Les investigations cliniques et paracliniques dans l’autisme : du bilan de routine au bilan de recherche
Dossier

Les investigations cliniques et paracliniques dans l’autisme : du bilan de routine au bilan de recherche

Introduction

Le terme “autisme”, dérivé du grec “autos” qui signifie “soi-même”, a été introduit pour la première fois par le psychiatre suisse Eugen Bleuler en 1911 pour décrire la symptomatologie schizophrénique chez des patients adultes (retrait social avec repli sur soi-même). En 1943, Léo Kanner, psychiatre américain d’origine autrichienne, lui emprunte ce terme pour définir chez 11 enfants un syndrome clinique d’apparition précoce (dès la première année de vie).

Les multiples hypothèses étiopathogéniques proposées (hypothèses psychodynamiques, psychobiologiques, etc.) varient selon les époques, les concepts et les progrès technologiques. Devant l’absence de consensus, l’utilisation du concept de “syndrome” est probablement le plus approprié pour caractériser l’autisme. Mais l’on est d’emblée confronté au problème de l’ hétérogénéité du syndrome autistique, suggérant l’existence de “sous-types” aussi bien cliniques que biologiques. Afin de clarifier ce problème, certaines évaluations cliniques et paracliniques du syndrome autistique apparaissent nécessaires, et ce, aussi bien dans une perspective diagnostique, que thérapeutique ou de recherche.

Cet article portera précisément sur les bilans d’investigation clinique et paraclinique à réaliser devant un syndrome autistique, en essayant de hiérarchiser les priorités et de dégager ce qui relève d’un bilan de routine et d’un bilan de recherche. Afin de mieux comprendre certains éléments de ces bilans, sera développée au préalable une partie consacrée aux principaux résultats des recherches biochimiques et génétiques sur l’autisme. Puis, le bilan de routine et le bilan de recherche seront présentés, suivis d’une discussion sur l’intérêt d’articuler ces deux bilans.

Principaux résultats des recherches biochimiques et génétiques

Aspects biochimiques

Les études biochimiques chez les patients autistes ont principalement porté sur les monoamines (sérotonine, noradrénaline, dopamine) et les opioïdes (les beta-endorphines). Les résultats qui font l’objet d’un consensus concernent l’hypersérotoninémie plaquettaire et l’existence d’une réponse au stress anormalement augmentée dans l’autisme, aussi bien au niveau de Système Nerveux Sympathique qu’au niveau de l’axe hypothalamo-hypophysaire, alors que le fonctionnement de base de ces deux axes semble être normal.

Aspects génétiques

Les arguments de présomption en faveur d’une contribution de facteurs génétiques à l’autisme infantile, proviennent des études familiales et des études sur les jumeaux. Ces arguments sont développés dans l’article de Ph. Gorwood (Carnet Psy, n°75), ainsi que les résultats détaillés des études de gènes/régions candidats et de criblage du génome.

A ce jour, il apparaît qu’aucun facteur génétique directement impliqué dans les troubles autistiques n’a réellement pu être identifié de façon consensuelle. Les recherches génétiques sont probablement limitées par le problème de l’hétérogénéité clinique et biologique du syndrome autistique. Cependant, des associations entre certaines maladies génétiques spécifiques et le syndrome autistique ont été rapportées (voir tableau I, en sachant que ce tableau n’est pas exhaustif), et nous intéressent ici particulièrement dans le cadre d’un bilan diagnostique. En effet, les maladies génétiques figurant dans le tableau I correspondent à un mode de transmission connu, et il convient d’en rechercher les signes devant un syndrome autistique.

