A une époque où peu de personnes s’occupaient de la vie psychique du bébé, privilégiant sa santé physiologique, vous avez su modifier la vision restrictive que le monde de la puériculture avait du nouveau-né. De simple tube digestif vous l’avez fait accéder au statut de personne. De cela les puéricultrices, dont j’essaie de me faire humblement la voix, vous en sont infiniment reconnaissantes. D’objet de soins, les tout-petits sont devenus sujets de soins : quoi de plus gratifiant pour les
soignants que nous sommes.
Quel privilège, Monsieur, cela fut de travailler avec vous. Nous nous enrichissions à vos côtés de votre culture plurielle que vous saviez avec humour et sans prétention nous faire aimer, ce dont mes professeurs de lettres ou d’histoire avaient été incapables. Nous vous écoutions parler des heures d’opéra, de musique, des peintres vénitiens : Canaletto, Tiepolo, que vous affectionniez particulièrement, comme ce théâtre classique français où, tel Freud avec la mythologie grecque, vous puisiez de quoi étayer vos recherches. D’ailleurs, helléniste accompli, vous aviez dans votre bibliothèque une statue représentant Esculape enseignant. Vous nous aviez confié lors d’une séance de travail avec le Pr Marcel Rufo, que cette statue correspondait à votre idéal du moi. Merci Monsieur d’avoir toujours su et voulu transmettre votre savoir et ce, avec l’humilité des grands esprits. Vous disiez : « Il faut aimer enseigner, y trouver du plaisir et travailler. » Je m’en souviendrai.
Travailler, oui, avec cette énergie que vous nous avez insufflée pour faire comprendre le monde des femmes handicapées visuelles, voulant accéder à la parentalité. Nous avions saisi leurs attentes sans savoir vraiment les formuler…et ce sont vos réflexions concises et claires qui nous ont aidées à le faire. Vous étiez visionnaire lorsque vous parliez d’un centre pour les mères aveugles. Nous vous avons écouté et diffusé vos propositions. Le résultat est là : l’Agence Régionale de Santé, grâce à vous, nous a donné un agrément pour la création de ce service médico-social. Ces femmes aveugles, que vous avez soutenues lors des groupes thérapeutiques, m’ont demandé expressément de vous rendre l’hommage qui vous était dû, ce que je fais avec reconnaissance et tristesse. Lorsque j’ai commencé à travailler avec vous, vous m’avez créé une devise :
Pédiatre ne puis
Psy ne daigne
Puer suis
Merci Monsieur pour tout ce que vous m’avez enseigné pour être la puer que je suis. Mais je ne vous rendrais pas l’hommage tant affectueux qu’intellectuel que je vous dois sans conteste si je ne cédais pas ma place à votre vieil ami qui a écrit en 1666 : « Les gens d’un mérite sublime, enchaînent de chacun et l’amour et l’estime.» (Molière, Le Misanthrope, acte III scène V).