Le Modelage en atelier d’art-thérapie
Une prise en charge en thérapie à médiation artistique peut être intéressante pour les personnes développant un Trouble des Conduites Alimentaires. En effet, ce dont souffre, entre autres, l’individu, sont les expériences primaires qui n’ont pas pu être jouées durant l’enfance. La psyché humaine est contrainte à une expérience qui doit être intégrée : il faut se l’approprier. Avec du jeu et de l’imagination, l’individu peut explorer cette situation sous un autre angle et l’appréhender sous tous ses aspects. L’art-thérapie permet l’exploration de son monde interne, et d’être acteur du processus de transformation : d’une expérience de déplaisir en une expérience intégrable. Elle peut être symbolisée en une forme susceptible d’être représentée et assimilée. L’expérience intime que le bébé fait lors des interactions primaires est ici retrouvée. Cette aire d’expérience peut être apparentée à l’espace de l’atelier où le jeu, l’acte de faire et de se sentir en vie, peut être à nouveau possible. L’atelier fonde un espace sécurisant. Pièce à part, fermée, à l’abri des regards et des pénétrations externes, bulle protectrice dans l’institution, elle a fonction de holding et est propice au développement d’une aire transitionnelle dans l’espace de l’atelier. Le langage utilisé durant les séances est technique, centré sur la médiation, il permet au sujet d’acquérir les clefs nécessaires afin de faciliter l’expression de son imagination dans un objet, et trouver sa propre expression de soi.
Le médium utilisé en atelier modelage, est la terre, matière sensorielle et, au sens propre, malléable. Ses propriétés spécifiques par sa manipulation et sa réversibilité, en font une matière unique et transformable à l’infini, créant ainsi une temporalité particulière et propre à chacun. Une dimension métaphorique réside dans le processus créatif par ce va-et-vient constant entre « recherche – création – réajustements ». Le modelage de l’argile permet une prise en main directe de la matière où le corps entre en contact et y laisse une trace, il crée une multitude de formes et d’associations. C’est un engagement physique dans lequel le tactile est stimulé et stimule à son tour une communication sensitive au monde.
Ainsi, la peau découvre l’espace extérieur au corps et son retentissement intérieur. Comme l’énonce D. Anzieu, la peau est une sorte de reflet d’une peau psychique non constituée, frontière avec l’extérieur et permet l’individuation. La perception tactile de l’argile, sa sensation rassurante et délassante, peuvent être un moyen de réactiver des souvenirs profonds. La peau est un système perceptif capable de transformer une sensation cutanée en ressenti intériorisé et de l’ordre de l’émotion. Ainsi, elle fait résonner les redéfinitions des limites du corps et la constitution d’une enveloppe intégrative du Moi.
Nous pouvons nous demander si les sensations de la terre, chez les patients souffrant d’un trouble alimentaire, permettent de rejouer des sensations intra-utérines et des premières interactions mère-bébé oubliées ? Est-ce que cette médiation peut éveiller et mettre en lumière des fantasmes liés à la maternité ? Mais alors, faire naître dans la terre ne serait-ce pas une façon d’assister à sa propre renaissance ?
Vignette clinique : Pauline
Nous allons ici retracer le parcours en art-thérapie de Pauline, jeune fille apparemment « sans histoire » dont l’anorexie mentale débute à 13 ans, dans un contexte de deuil familial après les décès de la grand-mère et de l’oncle maternels. La perte de poids est alors la seule expression, corporelle, d’une souffrance silencieuse. Durant sa longue hospitalisation à l’Institut Mutualiste Montsouris, le travail qu’elle entreprendra en atelier d’art-thérapie se fera, accompagné de deux art-thérapeutes successives ; chacune suivant le cheminement de Pauline pendant 9 mois.
