Les parents ont un rôle déterminant à jouer dans la relation qu’entretiendra leur enfant avec ses lieux de socialisation en général, et d’apprentissages en particulier. Pourquoi ? Parce qu’ils sont les artisans de sa construction psychoaffective, premier ciment de son rapport au monde, mais aussi les artisans des premiers plis de ses réflexions, du ton qui sera, pour toute sa vie, associé au fait même de penser.
Dans ce podcast, je vais vous donner, à vous, parents, quelques conseils que je trouve fondamentaux pour soutenir au mieux vos enfants dans leurs apprentissages. Il ne s’agira pas de conseils pédagogiques, puisque je n’ai aucune qualification en la matière, mais de conseils psychologiques.
Définissons d’abord ce que j’appelle une « réussite académique et professionnelle ». Pour moi, il n’est pas uniquement question de notes. J’ai parfois rencontré au cours de ma carrière des enfants, des adolescents ou des adultes, dotés d’intelligences « encyclopédiques et stériles », pour reprendre les termes du Dr Lebovici, célèbre pédopsychiatre. Ces patients étaient capables d’avaler des sommes pharaoniques d’informations, de raisonner de façon spectaculairement rapide, ils avaient parfois des QI impressionnants… Mais être capable des plus grandes abstractions en étant pétri d’angoisses et en passant sa vie dans le sous-sol de la maison de ses parents devant un écran, sans construire aucune vie affective, par exemple, n’est pas ma définition de la « réussite ».
Mon objectif, en tant que psychologue, ne peut se dé-corréler de celui du bonheur. J’aspire à favoriser, chez les enfants que je rencontre, de belles intelligences composées de liaisons psychiques, d’associations, de gourmandise, de désirs, d’inspirations, de plaisir, d’affects, et si possible, d’humour et de créativité. En somme, une intelligence vivante, incarnée et séduisante, c.-à-d. vectrice de liens sociaux, qui eux aussi apporteront à leur tour leurs lots de gratifications à l’enfant.
Les attitudes à bannir
Alors quelles sont, tout d’abord, les attitudes à bannir, les erreurs dans lesquelles ne pas glisser ? Vous verrez que toutes parlent de conflit : à la maison, avec les professeurs ou avec les camarades.
D’abord, le pire des scénarios, malheureusement très fréquent, est de tomber dans la pression des notes et dans les rapports de force autour des devoirs (les deux étant souvent liés). La pression écœure les enfants de l’expérience scolaire, parfois de façon définitive, et prend trop souvent l’espace relationnel qui devrait être pris par des échanges plus nourrissants. Aujourd’hui, les « refus scolaires anxieux » (anciennes « phobies scolaires ») explosent dans les consultations pédopsychiatriques, en grande partie pour cette raison. En 2017, le Pr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, chef de service de La maison de Solenn, faisait état du chiffre alarmant de 3 à 5 % de collégiens déscolarisés. Les enfants n’attendent surtout pas de leurs parents qu’ils deviennent leurs précepteurs.
Donc ne vous laissez jamais glisser dans la répétition quotidienne et oppressante des mêmes menaces, cris ou mises en garde. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : les conflits quotidiens… sont le véritable poison de la vie des enfants ! Ne les laissez jamais s’installer dans votre foyer. Lorsque les relations butent tous les jours au même endroit, il faut impérativement trouver des issues pour y mettre fin ! Pour cela, n’hésitez pas à ménager les zones de tension :
1— Premièrement : déléguez le travail qui vous agace systématiquement avec votre enfant, en privilégiant les actions pédagogiques que VOUS AIMEZ pratiquer. Laissez, par exemple, d’autres personnes de son entourage « le mettre en route », ou « investir les matières qui vous inspirent moins » (l’autre parent, un grand-parent, un prof particulier, etc.). Il vaut mille fois mieux un exercice un peu bâclé à l’étude, qu’un conflit blessant entre parent et enfant. Les conséquences sur son bonheur en général, et donc sur sa scolarité par effet rebond seront sans commune mesure. Rappelez-vous que nous, parents, avons pour mission de construire tout son « patrimoine » relationnel avec le savoir et la pensée, et non simplement une petite note ponctuelle et isolée en histoire-géo demain matin. L’enjeu est immense, et pour cela, toute tension doit être chassée du panorama quotidien de l’enfant… on n’« apprend » pas dans le chagrin.
