Niki de Saint Phalle
Grand Palais, Paris. Jusqu'au 2 février 2015.
Maintenant que nous sommes bien installés dans le 21ème siècle, nous pouvons jeter un regard plus distancié sur ce qu’on appellera désormais l’art du 20ème siècle et évaluer ou ré-évaluer l’importance des artistes. L’exposition consacrée à Niki de Saint Phalle apporte une surprise, celle de situer cette artiste, pourtant déjà célèbre, comme une des plus grandes de la deuxième moitié du 20ème siècle.
Artiste hors-norme : elle est femme ; elle est féministe ; elle est autodidacte, au point qu’on a pu la rapprocher de l’Art Brut ; elle a subi des abus sexuels de son père, ce qu’elle ne révélera qu’à la fin de sa vie dans un texte bouleversant, Mon secret. Elle n’est vraiment devenue artiste qu’après une décompensation psychotique et une hospitalisation psychiatrique à 22 ans au cours de laquelle elle découvre la peinture et décide d’y consacrer sa vie. « Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme. C’était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail ». Ces dragons, elle s’y est confrontée avec violence. Elle portait avec elle son « petit arsenal », ensemble de couteaux et un fusil. Retour du traumatisme ? « Pour la petite fille, le viol c’est la mort (…) A onze ans je me suis sentie expulsée de la société. Ce père tant aimé est devenu objet de haine, le monde m’avait montré son hypocrisie, j’avais compris que tout ce qu’on m’enseignait était faux. Il fallait me reconstruire en dehors du contexte familial, au delà de la société. » Elle rompt avec sa famille très bourgeoise et conformiste, quitte son premier mari, à qui elle confie la garde de ses deux enfants et s’installe avec Tinguely, avec qui elle a une relation amoureuse complexe et une collaboration artistique intense, comme en témoignent leurs œuvres communes, telle la fontaine Stravinsky à Paris.
En 1961, elle organise les tirs-happenings, qui l’ont fait connaître mondialement. Dans une mise en scène ritualisée, elle officie et tire, dans un état d’exaltation, avec une carabine sur des sachets de peinture accrochés à des toiles couvertes de plâtre. La peinture dégoulinante va faire le tableau. «…j’ai tiré sur : papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère, la société, l’église, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, (…) Prêt ! en joue ! Feu ! Rouge, jaune, bleu, la peinture pleure, la peinture est morte. J’ai tué la peinture. Elle est ressuscitée. Guerre sans victime ». L’artiste-femme s’empare de l’objet phallique pour le détourner de son but, comme l’ont fait après elle Louise Bourgeois ou Orlan. On tire non pour tuer, mais pour faire une œuvre.
Ce sont alors les Nanas, qui l’ont rendue célèbre. C’est sa repré-sentation à elle de la femme à la fois contestataire, (elle a été très marquée par Simone de Beauvoir) et fière de sa féminité, qu’elle n’abandonne jamais. Dès les premières salles, les personnages surdimensionnés plongent le visiteur dans une ambiance surnaturelle, un univers de conte de fée magique, mais où les fées sont à la fois poétiques, mais aussi inquiétantes, de par leur monu-mentalité écrasante. Comment cette femme si frêle et si jolie, qui a été mannequin pour Vogue, crée, avec une détermination à toute épreuve, des œuvres immenses, dont la principale caractéristique est la monumentalité, qu’elle assume et revendique ? Les Nanas m’ont apaisée, dit-elle.
Elles sont recouvertes d’objets récupérés, jouets, ustensiles de cuisine, armes, outils. Mais ces objets ordinaires, elle leur donne d’autres destins, tout comme la femme au foyer, celle qui met au monde les enfants et s’occupe de la cuisine, change de destin en devenant une Nana surpuissante. Lorsque, dans une vidéo, en tablier, elle étale le plâtre sur une sculpture, le journaliste lui dit : « Mais alors, vous faites comme toutes les femmes ? ». « Oui, répond-elle, mais je ne vais pas vous servir un repas, je fais une sculpture ».
Simone Korff Sausse
Psychanalyste S.P.P.