« Et si nous laissions tomber la spirale de la haine pour nous occuper des enfants, en veillant à ce que la souffrance des familles soit elle aussi enfin écoutée et entendue. Est-il utopique aujour-d’hui de rêver d’un monde où chacun pourrait être reconnu et entendu ? » C’est sur ces paroles que Catherine Vanier termine son ouvrage. Qui pourrait contester l’absolue nécessité d’en arriver là ? Nous n’allons pas continuer à nous laisser déchirer et détruire par des personnes qui ont souffert et qui souffrent encore, mais qui pour se sauver elles-mêmes de leur propre dépression choisissent la haine comme rempart unificateur contre un ennemi commun, la psychanalyse et les psychanalystes. Heureusement des livres comme celui de Catherine Vanier, celui de Bernard Golse, ou encore celui de Marie et Claude Allione, viennent nous aider à sortir de ce piège monstrueux dans lequel nous enferment nos détracteurs, avec des arguments aussi nuls que cruels. En prenant au sérieux les témoignages de parents embar-qués dans cette aventure de l’autisme de leur enfant, Catherine Vanier et Bernadette Costa-Prades nous conduisent vers une décons-truction de leurs trajectoires en expliquant les grandes questions qui les agitent dès lors qu’ils repèrent souvent très tôt les signes de souffrance psychique de leur bébé à risque autistique, mais sans les simplifier abusivement ni les caricaturer. Eglantine Eméyé, dans une émission récente , nous montre la profondeur du désarroi traversé par les parents. C’est ainsi que dans l’ouvrage de Catherine Vanier, l’on trouve des réponses argumentées et cohérentes aux questions inhérentes à toute souffrance psychique d’un enfant, celles qui tournent autour de la culpabilité. Il n’est pas besoin d’avoir un enfant autiste pour éprouver cette difficulté angoissante : « s’il a attrapé un rhume, c’est parce que je ne l’ai pas assez couvert hier quand il est allé à son sport »…. Passe encore pour ces petits bobos, mais quand il s’agit d’un enfant qui ne répond pas aux interactions aimantes de ses parents, alors là, la culpabilité se déchaîne et c’est la première réaction normale des parents vis-à-vis de leur bébé à risque : qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour que ça arrive ? et d’ailleurs, la question de la culpabilité ne serait pas plus simple à régler, quand bien même il s’agirait d’une hérédité génétique ! Plutôt que de redire d’une façon répétitive et maintenant perverse que ce sont les psychanalystes qui culpabilisent les mères depuis Bettelheim et Mannoni, Catherine Vanier explique patiemment le processus qui conduit à ce sentiment pénible, et justement comment, quand les parents peuvent être écoutés et entendus, cette culpabilité peut retrouver le chemin plus constructif de la responsabilité pour son enfant. Mais là, l’angoisse augmente : « Je regarde sur Internet et je découvre qu’il y a mille méthodes qui se partagent le marché, que les manières d’y voir clair sont inexistantes et qu’on ne peut procéder que par un choix quasiment analogique à celui d’un groupe d’appartenance voire d’une religion ». Alors puisqu’il n’y a pas moyen de savoir, « je vais lire les recommandations de l’HAS et le commentaire qu’en fait la ministre déléguée aux handicapés » : « elle jette de l’huile sur le feu et casse la baraque des pédopsychiatres, que c’en est une honte pour une ministre responsable du service public ». L’auteure nous explique de façon tranquille et pédagogique comment toutes ces forces se conjuguent pour aboutir à une désinformation de fait des parents, et comment, plutôt que de les aider à s’orienter dans un dédale de solutions, elles nourrissent une haine de la pensée qui ne sied pas à ceux qui prétendent aider leurs proches dans la souffrance à se sortir du pétrin dans lequel les met l’autisme de leur enfant. Catherine Vanier insiste sur la probabilité qu’un jour des chercheurs dans divers domaines (génétique, mais aussi psychanalytique !) arrivent à mieux cerner ce qui est en jeu dans le « processus autistisant » (Jacques Hochmann), et sa sagesse conduit le lecteur à prendre en considération plusieurs aspects du problème posé : éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques. Ce n’est pas parce que quelques enfants sont réellement améliorés par une bonne prise en charge éducative et pédagogique que certains autres enfants n’auraient pas besoin d’un soutien théra-peutique ! Les enfants sont différents et la réduction de la pensée que le DSM fait régner sur les TED/TSA n’arrange pas les choses en faisant penser aux âmes naïves qu’il n’y aurait qu’un autisme, devenant le modèle impérial auquel il faudrait se soumettre. De nombreuses formes existent et il convient de toujours construire un costume sur mesure pour chacun d’entre eux. D’où l’importance d’avoir un médecin qui coordonne ces constructions de façon rigoureuse, c’est-à-dire en laissant ouvertes les différentes options, sans en condamner aucune, et en faisant un travail d’évaluation en fonction des avancées parcourues et des difficultés restantes. Catherine Vanier ne dit pas que la psychanalyse est la panacée. Bien au contraire, elle insiste avec modestie pour dire que nous devons balayer devant notre porte, car trop d’attitudes néfastes ont été adoptées par de soi-disant psychanalystes qui n’avaient aucune formation ad hoc pour ces pathologies tellement particulières et encore énigmatiques. L’autisme ne se traite pas comme un névrosé par une cure-type.
Dans son livre, elle insiste également sur le fait que nous devons sortir de nos dépressions professionnelles dans lesquelles nous nous sommes laissés enfermer depuis quelque temps par un lobbying hainotrope, et accepter les enjeux de l’évaluation. Il est désormais évident que nous devons montrer comment nous pensons avec la référence psychanalytique et plus largement comment nous proposons des méthodes inté-gratives permettant d’articuler les approches différentes au gré de chaque enfant accueilli dans nos dispositifs. Le livre de Catherine Vanier est celui dont nous avions besoin pour redire plus clairement et plus fortement ce que nous faisons en silence depuis trop longtemps. Et c’est littéralement un livre qui donne du cœur à l’ouvrage.