1 – Introduction
La littérature met en évidence le fait que l’hospitalisation confronte l’enfant à différentes dimensions pouvant venir entraver son développement. Ces différentes dimensions comme la séparation du milieu habituel et l’adaptation à un nouvel environnement ou encore l’exposition aux soins et à la maladie peuvent laisser d’éventuelles traces telle une sensibilité à l’angoisse de séparation voire d’abandon, à l’angoisse de castration voire d’anéantissement ou de mort et des angoisses de morcellement. L’hospitalisation constitue donc un moment de crise pour l’enfant et sa famille (T. Bastin, 2000) qui comporte des risques multiples (A. Ollivier et D. Rapoport, 1987). Ainsi, l’hospitalisation demande à l’enfant et à sa famille un travail de réorganisation permettant plus ou moins bien selon les cas une adaptation à la situation. Dans cette perspective, il nous semble intéressant d’approcher le vécu de l’enfant hospitalisé en étudiant les ressources offertes par un certain type de relation établie pendant la petite enfance, et plus spécifiquement par l’établissement d’un type d’attachement pour faire face à une épreuve, celle-ci étant l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale lourde.
2 – Objectifs de l’étude et hypothèses
Cette étude a pour objet le vécu relationnel d’enfants actuellement en période de latence qui ont été hospitalisés antérieurement pour une intervention chirurgicale lourde. Par vécu relationnel, nous entendons l’influence de la relation parents-enfant sur le vécu par l’enfant de l’hospitalisation. La relation parents-enfant abordée est envisagée selon trois angles : antérieure à l’hospitalisation, pendant l’hospitalisation et après cette période. Par relation antérieure à l’hospitalisation, nous posons plus particulièrement la question de l’influence des liens précoces. L’hypothèse à la base de ce travail est que les enfants ayant établi un attachement secure durant la petite enfance présenteront une meilleure adaptation à l’hospitalisation pour chirurgie lourde. Dans cette étude, nous abordons l’hospitalisation comme une épreuve. Notre optique est de voir quels sont les moyens déployés pour dépasser une épreuve, et l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale lourde offre ce cadre.
Chercher à déterminer quelles sont les ressources, tant intrapsychiques que relationnelles, dont l’enfant dispose face à l’hospitalisation revient à intégrer les apports de la notion de “résilience” à l’étude du vécu de l’enfant hospitalisé. Ce terme d’abord apparu dans la littérature anglo-saxonne s’est répandu chez nous sous l’impulsion de B. Cyrulnik et s’insère dans un tournant de la littérature scientifique s’intéressant aux compétences des individus. Un consensus s’est établi en psychologie pour reconnaître la résilience comme “la capacité de l’individu de se construire et de vivre de manière satisfaisante malgré les difficultés et les situations traumatiques auxquelles il peut se trouver confronté”1. Processus dynamique évolutif, la résilience n’est jamais acquise une fois pour toutes. Il s’agit donc d’un concept valable à un moment donné qu’il convient d’évoquer avec prudence chez l’enfant. Dans ce travail, nous nous servons de cette notion comme d’une grille de lecture, une manière d’aborder les choses, la notion de résilience en tant que telle étant plus généralement évoquée pour des événements caractérisés par un niveau de stress plus important. La référence à la notion d’attachement est faite dans une volonté de notre part d’approfondir la réflexion sur le lien entre ces deux notions.
3 – Population
Dans ce cadre, nous avons rencontré trois enfants et leurs parents, se situant dans une phase de développement commune, la période de latence. Notre choix s’est porté sur cette période de développement pour deux raisons. Tout d’abord, l’enfant en période de latence est doté d’un psychisme déjà fort construit. Ensuite, il s’agit d’une période moins conflictuelle que les précédentes. Rencontrer l’enfant à cet âge permet donc de ne pas amplifier les différentes dimensions auxquelles l’hospitalisation expose l’enfant. On évite ainsi qu’il y ait résonance entre la crise situationnelle amenée par l’opération et la crise maturationnelle inhérente à une période de développement (C. Lestang et Cl. Saint Maurice, 1984). Cette rencontre s’est déroulée plus d’un an après l’opération. En effet, nous désirions nous placer dans une perspective d’après coup afin de pouvoir envisager de manière globale comment nos sujets ont pu dépasser ou non cette expérience par l’analyse des traces qu’elle a laissées en eux (mise en place de mécanismes de défense).