2— ensuite, et à moins que votre enfant et vous-mêmes y preniez un grand et sincère plaisir, je vous conseille de ne pas surajouter d’exercices à ceux qui ont été demandés par l’enseignant, et d’éviter les cahiers de vacances… les psychismes des enfants et des parents ont besoin de pauses, et le monde a mille autres occasions de stimulations à offrir… cela vous permettra à tous d’éviter l’overdose.
3— par ailleurs, ne vous laissez pas contaminer par les retours négatifs des professeurs au sujet de ses résultats (Je parle ici de ses notes, et non de son comportement. Je reviendrai sur cette nuance importante). Prenez beaucoup de distance avec les appréciations négatives de son travail et ses notes. Notre premier travail de parents est de les dés-inquiéter, de les rendre sereins, et de préserver leur estime d’eux-mêmes. Pour cela, nous devons absolument leur montrer notre sagesse, notre hauteur dans l’accueil des mauvaises nouvelles, et aussi notre optimisme à leur propos. Si nous doutons, sur-réagissons, exprimons de l’inquiétude, nous ne faisons qu’alimenter la leur. Or l’angoisse ne propulse rien de bon, elle paralyse et c’est tout.
4— Un autre écueil est celui de vous désolidariser des enseignants (je parle évidemment de situations où ça ne se justifie pas vraiment). Il est précieux, à tous les âges de votre enfant, d’afficher une alliance avec eux. Car les enfants cherchent les limites et se faufileront avec malice dans toutes les brèches creusées par leurs matrices éducatives pour désavouer l’autorité des uns auprès des autres. Soutenez le corps enseignant au même titre que vous vous soutenez entre parents. Si on vous rapporte que votre enfant a été agressif, ne glissez surtout pas dans le risque de vous fâcher contre le prof qui vous transmet l’information. Non. Remerciez le prof et rappelez les règles de bienséance à votre enfant.
5— Le dernier risque dont je souhaite vous parler concerne la tentation d’entrer à pieds joints dans les conflits amicaux de votre enfant. Un écueil extrêmement fréquent des parents d’aujourd’hui consiste à « coller aux récits des enfants à propos de rejets ou d’agressivité dont ils auraient fait l’objet de la part de camarades. Or, ces « conflits rapportés » sont d’abord, dans une certaine mesure « normaux » : tout enfant vivra quelques déconvenues amicales au cours de son enfance. Mais lorsqu’ils deviennent quotidiens, sont confirmés par les enseignants et ne passent pas, il est nécessaire de tendre un peu l’oreille et de réfléchir à ce que l’enfant transporte avec lui en terme « d’énergie » sur la scène sociale. Je m’explique. Il arrive que certains enfants choisissent leurs camarades par encastrement avec leurs personnalités (par ex. : certains très timides sont fascinés par la compagnie d’autres, très désinhibés, qui « osent tout » ce qu’eux-même n’osent pas). Mais la plupart du temps, les enfants choisissent des camarades qui leur ressemblent. Et ils rejouent avec eux les modalités relationnelles qui les ont construits. Or, certains groupes de copains se malmènent tout en restant par ailleurs inéluctablement attirés les uns par les autres… Le phénomène de « harcèlement » jaillit bien souvent de ces dynamiques de groupe. Et je déplore d’ailleurs l’idée caricaturale que l’on en véhicule depuis quelques années dans les médias, avec toutes les craintes que cela est susceptible de transporter pour les parents, qui redoutent tout autant d’avoir un enfant harceleur, qu’un enfant harcelé. Personnellement, je ne reconnais pas ma clinique d’enfants harceleurs et harcelés dans la médiatisation qui en est faite depuis quelques années (généralement par les mères d’enfants qui en ont été victimes, parfois de façon tragique — je pense bien sûr aux suicides). Je comprends bien que la médiatisation de leur discours constitue une façon de tenter de donner du sens à ce drame intime dont on ne peut qu’imaginer la violence absolue. Mais leur réflexe de pointer la responsabilité entière des enseignants et des établissements scolaires dans l’échec de la protection de leur enfant, parfois harcelé depuis des années, me semble tout à fait malhonnête, ou en tous cas bien trop partiel.
