Chaque mois, Carnet Psy donne carte blanche à un clinicien pour nous présenter, à la première personne, sa rencontre avec une œuvre importante à ses yeux. Paul Denis a choisi un roman de Nabokov, La Défense Loujine.
La Défense Loujine est un roman sur un génie des échecs. À titre personnel, je n’ai jamais été autre chose qu’un éternel débutant aux échecs mais les joueurs d’échecs fous, comme Bobby Fischer, m’ont toujours beaucoup intéressé. A leur sujet, Ernest Jones a d’ailleurs écrit un très bel article qu’il a appelé Le cas de Paul Morphy. Paul Morphy jouait au milieu du XIXe siècle, c’était un joueur absolument génial, au point que les grands champions redoutaient de le rencontrer. Le refus de Staunton, considéré alors comme meilleur jouer du monde, de le rencontrer, aurait été l’une des causes de sa décompensation. Il s’est arrêté très tôt puis s’est complètement désorganisé encore jeune, s’est mis à délirer — sur un mode paranoïaque, dit Jones — avant de finir sa vie dans une maison de santé où il marchait de long en large en psalmodiant tout le temps la même phrase « Il plantera la bannière de Castille sur les murs de Madrid au cri de Ville gagnée et le petit Roi s’en ira tout penaud ».
Disons d’abord qu’il n’y a aucun rapport entre la psychanalyse et le jeu d’échec. C’est même le contraire. Il n’y a rien de mathématique et rien de calculé dans une cure. Une cure analytique, c’est une improvisation permanente : il n’y a pas deux personnes semblables, il n’y a pas deux cas identiques, et la même interprétation donnée à deux…