Les 9 premiers mois d’hospitalisation – Déborah Zacot
Lorsque Pauline arrive à l’Institut Mutualiste Montsouris, nous rencontrons une jeune fille très impliquée venant régulièrement en atelier, investissant très rapidement le modelage. Dans l’atelier, elle est en lien avec ses pairs. Sa relation avec moi paraît se jouer dans un double mouvement : d’une part elle me tient à distance en ignorant tout échange qu’elle pourrait vivre comme trop intrusif, d’autre part, elle cherche à créer un lien, nous questionnant sur ma propre pratique, sur mes vêtements, créant ainsi un dialogue et une relation particulière qui s’étoffera avec le temps.
Durant les premiers mois de sa prise en charge, Pauline est silencieuse, concentrée, pensive. Puis, elle devient de plus en plus joyeuse, vivante, parfois même très animée et excitée. La verbalisation étant difficile pour elle en entretien, l’espace de l’atelier paraît être un lieu contenant et rassurant où elle peut déposer la richesse de son monde interne. Pauline montre d’emblée une très bonne appréhension des volumes et des proportions, elle travaille la terre avec beaucoup d’aisance technique. Elle met en scène ses productions sur son étagère au fil de leur apparition.
La 1ère figurine créée est un petit personnage féminin (5 cm). C’est son premier jour d’hospitalisation, lendemain de Noël et le début d’un temps de séparation d’avec les parents. Pauline crée ce petit objet en une séance, de façon autonome et silencieuse. Elle l’appellera par la suite “la reine des neiges”, et la destine à sa mère. Pauline importe t-elle à l’intérieur de l’atelier une figure maternelle glacée témoin de ce qui s’y passe ?
Elle produira ensuite un visage féminin qui va lui demander beaucoup de temps, de réflexion, des frustrations, et des découragements. Parce qu’elle met du temps, la terre va durcir, elle devient alors moins malléable, chaque geste sur l’argile doit être pensé, réfléchi, le retour en arrière est bien plus compliqué qu’avec une terre molle et élastique. Il est facile d’enlever mais beaucoup moins de remettre. Tout geste devient alors presque définitif. Elle s’inflige ainsi des difficultés supplémentaires.
Après un mois sur l’élaboration de cette forme, Pauline va bloquer durant plus de 4 séances sur la bouche, n’arrivant pas à trouver la forme adéquate. Vrai face-à-face, sorte de partie d’échec, je la vois réfléchir et hésiter longuement afin de décider quelle stratégie adopter. Chaque mouvement va être pensé, analysé, projeté, remis en question, rien n’est laissé au hasard. Pauline exprime alors quelques moments d’énervements et d’impatience. Est-ce la forme de la bouche ou le signifiant qui va ralentir son processus et même le figer ? Elle lisse énormément la terre, de manière à ne voir aucune aspérité, qu’elle soit parfaite. Lorsque l’objet est fini, Pauline en est très fière, et l’appelle “Méduse” personnage mythologique évocateur de la puissance du féminin, qui est décapité et devient alors objet, masque de protection. Elle incarne l’ambivalence du regard féminin, qui attire et ensorcelle, séduit et condamne, elle a le pouvoir de pétrifier tout homme mortel qui la regarde. Méduse, un mythe pré-olympien d’une société alors matriarcale nous questionne également sur le poids de cette lignée matriarcale dans l’histoire de Pauline. Toutefois, comme tout au long de son parcours où Pauline interpelle par la force symbolique et condensée de ses productions, nous nous contentons d’accueillir celles-ci ou ce qu’elle en dit, sans jugement, ni interprétation.
Après la « Méduse », Pauline se lance dans la production d’une nouvelle tête : Dark Vador. L’objet est de la même taille que la Méduse, mais plus anguleuse, plus géométrique, plus sombre. Pauline va encore prendre beaucoup de temps pour créer cet objet, avec une terre qu’elle laisse durcir. C’est la même technique, le même processus et les mêmes difficultés. Elle le creuse afin de faire un photophore : c’est une tête vide. Mais, heureusement, lui n’a pas de bouche, donc plus facile à réaliser selon elle. Le côté obscur et sombre, a la bouche obstruée. Cette création est destinée à son frère, elle la nomme finalement « Poulet ».