Notre population respecte l’homogénéité pour les critères relatifs tout d’abord au type d’intervention chirurgicale subie : lourde et attenant à la sphère digestive, toutes les opérations concernent donc une même sphère symbolique. En effet, les interventions chirurgicales attenant à certains sites, dont l’appendice, sont reconnues pour exacerber l’angoisse de castration déjà associée à tout acte chirurgical (A. Freud, 1952). L’abord des troubles touchant à la sphère alimentaire se place le plus souvent dans une perspective psychosomatique. Dans cette perspective, les douleurs abdominales chez l’enfant peuvent être comprises surtout lors des temps fort du développement libidinal comme des mises en scène corporelles de conflits, désirs encore peu conciliables psychiquement (C. Mille, 1990). Le reflux gastro-oesophagien par exemple peut-être compris comme une expression somatique de la souffrance psychique du nourrisson. Il n’en reste pas moins qu’il est souvent vécu par les parents dans une atmosphère dramatique et angoissante pouvant dépasser la gravité réelle du trouble (N. Boige, 2001). Ainsi, une composante relationnelle peut apparaître dans l’évolution du symptôme (N. Boige, 2001), le trouble physique s’assortissant de conséquences psychologiques quelle qu’en soit sa cause.
Par ailleurs, les enfants observés ont été hospitalisés pour une durée minimum d’une semaine, et ce au sein du même établissement hospitalier. Lors de la constitution de l’échantillon, nous avons constaté pour tous les enfants observés la présence d’un passé médical chargé et ce, dès la période néonatale. Remarquons que l’apparition de cette caractéristique de notre population, présence d’un passé médical chargé, vient introduire une nouvelle perspective dans la question que nous nous posons. Nous nous intéressons aux effets du type de relation établi durant la petite enfance sur l’attitude de l’enfant face à l’hospitalisation. Or, il apparaît ici que l’investissement de l’enfant par les parents pendant la petite enfance pourrait avoir été marqué par la présence de problèmes de santé dès la naissance. Toujours par rapport à l’apparition de cet élément d’un passé médical chargé, relevons à nouveau que plus que l’impact d’une hospitalisation ponctuelle, cette étude investiguera le vécu d’enfants ayant été exposés de façon répétée à l’hospitalisation.
Tous les enfants sont issus d’un milieu socioéconomique moyen.
Les facteurs d’hétérogénéité sont relatifs à l’âge, au contexte de l’intervention chirurgicale et à la composition famililale.
4 – Méthodologie
Au niveau méthodologique, il s’agit d’une étude de cas de type rétrospective. Cette approche ne permet pas de généraliser, nous disposons de trop peu de cas à cet effet, mais présente l’avantage de pouvoir analyser en profondeur le vécu de nos sujets.
Les outils utilisés nous permettent de récolter les données concernant les caractéristiques des enfants observés, le vécu de l’hospitalisation pour chirurgie lourde ainsi que des données concernant la relation parent-enfant. Un questionnaire anamnestique fournit les renseignements généraux sur la pathologie de l’enfant, son développement et la composition familiale. Le vécu de l’hospitalisation est approché tant à un niveau conscient par des questions adressées à l’enfant et à ses parents, qu’à un niveau inconscient par la présentation d’un matériel projectif thématique (présentation de planches figurant différents moments du processus hospitalier et passation d’un test thématique classique, le Patte Noire). Le thème de la relation parent-enfant est abordé par des questions larges adressées aux parents relatives à l’investissement de l’enfant. Avec l’enfant, une procédure standardisée d’histoires à compléter est employée2. Il s’agit de sept débuts d’histoires mis en scène avec des figurines représentant le père, la mère, la grand-mère et deux enfants. Le personnage enfant est confronté à des situations suscitant une variété d’émotions en rapport avec les figures d’attachement comme la réaction à la réprimande, la recherche de réconfort et la demande de protection ou encore les situations de séparation et de retrouvailles. La manière dont l’enfant compose avec ces éléments nous informe sur les stratégies d’attachement qu’il déploie pour réguler les relations avec son entourage. L’hypothèse étant que la manière dont l’enfant complète l’histoire, tant au niveau de la cohérence que du contenu permet d’atteindre les modèles internes opérants de l’enfant (représentation interne de la figure d’attachement, fonction des relations que l’enfant établit avec sa figure significative).
