Omar Ba, Autopsie de nos consciences. Paris, Galerie Templon, 28 rue du Grenier St-Lazare, 75003 Paris. Jusqu’au 27 octobre 2018
Avant de se lancer dans les nombreuses expositions de la rentrée présentant de très grands artistes du XXe siècle, (Picasso deux fois, Giacometti, Miro, Schiele, Basquiat, les Impressionnistes…), prenons le temps d’aller voir un peintre jeune, peu connu, du XXIe siècle, d’origine non-occidentale. Il s’agit de l’artiste sénégalais, Omar Ba, premier artiste africain exposé par Daniel Templon. Après l’arrivée d’artistes chinois dans les galeries et les musées et surtout sur le marché de l’art, voici, depuis peu, l’arrivée d’artistes africains. Nombre d’entre eux peignent des personnages et des paysages très africains, à la limite du folklorique et du kitsch. Beaucoup se réfèrent aux situations socio-politiques de l’Afrique et leurs tableaux sont porteurs de messages. Si ces artistes viennent d’une autre culture, ils répondent en fait bien souvent aux tendances actuelles de l’art contemporain occidental. Ce n’est pas le cas d’Omar Ba. Dès le premier regard posé sur le premier tableau, on sait que c’est un peintre fort et original. C’est à dire qu’il ne pose pas tant la question de savoir ce qu’est l’Afrique, mais ce qu’est la peinture. D’ailleurs, il a décidé de pratiquer une peinture somme toute assez classique, figurative et narrative.
Quittant les Beaux-Arts de Dakar, où on enseignait du « copier-coller de ce qui se faisait en Europe dix ans avant », il débarque en Europe. « C’était comme si je n’avais rien connu ou appris avant, j’étais perdu. On me disait que la peinture était morte ». Omar Ba montre qu’elle est bien vivante. Et qu’elle a beaucoup à nous dire et peut encore nous surprendre. En sortant de la galerie, j’entends une visiteuse : « Cette peinture me touche énormément ». « Moi aussi », ai-je envie de lui répondre. « Mais je ne sais pas pourquoi », poursuit-elle. « Moi non plus ! ». N’est-ce pas ce qui caractérise un grand peintre, qui pose des questions mais ne donne pas de réponse ? C’est toujours le même mystère. Comment se fait-il que cet homme de 41 ans, élevé à Dakar, devenu mécanicien, a décidé de s’inscrire dans une école d’art, puis a trouvé une possibilité d’aller en Europe, et d’y développer une œuvre dont l’importance commence à être reconnue, alors que ses vernissages à Dakar « attiraient trois personnes, dit-il, dont moi-même ».
Les toiles d’Omar Ba sont riches de détails énigmatiques. Si les détails foisonnent, c’est pour inciter le spectateur à s’attarder. « Il faut s’approcher, se perdre, puis reculer pour voir l’ensemble, dit-il. Ce va-et-vient, c’est le déplacement que j’ai fait en allant du Sénégal à la Suisse. » Le déplacement reste une nécessité pour Omar Ba, qui vit actuellement moitié à Genève, moitié à Dakar.
Ses tableaux, souvent inquiétants et menaçants, sont néanmoins réjouissants pour les yeux : formes, couleurs, arabesques, motifs floraux. « Je peins des toiles sur des sujets graves, mais je veux qu’elles soient quand-même agréables à regarder ». D’où les couleurs très séduisantes qu’Omar Ba réalise lui-même avec des pigments. D’où une fantaisie très poétique. Des personnages hybrides, fantastiques évoquent les contes de fée, les métamorphoses et la mythologie. Des visages humains, des têtes d’animaux, des masques. Il mélange l’humain, l’animal, le végétal.
Omar Ba mixe les problématiques, tout comme il mixe les techniques et les supports. En mélangeant les genres, son œuvre acquiert une dimension universelle, non pas celle du « tout pareil », mais celle d’une multiplicité de parcours qui la situe délibérément dans le XXIe siècle, donnant une figuration picturale aux mutations géo-politiques.
Ces tableaux activent notre imagination et suscitent des questions. Pourquoi beaucoup de ses personnages portent des lunettes de soleil ? Pourquoi leurs mains sont souvent gantées de noir ? Pourquoi ce grand chat, vêtu d’un manteau à l’occidentale, d’un turquoise intense, est entouré de chaussures ? Pourquoi tel personnage porte des chaussures différentes à chaque pied ? Autant d’énigmes, qui explorent les univers opposés de l’Occident et de l’Afrique.
Les critiques d’art ont tendance à accentuer les aspects typiquement africains de son œuvre – on sait que Omar Ba est en effet très préoccupé par les problématiques politiques africaines – et on lui demande : “Quel est ton message ?” Mais Omar Ba ne se prête pas à ce jeu. « Je suis un artiste africain vivant en Suisse. Je suis appelé à créer un langage nouveau dans lequel je ne revendique pas une appartenance à telle ou telle société d’hommes ». Le message n’est jamais explicite. « Mon travail est visible dans mes personnages, des animaux, des paysages habités, des symboles. »
Omar Ba relève ce défi, cette ambition. « Le fait d’être le seul Africain de la galerie Templon me motive encore plus pour être à la hauteur des autres. » Que cherche-t-il ? « M’inscrire dans l’histoire de l’art. Je veux qu’un jour on parle des artistes africains comme on parle de Manet. »