Après un certain temps, Pauline crée une nouvelle tête, toujours de la même taille que les deux précédentes. C’est un homme, Il lui fait penser à son prof de maths. Elle l’émaille de couleur sombre, les yeux verts, il devient machiavélique : « il fait peur ».
Pauline commence alors à donner un sens à cet ensemble, elle ordonne chaque objet : l’alignement est bien réfléchi. Elle me conte alors pourquoi ils se positionnent ainsi : « Méduse est tellement belle, qu’elle en a marre et se transforme en passant du tyran machiavélique (le prof de maths) au côté obscur Dark Vador (Poulet) ». Par cette narration nous nous posons alors la question de savoir si le fait de passer par le côté obscur, sans bouche, orifice clos, sans rien qui entre et qui ne sort, permet enfin à Méduse de devenir ce qu’elle désire, et exprimer ses émotions. En quelque sorte s’individuer.
C’est à cette époque que nous mettons en place un nouvel atelier : Argile et sens. Le but est de modeler en convoquant un sens, parfois indexé, afin d’appeler la mémoire corporelle à impulser un processus créatif. C’est s’appuyer sur le sensoriel pour puiser l’émotion et de nourrir la créativité. Pauline affectionne particulièrement cet atelier et joue totalement le jeu, très réceptive à cette approche qui lui permet d’explorer des techniques différentes. A chaque séance elle se laisse aller et se concentre sur ses sensations, elle puise dans ses éprouvés afin de leur donner une forme. Ses gestes sont plus spontanés et plus libres, aussi le processus est plus rapide, elle produit un ou plusieurs objets par séance. Ses créations sont tout en rondeur, les formes sont plus fluides et plus organiques, plus corporelles, moins maîtrisées. Ces objets seront des terrains de jeu : « c’est pas grave si ce n’est pas parfait et pas fini », elle y fera des essais de formes et couleurs.
Lors d’une séance sur le toucher, Pauline fait apparaître dans un petit bout de terre une forme qui va lui faire penser à un fœtus. Excitée, elle dira « oh un petit bébé, c’est trop mignon ! », mais mouvement de recul, elle semble se figer et le transforme en un chat. Serait-ce la symbolisation de l’enfant désiré, de l’origine d’un Moi, de l’autre, sorte de genèse en gestation d’un monde intime ?
Lors d’une de ces séances, Pauline va créer une ville qu’elle nomme à son nom. Elle l’enrichit petit à petit en y mettant des personnages miniatures. Par la création de ce monde onirique, imaginaire, son monde interne semble pouvoir, lui aussi prendre forme. Le thème de la maison sera repris plusieurs fois avant mon départ de l’institution. Alors qu’elle avait initié un mouvement d’ouverture sur de grandes créations, Pauline revient vers un travail dans la petitesse et l’hyper-minutie. Une période où des léments dépressifs apparaissent.
Elle se lance alors dans la production d’une maison en binôme avec une autre patiente. Elles commencent à faire les nombreux meubles dans un format minuscule (1 cm). Cette production est source de grandes excitations, elles sont toutes deux exaltées lorsqu’un toilette ou des balais l’accompagnant apparaît. Pauline dirige les opérations, et détermine tout ce qui fait la déco de la maison. Notons que le contenu de la maison existe avant l’apparition du contenant, des murs. Pauline s’étonne de voir que tous les meubles ressemblent à ceux qui sont chez elle : « c’est marrant j’ai exactement les mêmes chez moi ! ». Dans cette maison ainsi créée, vit une famille avec un enfant unique, une petite fille de 5 ans. Mais aucun personnage n’est créé réellement face à la multitude d’objets. Je demande qui vit dans cet espace, la réponse vient de but-en-blanc : « c’est vous ». Sur l’étagère où figurent ses productions, elle place le petit chat, le fœtus, lové sur le lit parental.