Par exemple, l’histoire “La blessure au genou” met en scène le scénario suivant. La famille est au parc et la figurine enfant appelle ses parents pour leur montrer qu’il va grimper sur un grand rocher. Ce faisant, le héros tombe, se blesse au genou et se met à pleurer. L’enfant est invité à montrer ce qui se passe après. Une fois son histoire terminée, le psychologue demande à l’enfant comment les figurines se sentent, à quoi elles pensent et ce que les personnages aimeraient faire. Les questions posées ont pour but de clarifier les intentions derrière le jeu ainsi que le degré d’apaisement d’une part, et de susciter l’attribution d’état mental aux poupées d’autre part. L’identification de l’enfant à une des figurines est également investiguée (on demande à l’enfant s’il était quelque part dans le jeu et si oui, qui et où il était). Ces deux éléments (procédure d’enquête et identification de l’enfant à une figurine) sont repris de la version de Manchester (Green, Stanley, Smith, Goldwyn, 2000).
Les résultats ainsi obtenus ont été analysés en recourant à l’analyse thématique qui a été notre outil privilégié, complété par une analyse formelle pour le matériel projectif relatif au vécu de l’hospitalisation.
5 – Résultats
5.1 – Renseignements généraux
L’analyse des caractéristiques de notre population met en évidence que tous les enfants hospitalisés pour chirurgie lourde présentent un passé médical chargé (présence de troubles physiques depuis la période néonatale). Ces troubles persistent pour deux enfants tout au long du développement. Nous parlons dans ce cas d’un contexte de chronicité (enfants 1 et 2 dont l’opération a été planifiée).
5.2 – Vécu de l’hospitalisation
5.2.1 – Dimensions marquantes du vécu de l’hospitalisation chez l’enfant
Par rapport au vécu de l’hospitalisation, l’analyse des entretiens montre que la dimension marquante du vécu de l’hospitalisation chez les enfants rencontrés est l’exposition aux soins et à l’intervention chirurgicale, cette dernière apparaissant comme l’élément anxiogène majeur. Un enfant se réfère plus particulièrement à la douleur tandis que les deux autres mettent plus en évidence des éléments comme la maladie ou l’arsenal thérapeutique associé aux soins. Les enfants les plus sensibles à ces deux dimensions sont les plus jeunes, qui sont aussi ceux qui ont été exposés de façon répétée à des affections somatiques (contexte de chronicité). La douleur fait toujours référence à l’éprouver d’une personne et est difficilement symbolisable. Il s’agit d’une dimension particulièrement difficile à gérer pour l’enfant et son entourage. En effet, de par sa nature, la douleur met à mal non seulement la capacité à communiquer de celui qui souffre mais également les capacités d’empathie de l’entourage (A. Gauvain-Piquard, 1985).
5.2.2 – Traces laissées par l’hospitalisation
Sensibilité accrue aux angoisses du développement psycho-affectif
À un niveau plus inconscient, il apparaît que, conformément à la théorie, l’hospitalisation semble avoir laissé des traces en terme d’une plus grande sensibilité à l’angoisse de castration et de séparation avec également des angoisses d’anéantissement. On sait en effet que l’exposition aux soins offrant un corps au moins partiellement dénudé à des gestes souvent invasifs, agressifs et douloureux, peut accentuer les fantasmes de castration (D. A. Decelle, 1996). Il en va de même pour l’opération qui, de par sa nature même, est également associée à ce type d’angoisses. Les angoisses de séparation quant à elles sont non seulement en lien avec la séparation du milieu habituel que représente la situation d’hospitalisation mais également avec le moment plus particulier de l’anesthésie (C. Lestang et Cl. Saint-Maurice, 1984). La sensibilité à la séparation est très forte dans notre population. Elle se voit même doublée chez certains d’une angoisse d’anéantissement, pouvant également, selon les auteurs, être provoquée par l’anesthésie chez les enfants plus vulnérables.
