L’examen psychologique en pratique clinique : les apports de la théorie psychanalytique
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L’examen psychologique en pratique clinique : les apports de la théorie psychanalytique

La pratique de l’examen psychologique s’appuie sur des connaissances diverses qui concernent les outils employés – les tests : leur mode de construction, leur finalité, les aspects différenciés du fonctionnement humain qu’ils permettent d’approcher – et les modèles d’appréhension du psychisme dans ses aspects normaux et pathologiques. Dans la perspective clinique en effet, il s’agit d’une approche du sujet considéré de manière holistique, et non de l’addition de résultats isolés censés “situer” son niveau intellectuel, désigner d’éventuelles difficultés dans l’appréhension de l’espace ou du schéma corporel, voire permettre le diagnostic d’un trouble psychopathologique. Le bilan psychologique ainsi conçu permet l’approche globale du sujet à partir d’indices diversifiés, issus de données plurielles (tests, observation et entretiens) : les résultats concernant les compétences et les potentialités, le fonctionnement cognitif et plus largement le fonctionnement psychique, sont analysés afin de prendre sens les uns par rapport aux autres. La démarche d’interprétation des données repose donc sur leur confrontation à un système de compréhension structural et dynamique qui permet de donner une cohérence aux résultats et de dégager ce qui caractérise intrinsèquement le sujet rencontré.

Malgré son apparente simplicité (il suffirait, selon certains, de savoir comment faire passer une épreuve, effectuer les cotations et se reporter aux résultats chiffrés pour obtenir les renseignements recherchés), la complexité de ce mode d’investigation clinique réside donc dans la nécessité pour le clinicien d’avoir une connaissance approfondie des modèles théoriques permettant cette mise en sens.

Les tests eux-mêmes ont été parfois construits sur un mode empirique – c’est le cas de la plupart des épreuves d’efficience intellectuelle dérivées du Binet-Simon, comme les échelles Wechsler, les plus couramment utilisées ; elles se fondent sur une conception large de l’intelligence. D’autres épreuves sont issues directement du souci d’application de théories du fonctionnement mental : approche factorielle ou piagétienne de l’intelligence, ou encore modèle du traitement de l’information ; certaines visent l’exploration d’un aspect instrumental spécifique. Mais nous savons que cette visée peut aussi constituer un leurre, mettant en avant des liens de causalité parfois fort discutables.

De fait, il n’existe pas un modèle unique applicable au champ du bilan psychologique : c’est à l’extérieur de cette pratique que le praticien doit trouver les référents théoriques qui vont lui permettre de donner sens aux conduites et au discours mis en jeu par les différentes étapes du bilan. Et l’apprentissage du bilan doit passer, au cours des études, par la connaissance de théories donnant des éclairages différents sur les mécanismes psychiques qui sous-tendent les résultats obtenus. Dans la pratique clinique, ce sont essentiellement la théorie piagétienne – du moins dans l’approche de l’enfant et de l’adolescent – et la théorie psychanalytique qui soutiennent la démarche d’analyse. Elles ont été élaborées à partir de corps d’observations fort éloignées de la situation de bilan : aussi il importe de réfléchir rigoureusement aux modalités de leur exportation à ce domaine pratique.

Elsa Schmid-Kitsikis (1985) donne l’exemple d’un travail original permettant l’approche du fonctionnement mental en utilisant la double perspective piagétienne et psychanalytique : elle s’est appuyée à cet effet sur les faits cliniques pour les soumettre à une nouvelle grille de lecture et à un nouveau cadre interprétatif.

La théorie psychanalytique constitue pour les psychologues cliniciens en quête de modèle un référent essentiel, sans pour autant qu’on puisse superposer les deux champs de pratique. Il était important de préciser (Anzieu, 1982) ce qui, des concepts psychanalytiques, peut être utilisé par la psychologie clinique : essentiellement les points de vue dynamique et génétique. Pour comprendre le développement de l’être humain, situer un enfant par rapport à son niveau de développement psycho-sexuel, évaluer la manière dont il négocie les principaux conflits liés aux étapes essentielles, approcher son registre de défenses, c’est sur la théorie psychanalytique qu’un certain nombre de psychologues cliniciens s’appuient. La psychopathologie psychanalytique constitue par ailleurs le champ de référence permettant d’éclairer les manifestations pathologiques.