Ces pathologies associées à l’autisme infantile recouvrent : 1) les phacomatoses dont nous avons donné une illustration dans le tableau I avec la sclérose tubéreuse de Bourneville (mais la neurofibromatose de Reckinghausen en fait aussi partie),

2) des syndromes génétiques comme par exemple le syndrome de l’X fragile, la trisomie 21 (syndrome de Down), le syndrome d’Angelman ou encore le syndrome de Cornélia de Lange (syndrome de transmission inconnue),

3) les maladies métaboliques représentées dans le tableau I par les mucopolysacchari-doses et la phénylcétonurie qui est devenue rare depuis son dépistage systématique à la naissance. Parmi les amino-acidopathies autres que la phénylcétonurie, on peut citer l’homocystinurie et l’histidinémie. Concernant les maladies métaboliques associées au syndrome autistique, les troubles du métabolisme des purines et pyrimidines sont à connaître et entraînent une faiblesse musculaire avec retard psychomoteur et convulsions ; leur dépistage repose sur la mise en évidence de taux d’acide urique élévé dans les urines ou le sang et sur la recherche d’une excrétion urinaire de SAICAR (accumulation de succinylaminoimidazolecar-boxamide riboside par déficit en adenylo-succinate lyase), de thymidine ou d’uracile. Enfin, des cas d’autisme avec hypothyroidie congénitale sont rapportés.
Les duplications du chromosome 15 (plus précisément de la partie proximale du bras long du chromosome 15, duplication 15q11-q13) sont aussi importantes à connaître car elles sont retrouvées dans le syndrome d’Angelman ainsi que le syndrome de Prader-Willi, et constitueraient les anomalies chromosomiques non liées à l’X les plus souvent rapportées dans la littérature. Les duplications 15q11-q13 aboutissent à un tableau d’autisme de Kanner avec déficience intellectuelle sévère associée à une hypotonie et des crises d’épilepsie. Devant un syndrome autistique avec absence (ou retard important) de langage verbal, il est également nécessaire de penser à la délétion 22q13.3 (plus précisément de la partie la plus distale du bras long du chromosome 22, microdélétion 22q13.3 encore dite délétion 22qter). Les troubles du langage sont associés à une déficience intellectuelle sévère ainsi qu’une hypotonie généralisée, une réactivité à la douleur diminuée et parfois une épilepsie.

Les investigations cliniques et paracliniques dans l’autisme

Les bilans d’investigation qui seront ici développés son centrés sur le patient autiste. Mais l’évaluation de la situation familiale est tout aussi importante, et prendra notamment en compte le retentissement des troubles autistiques sur la vie familiale (père, mère, fratrie), orientant la mise en place d’un suivi familial avec au moins des entretiens réguliers.

La restitution aux parents des bilans d’investigation clinique et paraclinique est également essentielle, et constitue un réel travail d’échange, de discussion et d’accompagnement. Concernant les instruments d’évaluation clinique des troubles autistiques, il est nécessaire d’informer et de former les équipes soignantes tout comme les équipes de recherche sur les différents instruments disponibles répondant le mieux à leur approche thérapeutique ou à leur méthodologie de recherche, et ce en fonction de certains critères : objectifs de l’évaluation (diagnostic, suivi de l’évolution, recherche), type d’évaluation (observation directe du patient, entretien parental, questionnaire rempli par un professionnel), temps de passation et de cotation, nécessité ou non d’une formation spécifique.

Bilan de routine

Bilan à visée diagnostique

Le bilan à visée diagnostique d’autisme repose sur des investigations cliniques et paracliniques qui nécessitent la collaboration multidisciplinaire de médecins généralistes, pédiatres/neuropédiatres, pédopsychiatres et généticiens.

– Les investigations cliniques : il est nécessaire dans un premier temps de poser le diagnostic d’autisme à partir de l’observation directe de l’enfant, de l’anamnèse restituée par les parents avec l’âge de début des troubles, et enfin de l’utilisation d’instruments validés d’évaluation diagnostique. Parmi les échelles diagnostiques les plus complètes et les plus utilisées actuellement à un niveau international, on peut citer l’Autism Diagnostic Interview Revised (l’ADIR est un entretien parental) et les échelles Autism Diagnostic Observation Schedule (les échelles ADOS/PL-ADOS /ADOS-G sont fondées sur une observation directe de l’enfant dans une situation standardisée de jeux), qui permettent d’établir un diagnostic d’autisme (critères CIM-10 et DSM-IV) en évaluant les domaines de la communication, des interactions sociales ainsi que les stéréotypies idéiques et comportementales.