Inhibition des mouvements d’autonomisation
Les angoisses de séparation observées chez les enfants semblent venir entraver les mouvements d’autonomisation. Le fait que la séparation d’avec les parents soit source d’angoisse et de culpabilité complique la prise d’autonomie. En effet, tous les enfants rencontrés énoncent plus ou moins distinctement un désir de prise d’autonomie vis-à-vis des parents. L’expression de ce désir s’avère difficile car cela les confronte aux sphères douloureuses de la solitude réveillant des angoisses de séparation et d’abandon en lien avec leur vécu d’hospitalisation. De plus, ce désir est fortement culpabilisé pour certains. Parallèlement, il apparaît chez tous nos sujets une tendance à la régression, réaction fréquente chez l’enfant confronté à l’hospitalisation. Cette régression est amenée par la situation de dépendance-passivité induite par les soins. En effet, la perte de l’autonomie acquise par la maîtrise des fonctions corporelles s’accompagne d’une régression du Moi à des stades antérieurs et passifs du développement, la construction du Moi s’appuyant sur la maîtrise des fonctions corporelles (A. Freud, 1952). La régression permet néanmoins à l’enfant de conserver son énergie et d’obtenir plus d’attention de son environnement. En effet, la régression exprime un besoin d’encouragement et de soutien de l’enfant nécessaires pour retrouver son image de lui-même qui vient d’être menacée (T. B. Brazelton, 1992).
Evitement de l’agressivité
Un autre point commun du vécu des enfants rencontrés est leur sensibilité à la relation agressive, l’agressivité étant soit peu présente, comme c’est le cas en ce qui concerne la rivalité fraternelle qui ne peut être exprimée ; soit bien présente mais ne pouvant être assumée. Il en va ainsi de l’agressivité vis-à-vis des images parentales, exacerbée mais jamais assumée. L’hypothèse peut être émise que l’exacerbation de l’agressivité est en lien avec le fait que pendant l’hospitalisation, l’enfant subit de nombreuses agressions dont il peut rendre les parents responsables. Le fait de ne pouvoir exprimer ce ressenti peut être mis en lien avec l’économie des mouvements conflictuels et d’opposition que l’on sait associée à la situation d’hospitalisation et de maladie (T. Bastin, 2000).
Variabilité des mécanismes de défense
L’analyse du matériel projectif permet de mettre en évidence le mode de fonctionnement des enfants rencontrés. Des différences en terme de gestion des thèmes abordés dans les planches apparaissent, notamment au niveau des mécanismes de défense utilisés. Les types de mécanismes de défenses varient selon l’âge de l’enfant. En effet, les mécanismes utilisés préférentiellement par les enfants les plus jeunes sont de l’ordre de l’évitement et de la mise à distance, l’enfant plus âgé (11 ans) utilise par contre des mécanismes variés lui permettant généralement de s’attribuer les tendances exprimées par l’image.
5.2.3 – Aspects relationnels de l’hospitalisation
Relations avec les parents
En ce qui concerne le déroulement même de l’hospitalisation, la plupart des parents surtout, et plus particulièrement les mères, relèvent l’établissement de relations privilégiées. Cet élément n’est pas retrouvé de façon systématique dans les informations obtenues auprès des enfants, tant à un niveau conscient qu’inconscient. Il s’agit toutefois d’un élément décrit dans la théorie (développement de relations privilégiées avec la mère). En effet, parmi les remaniements apparaissant fréquemment au sein du groupe familial, la dyade mère-enfant malade devient hyperfonctionnelle minimisant le rôle paternel (J. Appelboom-Fondu, 1983). La position de retrait des pères à la question du lien établi pendant l’hospitalisation vient également confirmer cette partie de la théorie. Il est possible que la différence entre les discours des parents et de l’enfant puisse être expliquée par le fait que pour certaines mamans, leur présence constante auprès de l’enfant semble avoir également pour fonction d’apaiser leur propre angoisse. Leurs discours traduisent donc peut-être plus un besoin de leur part.
