Jean Cooren avait déjà écrit un premier ouvrage remarquable, L’ordinaire de la cruauté, paru en 2009, dans lequel il développait avec grand talent ses idées sur les difficultés de l’homme dans le monde, aussi bien à partir du récit de cures de patients que de celui d’écrivains tels que Cormak Mac Carthy, ou de thèses de philosophes, entre autres, celles de son cher Derrida.
Dans ce deuxième ouvrage, il explore plus avant les rapports entre psychanalyse et démocratie. Reprenant le concept d’écriture dans sa version derridéenne, en l’articulant aux phénomènes révélés par la qualité des transferts psychanalytiques, il éclaire trois points nodaux au fondement de l’humain : l’hospitalité, la justice et la solidarité. A partir de nombreux exemples cliniques et politiques, il démontre que la psychanalyse en permettant de mieux comprendre les trajectoires individuelles, donne des clés pour résoudre le Politique. A charge pour ce dernier de bien vouloir se pencher sur la psychanalyse, non pas comme une spécialité élue qui devrait bénéficier d’un favoritisme quelconque,- ce n’est pas vraiment le genre de la maison Cooren -, mais plutôt comme une condition de possibilité pour penser le monde de demain à la lumière de l’humanité et pas seulement à celle d’un économisme de bas étage. Les chapitres sont autant de variations sur le thème général « psychanalyse et démocratie », et passent en revue les grandes questions de notre humaine condition d’aujourd’hui : « réin-venter l’hospitalité, apprendre à lire l’exclusion, décoloniser et perméabiliser les frontières, accompagner le tremblement des choses, faire-avec la fêlure du monde ». Grâce à la poésie vivante de son langage, Jean Cooren nous conduit dans maints paysages de notre vie quoti-dienne pour redonner à nos destins vitaux un sens qui trop souvent s’égare dans le consumérisme et les prêt-à-penser médiatico-sensibles. En redonnant à la psychanalyse sa fonction de veilleur d’humanité, il ouvre de larges perspectives pour cette philosophie de vie et de soins qui actuellement passe par une période de critiques négatives et entrave les inventions qu’elle devrait faciliter. Les manières de raconter les cures et les harmoniques qu’il retrouve dans la psychopa-thologie de la vie quotidienne de nos contemporains, sont autant d’occasions de créer des passerelles fécondes avec la matière même du Politique, et, ce faisant, Jean Cooren engage un nouveau processus de « sortie de crise » par la pensée subjectale et le penser collectif, alors que tout nous invite aujourd’hui à la dépression et au pessimisme narcissico-entropiques. Pour lui, « ce livre suit un parcours déterminé : il s’arrête sur des points qui font débat, et cherche à rendre compte de ce que la psychanalyse pourrait apporter à la réflexion commune. Il manifeste ainsi qu’elle ne saurait s’absenter du débat public à propos de questions aussi diverses que l’hyperactivité, la guerre, la nation, l’immigration, la colonisation, ou, de façon plus générale, pour ce qui concerne l’organisation collective du « vivre ensemble ». La psychanalyse y propose une manière différente d’accueillir ce qui fait « symptôme ». Dans ce livre, je soutiens la nécessité de garder le cap de l’utopie, de la « promesse », dans une confrontation permanente avec un réel qui sans cesse nous échappe ».
A l’heure actuelle, trouver chez un psychanalyste connu pour la qualité de son travail de thérapeute, un tel souci de démocratie, même si sa réalisation en est toujours asymptotique, est une heureuse surprise. Et vous aurez compris que c’est un devoir de psychanalyste-citoyen de vous y plonger dès que possible.