Puis, devant un diagnostic d’autisme avéré, il importe de rechercher des maladies associées au syndrome autistique lors d’une enquête familiale approfondie auprès des parents. Cette enquête comportera la réalisation d’un arbre généalogique (maladies génétiques familiales, consanguinité, antécédents de fausses couches dans les trois premiers mois de la grossesse en faveur d’une anomalie génétique,…) et un interrogatoire portant sur l’histoire développementale de l’enfant autiste en s’aidant du carnet de santé. L’histoire développementale précisera notamment les points suivants : déroulement de la grossesse et de l’accouchement avec complications pré-péri-néonatales et résultats des tests de dépistage à la naissance (hypothyroïdie, phenylcétonurie au test de Guthrie), étapes du développement psychomoteur (âge de la position assise, de la marche, des premiers mots, …) et courbes de croissance (poids, taille, périmètre crânien de 0 à 3 ans et actuels).

L’enquête familiale sera complétée par une évaluation du niveau d’efficience intellectuelle (échelles de Wechsler, K-ABC, EDEI) qui est une variable importante (voir tableau I). Seront également demandés un bilan neuro-pédiatrique (étude de la motricité, des réflexes, d’une comitialité,…) avec, si nécessaire, prescription d’audiogramme, et une consultation de génétique clinique comportant un examen de l’étage crânio-facial, des doigts et des organes génitaux externes à la recherche de signes dysmorphiques, et au moindre doute un examen cutané à la lumière de Wood (les taches de dépigmentation sont en faveur d’une sclérose tubéreuse). L’imagerie cérébrale (scanner, IRM) ne sera demandée que s’il existe des signes d’appel cutanés ou neurologiques (une micro/ macrocéphalie peut justifier son indication). L’existence d’ anomalies neurologiques, de signes dysmorphiques ou d’un phénotype clinique spécifique amènera à demander des investigations paracliniques adaptées et nécessaires au diagnostic des maladies associées suspectées.

Les investigations paracliniques (cette partie est détaillée dans l’article (3) ) : on demandera systématiquement un caryotype en haute résolution (ce caryotype a une résolution d’au moins 500 bandes et est différent du caryotype standard qui était la technique utilisée il y a encore 5 ans) avec recherche d’X fragile en biologique moléculaire. En effet, la biologie moléculaire permettant le diagnostic de mutation du gène FMR1 a remplacé depuis environ 9 ans la méthode cytogénétique de détection du site fragile en Xq27.3.
On recherchera également par technique d’hybridation in situ fluorescente (FISH) une duplication 15q11-q13 et une délétion 22qter devant un syndrome autistique avec absence (ou retard important) de langage verbal. Enfin, des examens métaboliques urinaires seront pratiqués afin de dépister certaines maladies métaboliques susceptibles d’entraîner un syndrome autistique isolé : chromatographie des acides aminés et des acides organiques, dosage des mucopolysac-charides (maladie de San Filippo), recherche d’une excrétion urinaire de SAICAR au test de Bratton Marshall (maladie des purines).

Bilan d’évaluation de la sévérité des troubles autistiques

Les éléments de ce bilan ont pour objectif d’orienter et adapter la prise en charge thérapeutique après entretien prolongé avec la famille. Les instruments d’évaluation de l’évolution et de la sévérité des comportements autistiques sont nombreux (CARS, ABC, etc). Les principales échelles sont présentées dans l’article de Psychiatrie de l’enfant avec leurs caractéristiques générales et pratiques (un tableau comporte toutes les échelles disponibles en France ainsi que certains instruments intéressants du fait de leur spécificité). Il est important que les équipes puissent continuer à utiliser les échelles auxquelles elles sont habituées, mais en connaissant les limites de leurs qualités psychométriques (validités, fidélité inter-juges, sensibilités), et en complétant leur évaluation au moyen d’autres instruments validés et adaptés à leur besoin clinique. A noter, la grille de G. Haag est le seul instrument permettant un repérage des étapes évolutives de l’autisme dans le cadre d’une approche psychodynamique.

L’investigation clinique portera également sur le développement psychomoteur (bilan de psychomotricité approfondi), le niveau de langage et les capacités de communication, les compétences sociales (l’échelle Vineland de comportement adaptatif, élaborée par S. Sparrow et collaborateurs, présente l’intérêt de différencier les scores de socialisation des scores d’autonomie).