Mais pour étendre à un domaine comme le bilan psychologique des concepts dégagés dans le cadre de la cure, il importe de mener une réflexion serrée sur la pertinence de cette utilisation et d’en appréhender les limites : les données des épreuves d’efficience intellectuelle ou des tests instrumentaux ne peuvent être interprétées à partir d’une telle lecture. C’est avec la plus grande prudence qu’on peut donner sens à certaines d’entre elles lorsque, s’ajoutant les unes aux autres et éclairées par l’observation clinique, le mode de relation établi, les apports des épreuves projectives, elles s’inscrivent dans un faisceau cohérent – y compris par leur incohérence. De ce fait, il serait abusif de parler d’une conception psychanalytique du bilan psychologique.
En effet, c’est seulement dans le domaine des épreuves projectives qu’un travail rigoureux sur les modalités d’application de la perspective psychanalytique a été mené par des enseignants-chercheurs et praticiens projectivistes. Didier Anzieu, Nina Rausch de Traubenberg et Vica Shentoub en furent les pionniers en France, suivis par Rosine Debray, Catherine Chabert et Françoise Brelet. Plusieurs particularités de ces épreuves visant l’exploration de la personnalité rendaient nécessaire le recours à une théorie susceptible d’éclairer le discours du sujet, objet essentiel de l’étude des protocoles :

  • la nature du matériel projectif, offrant au sujet une surface de projection dans un champ d’entre-deux proche de l’aire d’illusion, et proposant une consigne ouverte sur la libre association ;
  • les sollicitations latentes de ce matériel qui poussent le sujet à aborder des problématiques articulées par les conflits fondamentaux, rendaient nécessaire le recours à une théorie susceptible ;
  • la position particulière du psychologue qui, lors de ces passations, abandonne la position active pour s’offrir comme contenant des émergences pulsionnelles sollicitées par le matériel.

Le travail sur l’interprétation des principaux tests projectifs, le Rorschach et le TAT a été inauguré par une réflexion sur les concepts utilisés afin d’affronter une difficulté majeure : comment exporter les invariants issus de la situation psychanalytique hors du cadre dont ils sont issus, celui du transfert dans la cure. Pour s’en tenir à la question du transfert, si l’on peut considérer ici que le sujet adresse ses associations/réponses au praticien, l’ensemble étant inscrit dans une dynamique relationnelle, on ne saurait parler de transfert au sens psychanalytique pour une situation que ni le cadre, ni le rythme, ni la temporalité, ni le degré de régression ne rendent comparable à la situation de la cure. Les concepts fondamentaux de la métapsychologie psychanalytique utilisés sont toutefois nombreux : opposition entre contenu manifeste et contenu latent, processus primaires et secondaires, régression, conflits, mécanismes de défense, pulsions, représentations, affects…
L’approche psychanalytique des épreuves projectives – qui prône l’utilisation conjointe du Rorschach et du TAT du fait des aspects différenciés de ces tests – repose sur l’analyse du discours du sujet en réponse à des sollicitations manifestes (les images proposées) dont les caractéristiques et les sollicitations latentes ont fait l’objet d’études approfondies. Ce discours, particulièrement au TAT (Brelet-Foulard, Chabert, 2003), fait l’objet d’un décryptage en termes de procédés qui rendent compte de la mise en jeu de mécanismes de défense spécifiques face à la réactivation de conflits suscités par le matériel ; on approche ainsi les problématiques prévalentes et les modes d’élaboration du sujet confronté à celles-ci. Le jeu possible entre réel et imaginaire, l’ajustement entre réalité interne et réalité externe, les angoisses prévalentes et les capacités de sublimation sont révélés.
L’apport des épreuves projectives ainsi interprétées donne à l’ensemble du bilan une cohérence essentielle et permet une évaluation diagnostique solide : les données de l’entretien, des épreuves d’efficience et des tests instrumentaux, l’anamnèse et l’observation apportent leurs éclairages pluriels qui prennent un sens plus pertinent sous le double éclairage des projectifs (Emmanuelli, à paraître, 2003). Le repérage des mouvements contradictoires, voire antagonistes, que permet cette confrontation enrichit notre compréhension de la complexité du fonctionnement psychique et apporte nuances et souplesse à notre description de ce dernier. Cette conception du bilan s’inscrit dans le cadre d’une pratique qui demande une grande rigueur épistémologique et repose sur une formation théorico-clinique approfondie. Elle permet en outre de donner aux psychologues cliniciens des outils de recherche spécifiques permettant d’aborder les champs de la clinique et la psychopathologie.

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