Cette maison sans murs et inhabitée, sauf peut être de l’art thérapeute, ou plutôt le processus psychique engagé durant cette production, pourrait représenter, suivant son vécu, montre l’écart entre la charge fantasmatique et le défaut de contenance psychique. C’est le dernier projet que Pauline fait avant mon départ, elle tenait à ce qu’il soit abouti, mais les murs n’ont pas eu le temps d’être finis. Nous n’avons pas abordé le transfert qui s’est opéré en atelier, mais la séparation après ces 9 mois de prise en charge apparaît comme une épreuve. Il sera pourtant essentiel au processus engagé, qui va se déployer à travers la terre et permettre de poursuivre son chemin vers l’individuation. Sur les soubassements construits durant cette période, les murs vont par la suite s’élever.
Seconde partie de l’hospitalisation – Barbara Maison
Pauline est régulièrement présente à l’atelier modelage. Elle est de bon contact et accueillante, tout en montrant une attitude assez défendue. Son aisance technique et son silence face à ses projets, me met assez vite à distance, et rend l’étayage plus difficile. Elle évoque également la manière dont travaillait ma collègue, ce qui montre l’attachement qu’elle lui portait, et par conséquent une séparation peu évidente. Avec Pauline, notre rencontre est non verbale, pudique, la relation s’établissant essentiellement à travers nos échanges de regards et de sourires. Nous nous apprivoisons l’une l’autre.
La première production que Pauline réalise au sein de notre atelier est une figurine féminine repliée sur elle-même, en argile brune, qui a pour caractéristique d’être assez dure à modeler de par sa rigidité.
C’est une production de petite taille (6 cm), qu’elle réalise en une séance. Toute son attention se porte sur le dos très arrondi dans sa posture. Elle lisse longuement les côtes et la colonne vertébrale qui s’avère être proéminente. C’est la première fois que le corps entier apparaît. Pauline représente un corps fermé et verrouillé. Pendant qu’elle crée, Pauline est calme, silencieuse et très concentrée, ce qui la coupe complètement du groupe. C’est une période difficile pour elle, marquée par une recrudescence anxieuse et des éléments dépressifs. Poursuivant la thématique du corps féminin, Pauline change d’argile pour sa nouvelle production. Elle utilise cette fois la terre blanche lisse, qui a la particularité d’être très souple et malléable, ce qui lui permet de la travailler avec aisance et dextérité. Nous observons à travers cette production, un changement d’échelle (15 cm), et de posture corporelle : le personnage est debout, tête rejetée en arrière, bras ouverts et yeux clos. Le haut du corps est plein, érotisé, avec les détails de la poitrine, épaules dénudées ; en revanche, le bas du corps est évidé. C’est la femme photophore. Nous retrouvons ici la question de l’enveloppe corporelle, et ce va et vient vers un corps avec ou sans consistance.
Dans la continuité de la femme photophore, Pauline réalise une nouvelle figurine féminine au visage similaire à la précédente. Elle utilise de nouveau la terre blanche, lisse, prenant elle-même la pause afin de servir de modèle à son personnage, en relevant son genou, croisant ses bras autour, et en inclinant légèrement sa tête sur le côté. Pauline est très sensible au bon rapport des proportions et au mouvement du corps. Concernant son processus créatif, elle modèle avec beaucoup plus de spontanéité, et avec une vitesse d’exécution étonnante. Son aisance technique lui permet d’attacher plus d’importance à l’expression du corps, mettant l’accent sur les rondeurs féminines, en accentuant les courbes de la poitrine, des hanches et des fesses. Aussi, son rapport à la terre est plus sensoriel, et émotionnel. Le corps est désormais plein et il s’érotise. Par ailleurs, c’est un moment où Pauline reprend du poids et voit son corps se transformer. Au fur et à mesure que le symptôme anorexique tombe, la tristesse et les éléments dépressifs apparaissent. Suit la femme enceinte.