Par ailleurs, certaines échelles évaluant de façon spécifique des comportements autistiques difficiles comme par exemple, les automutilations ou les conduites hétéroa-gressives, peuvent jouer en institution un rôle de médiation et de triangulation en mettant à distance les affects et les émotions qui envahissent les équipes soignantes lorsqu’elles doivent faire face à ces comportements. En effet, ces échelles peuvent aider à dégager un espace à penser pour mieux comprendre ces comportements problématiques. Ce n’est pas pour autant que les conduites auto ou hétéroagressives disparaissent, mais en améliorant leur compréhension, l’équipe en a aussi une meilleure tolérance. C’est dans cette perspective que nous avons élaboré les échelles Yale-Paris de conduites auto et hétéroagressives (7) comportant des évaluations quantitatives (fréquence, sévérité, durée du comportement) et qualitatives (circonstances d’ apparition, comportements associés, lieux de l’agression), mais aussi une partie où est précisée le ressenti et les réactions de l’observateur. Enfin, toutes ces échelles d’évaluation constituent des outils de travail apportant certains repères intéressants, mais qui doivent être replacés dans le contexte individuel et humain du sujet (circonstances d’apparition du comportement autistique, état de stress, etc.).

Bilan de recherche

Ce bilan sera également clinique et biologique. Un certain nombre d’instruments d’évaluation sont en effet validés pour être utilisés à des fins de recherche afin d’affiner l’étude du sous-type comportemental de la population autiste recrutée. C’est le cas d’échelles comme l’ECA-N, l’ECA-R, mais aussi de l’ADI-R et ADOS/PL-ADOS/ADOS-G dont il a été question dans le bilan diagnostique (pour le détail de ces échelles, voir article (4) ). Concernant les évaluations paracliniques, elles pourront relever, selon les besoins de la recherche, de différents bilans biologiques (biochimique, immunologique, génétique,…).

On peut citer :

1) Le bilan biochimique avec notamment, comme il a été mentionné précédemment, des dosages de sérotoninémie et des neurohormones de stress de l’axe hypothalamo-hypophysaire (ACTH, b-endorphine et cortisol plasmatiques), ainsi que du Système Nerveux Sympathique (noradrénaline, adrénaline et dopamine plasmatiques).

2) Le bilan génétique avec l’utilisation de marqueurs adaptés aux hypothèses étudiées. Les recherches génétiques ne se limitent pas à l’étude des gènes directement impliqués dans le risque d’autisme, mais portent aussi sur des gènes susceptibles de modifier l’expression comportementale des troubles autistiques. Ainsi, une étude récente de notre équipe a montré que le gène du transporteur de la sérotonine n’est pas un gène augmentant le risque de transmission d’autisme mais modifierait cependant la sévérité des troubles des interactions sociales et de la communication (8). Par ailleurs, les études de jumeaux mettent en évidence que les taux de concordance chez les jumeaux monozygotes n’atteignent jamais les 100%, ce qui suggère l’existence de facteurs environnementaux. Il est nécessaire de tenir compte des possibles interactions entre les facteurs environnementaux et les facteurs génétiques étudiés. C’est dire l’importance d’étudier les effets du génome intégrés à ceux de l’environnement, qu’il soit postnatal ou prénatal (environnement psychologique mais aussi environnement cytoplasmique, environnement utérin avec les échanges placentaires et les effets hormonaux).

3) Le bilan neuroradiologique (IRM, scanner,…) et électrophysiologique (potentiels évoqués corticaux ou du tronc cérébral).

Des anomalies cérébelleuses ont été décrites dans la littérature, avec en particulier une réduction de taille du vermis cérébelleux, mais ces résultats n’ont pas été dupliqués. L’enregistrement des potentiels évoqués suggère l’existence, chez les enfants autistes, d’un problème d’intégration transmodale des stimuli provenant de différents canaux sensoriels (auditifs, visuels). Il paraît important de souligner que les anomalies neuroanatomiques et fonctionnelles, rapportées dans l’autisme, pourraient se modifier au cours du développement (9). C’est dire l’intérêt de s’inscrire dans une perspective longitudinale afin de prendre en compte les changements développementaux et l’existence de patterns évolutifs.

