque enfant, mais aussi de chaque culture, de et des modes d’éducation qui en découlent, et sur un fonctionnement mis en place par les professionnels qui garde comme objectif principal le développement de l’enfant dans de bonnes conditions, quelles que soient les difficultés qui ne manquent pas de survenir à chaque instant. Rester neutre dans un tel contexte relève de la gageure, et pourtant jusqu’à ces évènements procéduriers, le défi avait pu être relevé. Mais une fois les hostilités engagées, la déstabilisation de l’adversaire devient l’objectif principal au détriment des missions antérieurement poursuivies, et l’ambiance de la crèche s’est progressivement détériorée au point de devenir le centre de persécutions objectives, de mena-ces sur les emplois et même sur la vie de certaines personnes désor-mais considérées comme ennemis à abattre. Autant dire que dans un tel climat, les professionnels attachés à la défense d’une certaine idée de la non intrusion par les signes religieux dans la pratique quotidienne sont soumis à forte partie, et qu’il n’y a pas pour eux d’autre alternative que de s’appuyer sur le Droit. Or voilà que, pour des raisons qui se fondent sur des éléments secondaires, les arguments de la légalité viennent, une fois encore faire obstacle à ceux de la légitimité ; le licenciement pour faute est consi-déré comme une discrimination, alors que la loi de la laïcité est enfreinte de fait. Fortes de ces réponses venant conforter leurs positions revendicatives, la personne condamnée par les instances ordinaires peut dès lors s’enorgueillir de la prétendue légitimité de son combat. Dans le dernier chapitre portant sur « mon droit, ma légitimité », Caroline Eliacheff pose les questions essentielles de ce drame de notre société contemporaine. Les arguties juridiques ont raison du principe de laïcité. Le recul de la démocratie est inévitable si les magistrats de la Cour d’appel de Paris ne viennent pas dire, sur le fond, le Droit de notre République. Les conséquences immédiates de telles décisions inciteront les phénomènes de lobbying, les manœuvres d’em-prise, et les rapports de forces en lieu et place d’une justice au service d’un peuple de citoyens. Les communautés les plus imposantes, les plus intransigeantes, mais rapidement, également les autres qui n’avaient pas encore utilisé ces tactiques de combat, se le tiendront pour dit : une seule solution pour obtenir ce que l’on veut, la force.
Caroline Eliacheff analyse avec une grande sérénité ce que cet événement vient dire de notre société contemporaine, et elle insiste à juste titre sur le peu de considération accordé au fait qu’il s’agit d’enfants et que tout ce qui se déploie de violence insti-tutionnelle autour d’eux ne peut que jouer en leur défaveur, car ajoute-t-elle, « ce sont eux les héros silencieux et les victimes oubliées de l’affaire Baby-loup ». Lire ce livre aujourd’hui est bien sûr un moyen de suivre l’évolution de notre société, mais cela peut conduire à demander avec conviction à nos décideurs politiques de prendre conscience de l’importance non seulement du débat sur la laïcité mais surtout des gardes fous qu’il faut mettre en place pour en assurer la pérennité dans un souci constant de sauvegarde de la démocratie. A ce titre, c’est une prise de position à côté des professionnels de la crèche de Baby-loup et en faveur de leurs idées et de leurs pratiques.