Chez mes petits patients, le fait de se retrouver à l’intérieur d’un circuit de violences relationnelles, d’un côté comme de l’autre, est toujours le révélateur de dysfonctionnements dans la gestion de l’agressivité à l’intérieur de la famille : soit l’enfant rejoue un climat de tensions et de violences (subies ou agies), soit il expulse sur la scène sociale une agressivité (normale) qui n’a pu être adressée à ses parents (absents ou indisponibles, eux-mêmes préoccupés, etc.). Je pense qu’un des autres pièges dans le regard posé sur ce phénomène est donc d’imaginer qu’il y a un « bourreau tout à fait coupable » et une « victime tout à fait innocente ». Je parlerais plutôt d’une « énergie psychique partagée » par les deux parties qui s’excitent l’une l’autre sur un mode circulatoire et dont il faut évidemment les sortir… Mais mon travail de psychologue, face à ces enfants, consiste moins à « charger les établissements de faire le gendarme » (ce qui ne pourra qu’avoir un impact superficiel et transitoire) qu’à débusquer cette dynamique psychique et d’y mettre fin à la racine, par la guidance parentale, en présence de l’enfant, c’est une exploration « en zoom arrière » passionnante et toujours très touchante, car on se rend souvent compte que ce qui manquait à l’enfant dans cette « difficulté à gérer le conflit », manquait également à ses parents…
Je me souviens d’un jeune patient d’une douzaine d’années. Il avait toujours connu le harcèlement, et malgré deux changements d’établissements, les mêmes scénarios de maltraitances se rejouaient. J’avais réussi à identifier sa part inconsciente, mais active, dans le déploiement de la hargne qu’il générait chez ses camarades successifs. Elle passait par des regards méprisants d’indifférence face à leurs intérêts, par lesquels il leur signifiait les trouver immatures et ennuyeux. Ses parents n’avaient jamais été interrogés par les différents psychologues que leur fils avait rencontrés. Pourtant, ils m’avaient fait part d’un fait troublant de leur réalité familiale élargie. Le grand-père paternel logeait cette famille gracieusement, mais s’octroyait en échange le droit de les « harceler » en les appelant plusieurs fois par jour et en faisant irruption de façon intempestive chez eux, grâce à un double de leurs clefs, qu’il estimait avoir le droit d’utiliser, cet appartement étant le sien. Cet enfant rejouait depuis des années l’emprise dans laquelle il voyait ses parents piégés. La thérapie de ce jeune a consisté en un projet de dégagement de cette emprise grand-paternelle asphyxiante par une reprise d’autonomie financière des parents sur leur logement. Le jour où il a déménagé, ce jeune patient n’a plus jamais connu le harcèlement.
Voici maintenant les attitudes à encourager !
Mon premier conseil, comme toujours, est celui de les rendre heureux et de bien les structurer… pour qu’ils n’arrivent pas pétris de soucis face à leurs cahiers de classe et qu’ils soient « disponibles pour produire des efforts réflexifs ».
Tous les profils parentaux et toutes les problématiques infantiles existent…
Certains enfants sont déprimés, ont des parents peu présents, peu affectueux, mais très exigeants. J’explique alors à ces parents que pour revendiquer d’un enfant qu’il leur offre des gratifications de réussite scolaire, il est nécessaire de lui avoir donné, avant cela, des sources de réjouissance quotidiennes. C’est-à-dire d’avoir insufflé suffisamment de présence, de tendresse et de plaisirs dans son quotidien, pour qu’à son tour, il puisse produire des efforts de rendement. Les enfants attendent de leurs parents qu’ils constituent leurs sources d’affection et de tendresse, car ils en auront besoin pour traverser les contraintes de leurs journées d’apprentissage, comme une voiture a besoin d’essence pour rouler. L’amour favorise le bonheur, et le bonheur est le carburant qui permet à l’enfant de partir ensuite explorer le monde et investir la vie intellectuelle, en dehors des liens familiaux.