Enfin, les anomalies neuroanatomiques et neurophysiologiques pourraient très bien résulter d’un effet en cascade de facteurs aussi bien environnementaux que biologiques et n’être pas la cause directe des troubles autistiques. Ceci peut être illustré par l’exemple bien connu de l’effet d’un environnement anormal comme celui créé par une déprivation visuelle unilatérale chez le chat et qui entraîne des anomalies neuroanatomiques définitives au niveau de structures cérébrales pourtant parfaitement fonctionnelles initialement. Il est donc extrêmement difficile de déterminer si les anomalies cérébrales retrouvées chez les enfants autistes sont des causes du syndrome autistique ou seulement des conséquences apparentes à considérer au même niveau que les comportements autistiques.

Intérêts d’articuler les bilans de routine et de recherche

Il est important de bien différencier le registre de la recherche (avec des examens biologiques comprenant une prise de sang et d’autres investigations) de celui du soin (qui nécessite un bilan d’évaluation clinique de la sévérité des troubles autistiques). Ainsi, les prises de sang réalisées dans le cadre de la recherche se dérouleront dans un lieu autre que le lieu de soin. Mais il est intéressant d’articuler ces deux registres et d’intégrer une approche biologique de recherche à notre pratique clinique. En effet, l ’approche biologique intégrée à la clinique peut apporter à l’équipe soignante un nouvel éclairage sur l’autisme et, de ce fait, exercer un effet dynamisant chez des équipes qui souvent “s’épuisent” face à la pathologie autistique. Ainsi, le résultat biologique de la recherche mettant en évidence des taux de neurohormones de stress très supérieurs à la normale chez des enfants présentant un retrait autistique sévère, a permis à certains soignants de porter un regard différent sur ces enfants et de relancer une dynamique relationnelle qui s’essouflait devant le repli social et l’absence de langage verbal. C’est un peu comme si, sous l’éclairage biologique, les émotions inapparentes prenaient corps, devenaient visibles et venaient interpeller l’entourage, qu’il soit familial ou soignant. Cet éclairage ne remplace pas la réflexion psychanalytique qui, depuis bien longtemps déjà, souligne l’importance des angoisses autistiques, mais il permet d’être confronté à une autre réalité, la réalité biologique. Cette réalité, parce que justement elle est autre, peut créer un effet de surprise et, par là même, peut aider au soulèvement d’un questionnement et à une prise de conscience.

Conclusions

Les soignants et les parents, sont souvent démunis face à des comportements autistiques qu’ils ne comprennent pas, et devant lesquels ils se sentent impuissants. Certains troubles comme le retrait autistique, le regard vide, l’absence de langage, le “désaccordage” affectif et social, l’apparente intemporalité, nous renvoient même parfois aux confins de l’humain. Il est alors essentiel que l’enfant autiste reste pour tous un sujet à part entière au service duquel peuvent être utilisées les évaluations cliniques et paracliniques en fonction des signes d’appel présentés. Il est essentiel que l’enfant autiste ne devienne pas un objet sur lequel nous allons multiplier les investigations lourdes à la recherche d’éléments concrets susceptibles essentiellement de nous rassurer. On pourrait se dire qu’il n’est pas si grave de développer des batteries d’examens complémentaires et qu’il vaut mieux en faire trop que pas assez. Mais indépendamment même du coût de santé publique et du coût psychologique de ces examens complémentaires (certains d’entre eux, comme l’IRM, sont en effet parfois difficilement réalisables ou particulièrement stressant pour l’enfant autiste, et peuvent constituer pour les parents un parcours du combattant dont ils ressortent encore plus abattus et démunis devant l’absence de résultats probants), les batteries d’évaluation posent en fait un véritable problème éthique où l’enfant autiste passe d’un statut de sujet à celui d’objet.