Pauline réalise cette production en une séance, en terre blanche, douce et malléable. Elle a une attitude tout à fait bienveillante dans sa manière de modeler l’argile, en la caressant, la lissant délicatement, et par son regard très attendri sur la posture de la femme qui pose, avec beaucoup de préciosité, sa main sur son ventre. La souplesse de l’argile provoqua plusieurs accidents. La tête et les jambes furent plusieurs fois cassées, or Pauline prit le temps de la restaurer avec patience et persévérance. Cette production prend une valeur symbolique très importante au sein du processus créatif de Pauline. Est-ce ici, le fantasme d’être la femme enceinte, ou d’être le bébé porté, contenu et désiré dans le ventre de sa mère, en fusion avec l’objet primaire ? Là encore, la question de la contenance se pose entre le vide et le plein. Ce corps qui contient, est un corps habité par qui, par quoi ?
Par la suite, Pauline arrive à l’atelier avec l’intention de réaliser « un cheval de trait », qu’elle souhaite offrir à sa mère. Pour la première fois, elle décide de prendre un pain d’argile entier (10 kg), ce qui implique un changement de taille important au sein de son processus créatif. Pauline ose prendre sa place au sein de l’atelier tant physiquement qu’à travers sa production. De ce fait, elle s’engage corporellement en travaillant la terre avec des gestes pulsionnels, vifs et précis. La dureté de l’argile brune et le gros bloc implique un changement de posture pour la travailler, alternant la position debout et assise. De même qu’elle s’autorise à se déplacer dans l’atelier, lui permettant de changer de point de vue sur ce qu’elle produit, et de prendre ainsi un certain recul. Son corps et sa présence prennent vie alors que, jusque-là, elle était beaucoup plus figée.
Elle creuse le bloc d’argile avec les outils, dégrossit la forme, faisant naître un corps de cheval ; puis s’interrompt brusquement. Elle met de côté sa production en cours, assurant de la reprendre par la suite, puis prend un morceau d’argile brune et réalise en très peu de temps, et avec beaucoup de dextérité et de précision un cheval de trait, qui devient finalement un tout petit format.
Pauline reprend ensuite la production mise de côté, pour agrandir le corps du cheval. Nous pouvons observer nettement sa capacité d’alterner entre le grand et petit format. Avec la même énergie qu’au début, Pauline travaille le haut du corps qui se transforme peu à peu en un buste féminin, prenant la forme d’un Centaure (habituellement représenté sous des traits masculins). Elle insiste sur le travail de la courbe (poitrine, taille, croupe du cheval), et sur le rendu du mouvement qu’elle crée dans la torsion du Centaure, la chevelure, la queue du cheval, ainsi que dans le geste du tir à l’arc. Ici le corps s’inscrit dans quelque chose de puissant, et viril, tant à travers sa posture que dans son attitude. Nous pouvons aussi remarquer le regard à la fois séducteur et défiant du Centaure.
Pauline verbalise qu’elle le crée pour elle-même. Après un temps d’échange, Pauline peut dire qu’elle voit une évolution entre ces différents modelages. Lorsque le Centaure est terminé, Pauline a moins de désir et de plaisir à créer. Elle a du mal à se saisir de l’étayage et au niveau de sa symptomatologie, nous observons une profonde tristesse. Pourtant, c’est également à ce moment qu’elle décide de finaliser sa maison, commencée précédemment, en construisant les murs en plâtre et en disposant tous les éléments selon chaque pièce.