Mais l’amour, bien sûr, ne suffit pas. Trois autres ingrédients favoriseront leur réussite : Le plaisir de penser/Les limites éducatives/et la confiance en soi.
- Le premier point est central : il est impératif de prendre du « plaisir à penser » avec votre enfant. La façon importe peu. Lisez-lui des livres pour enfants si vous aimez cela, commentez l’actualité et débattez-en, jouez au Pictionnary, faites des mots croisés, des petits exercices de calcul mental, des tours de table « d’animaux qui commencent par la lettre B ou de végétaux qui commencent par la lettre R », etc. Peu importe. En prenant ce plaisir ensemble, vous lui ouvrez des autorisations inconscientes pour investir tous les autres espaces de réflexion, s’y sentir légitime et y prendre du plaisir.
- Ensuite, la question de l’intégration des limites éducatives est également cruciale. Vous savez l’importance que je lui accorde depuis mon second podcast. Car cette intégration permettra à votre enfant, dès son entrée en petite section de maternelle, d’être bien mobilisé face aux consignes, aux tâches, à la temporalité des exercices, etc. Les enfants mal limités sont souvent parasités, interférés par leurs désirs (de bavarder avec les copains, de regarder les mouches voler, de dire leur désaccord à la maîtresse, de discuter la consigne, de se lever avant la fin du contrôle, etc.), et cela trouble parfois massivement leurs capacités de mobilisation attentionnelle.
C’est ici l’occasion pour moi de revenir sur la différence de traitement que j’octroie aux retours négatifs de notes et de comportement. Soyez très réactifs aux retours négatifs de son attitude sociale. Car vous êtes ceux qui peuvent et doivent agir sur cet aspect de sa structuration psychique. Ça, c’est vraiment votre mission, une mission qui vous engage personnellement et pour laquelle vous ne pourrez pas être remplacés. Tous les apprentissages ne se font pas en famille, mais l’éducation ne se fait qu’ici.
- Enfin, la confiance en soi m’apparaît comme le troisième ingrédient incontournable pour réussir sa scolarité. Les parents excédés par les sessions de devoirs qui se laissent aller à insulter leurs enfants à propos de leur incapacité intellectuelle, par exemple, ne savent pas à quel point leurs mots sont assassins. J’ai évoqué ces « mots prisons », paralysants et indélébiles, qui détruisent l’estime de soi, dans mon quatrième podcast, que je vous encourage à écouter si vous ne l’avez déjà fait. J’ajouterai à son contenu, et à propos du thème qui nous rassemble ici, que tous les entrepreneurs à succès admettent avoir échoué cent fois avant de réussir la cent-et-unième fois. Or leur ténacité, leur capacité à rebondir, a été permise par leur confiance inébranlable en eux (vous pouvez lire l’autobiographie de Richard Branson à ce sujet). La vie, nous le savons à nos âges, ne fait pas de cadeau. Ceux qui n’ont pas entendu leurs parents exprimer leur confiance en eux se décourageront a priori plus vite que les autres. Et cette nuance fera une grande différence dans les destins académiques et professionnels de nos enfants.
_____
Voilà quelques conseils que je souhaitais vous faire partager pour soutenir efficacement la scolarité de votre enfant. N’oubliez jamais l’importance, ici et partout ailleurs, de l’expression de votre confiance, de votre bonne humeur, de la qualité de vos relations avec lui, mais aussi de votre alliance disciplinaire avec ses professeurs ET, simultanément, de votre relativisme sage face à ses notes…
Je vous conseille de vous investir tout particulièrement pendant son CP et sa sixième. En CP parce que c’est vous qui fixerez le ton de sa rencontre avec ses livres et ses cahiers. Et en Sixième, pour accompagner le nouveau rythme et les nouvelles exigences organisationnelles et méthodologiques du collège.