Si certains examens paracliniques semblent tout à fait indiqués à partir de la symptomatologie présentée, comme nous l’avons vu dans le cadre du bilan diagnostique, il semble cependant important de ne pas entrer dans une escalade d’explorations biologiques poussées et sophistiquées demandées à titre systématique, visant à démonter les ressorts et rouages cachés d’une mécanique qui dysfonctionnerait et devant laquelle on resterait perplexe. Plus la technologie est avancée, et plus elle peut entretenir le fantasme que grâce à elle on va enfin pouvoir pénétrer dans la boîte noire et en comprendre le fonctionnement interne. Ainsi, l’IRM et le scanner seraient un moyen de se représenter à partir d’images recomposées l’irreprésentable, les techniques actuelles de génétique d’accéder à un niveau cellulaire et moléculaire, et en dernier lieu, l’étude anatomopatho-logique à l’autopsie cérébrale, telle qu’elle est pratiquée aux Etats-Unis, permettrait de disséquer et de tenter d’analyser au microscope ce qui a échappé durant toute une vie aux autres examens.

Le comportement autistique est ainsi réduit à son support organique et le sens même de ce comportement n’est plus pris en compte. Ceci m’évoque une interview d’André Bullinger où je lui demandais ce qu’il pensait des possibles anomalies organiques et bases biologiques de la pathologie autistique. Il m’avait alors répondu : “ D’un côté, on est en train de regarder ce qui est écrit sur un papier en en cherchant le sens, et d’un autre côté vous me demandez “ est-ce que l’analyse chimique du papier ou de l’encre va me raconter le sens ? ”. Je pense que le support a du sens, qu’il joue un rôle important. Mais je ne voudrais pas que l’on confonde l’analyse des propriétés du support avec ce que l’on écrit dessus. Mon travail de psychologue s’intéressant au développement sensori-moteur, c’est d’apprécier la qualité du papier mais aussi de travailler sur le sens. Je pense qu’objectivement les gens qui analysent ces supports vont nous donner des familles d’explication qui vont éclairer des pans entiers mais je ne suis pas sûr qu’on articule toujours les propriétés du support avec ce qui est écrit dessus ”.

Il n’est pas exclu que les examens complémentaires dont nous venons de parler ainsi que d’autres techniques de pointe permettent un jour de mieux comprendre certains aspects du syndrome autistique et de faire des découvertes importantes. Mais cela relève plus d’une démarche de recherche que d’un bilan de routine. Il apparaît nécessaire, comme nous l’avons développé précédemment dans la partie bilan, de bien différencier et séparer le registre de la recherche de celui du soin, tout en articulant ces deux registres à partir d’un travail de liaison.
On se heurte au même problème avec le développement de batterie d’échelles d’évaluation passant au crible l’observation des comportements autistiques au moyen de cotations et de scores quantitatifs visant à apporter de l’objectivité et du contrôlable face à ce qui semble incompréhensible et incontrôlable. Et le risque est le même que celui des batteries d’examens complémentaires, à savoir réduire l’autisme à une addition de scores et de variables quantitatives, dont l’aspect concret rassure, sans tenir compte des mécanismes psychodynamiques. En fait, l’apparente objectivité des cotations vient masquer la subjectivité de l’évaluateur qui apparaît aussi bien lors de la passation que de la cotation, subjectivité inhérente à l’évaluation qui constitue avant tout une rencontre humaine. Mais plutôt que de décrier la subjectivité, plutôt que de se revendiquer d’une vérité scientifique passant par des évaluations objectives, peut-être peut on souligner l’intérêt de certains aspects de la subjectivité. Parce que la subjectivité s’inscrit dans une dynamique relationnelle, elle est source de richesse en permettant, si elle est prise en considération et analysée, de mieux comprendre le sens des comportements observés. Ainsi, il est possible de relever chez un même enfant autiste des fluctuations de comportements en fonction de l’environnement et des personnes. Cette subjectivité est essentielle, car elle ne nous renvoie pas à l’immuabilité de l’enfant autiste, mais à ses fluctuations relationnelles, à ses capacités d’émergence, en fait à son humanité.

AUTISME ET MALADIES GENETIQUES SPECIFIQUES (D’après Clément Pinquier, modifié)
Tableau 1
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Autisme : état des lieux et horizons