Après un long moment d’absence, Pauline revient à l’atelier et souhaite repartir sur un très grand volume. Elle choisit un pain d’argile blanche chamottée, qui a pour caractéristique d’être très granuleuse et très souple à la fois. Elle engage de nouveau beaucoup d’énergie et de pulsionnalité à travers sa gestuelle. Rapidement, elle donne à voir un bassin de femme, assise, face à elle, jambes écartées et genoux repliés. Face à cette scène, Pauline arrache soudainement les deux jambes, prétextant ne plus savoir comment s’y prendre techniquement. Ce modelage de femme, dans cette posture pourrait donner à voir la scène primitive, ou une scène d’accouchement ; objet qui fut refoulé et détruit instantanément. De cette même terre naîtra tout d’abord un ange, qui se transformera par la suite de nouveau en corps de femme.
Pauline repart alors dans le moyen format, et réalise une nouvelle figurine féminine (15 cm). Le corps est représenté pleinement et en entier. Le haut du corps est modelé longuement avec beaucoup de douceur et de bienveillance (tout comme il avait été travaillé avec la femme enceinte). Elle insiste plus particulièrement sur la poitrine et le téton. Les bras sont ouverts en berceau, accueillant un nourrisson en train de téter. Le bas du corps trouve sa stabilité par le socle représenté par la robe.
En observant cette « Madone », Pauline dit avoir une idée géniale : « Je vais réaliser une crèche », avec beaucoup d’entrain et une certaine excitation. Avec sa rapidité d’exécution habituelle, due à son aisance technique, Pauline réalise Joseph, dans un premier temps agenouillé, les mains jointes, face à la Madone ; puis transforme la posture en le positionnant debout à côté de Marie, ses bras enveloppant chaleureusement ses épaules, avec un regard tendre vers l’enfant.
Pauline verbalise à voix haute et avec assurance : « Je vais faire de Marie et Joseph un couple moderne ; Marie n’est plus prude » ! A travers cette scène, la sexualité est désormais possible. Pour la première fois l’homme est présenté sous une forme aimante et bienveillante. Plus le projet évolue, plus Pauline s’anime et travaille la terre avec exaltation et pulsionnalité. En une séance d’atelier, elle crée les 3 rois mages en un seul bloc, tous trois genoux à terre, les mains jointes en prière, rendant hommage au divin enfant.
En conclusion
La séquence racontée ici autour des productions de Pauline, sont à l’image des objets d’arts, un reflet du contenu inconscient de l’artiste. Cependant, toute œuvre est aussi ouverture créatrice et donc condense des significations multiples. Toutefois, avant de considérer ce niveau, le travail présenté correspond à une mise en forme des problématiques psychiques. L’investissement du travail avec la terre, l’heureuse rencontre de cette patiente avec la médiation, par l’intermédiaire de la relation thérapeutique, donne à cette série de productions la valeur d’exemplarité du parcours psychothérapeutique d’une jeune adolescente hospitalisée pour anorexie. Au fond, la qualité de ses productions pourrait se passer de commentaires autres que celui d’un sobre récit du contexte. Mais, cela serait prendre le risque de donner au visible la primauté le situant en dehors d’un parcours relationnel. Car, même si Pauline reste l’auteur de ses œuvres, il ne reste pas moins que l’accompagnement en continu, colore ces productions d’une présence qui peut témoigner à son tour. L’impression générale qui se dégage de cet accompagnement aura été de voir se déployer dans une certaine ferveur créatrice la possibilité d’un avenir de femme en récréant un passé pour arriver à cette scène finale. Sans doute que l’essentiel se sera passé en arrière plan, autour du cadre, celui d’un espace psychique propre, soutenant le processus d’individuation comme condition de la création. Ce qui permet d’ajouter à propos de celle-ci, que l’on pourrait dire qu’il se rejoue le Roman familial, recréant une famille idéale fantasmée, qui pourrait appartenir au passé ou l’avenir. Une famille au sein de laquelle l’enfant peut enfin trouver sa place, et devenir l’être désiré et accueilli par ses parents, à l’intérieur d’une maison dont les murs ont enfin pu s’élever.