Relations avec les soignants
Par rapport à l’établissement de relations avec les membres de l’équipe soignante, les éléments obtenus à un niveau inconscient viennent nuancer les réponses uniformément positives se dégageant du discours des enfants. Les membres du personnel soignant les plus souvent mentionnés sont les infirmières. Celles-ci apparaissent le plus à même d’apaiser l’angoisse de l’enfant, « une des tâches principales des soignants » étant « d’empêcher que l’angoisse ne déstabilise l’équilibre affectif de l’enfant et sa famille ». Toutefois, seul un enfant semble se servir explicitement de la relation au personnel soignant afin d’apaiser l’angoisse. Précisons ici que cette même relation aux soignants apparaît plus à même de calmer l’angoisse de l’enfant que celle décrite au niveau des images parentales. En effet, seul un enfant mentionne les réactions des parents comme pouvant diminuer l’angoisse. Quant à l’image du chirurgien retrouvée dans notre population, elle est plus anxiogène que celle décrite dans la littérature où ce personnage est vu comme le “support de ce qui est bon et de ce qui répare”. L’analyse du matériel projectif relatif spécifiquement à l’hospitalisation, met également en évidence des différences entre enfants en terme d’accès à leur vécu interne.
Aménagements relationnels post-hospitalisation
Dans l’après hospitalisation, les changements mentionnés tant par les parents que par les enfants font référence aux bénéfices secondaires attenant au statut de malade (T. Bastin, 2000), le plus souvent en lien avec l’anxiété des parents. Les changements décrits sont toujours mentionnés dans le court terme et aucun de enfants ne fait référence à des aménagements relationnels durables. Un gain faisant suite à l’expérience de l’hospitalisation est décrit chez un enfant, il s’agit d’une prise d’autonomie. L’expérience de l’hospitalisation se révèle donc dans ce cas être une expérience enrichissante pour l’enfant et sa famille, comme cela est décrit par certains auteurs (T. B. Brazelton, 1992).
5.2.4 – Vécu parental de l’hospitalisation
Les éléments apparus comme déterminants dans le vécu parental de l’hospitalisation sont les suivants : le contexte de l’intervention chirurgicale (en urgence ou non), le déroulement de l’opération et l’apparition d’éventuelles complications, la confiance dans l’établissement hospitalier et en la personne du chirurgien spécialiste, un sentiment d’exception relatif à l’état de leur enfant ainsi que la présence d’un soutien familial. Le fait que l’intervention chirurgicale se soit déroulée en urgence ou non s’est révélé être un élément influençant le vécu des parents et non celui de l’enfant. Nous supposions selon la théorie qu’une préparation à l’hospitalisation rendue possible par une intervention programmée se révèlerait facilitateur du vécu de l’hospitalisation chez l’enfant. En effet, la possibilité de préparation à l’hospitalisation est un point dont l’importance est reconnue de longue date (M. Lelong et S. Lebovici, 1955).
5.3 – Relations précoces parents-enfants
Vient ensuite l’analyse des outils nous permettant d’approcher le type de relation antérieure à l’hospitalisation (entretien semi-directif avec les parents et procédure standardisée d’histoire à compléter avec l’enfant). La procédure standardisée d’histoires à compléter, analysée par rapport aux réactions et sentiments attribués aux figurines enfants et parents, met en évidence que la majorité de nos sujets investit de façon différenciée les figures parentales. Aux histoires mettant en scène la demande de réconfort, les enfants peuvent se tourner vers les parents comme source de réconfort. Le fait que les réactions des parents parviennent ou non à apaiser l’enfant semble dépendre du type de détresse suscitée par le scénario mis en scène. Les réactions des parents apaisent la détresse du personnage enfant lorsque l’histoire met en scène une dimension moins archaïque. En rapport avec la situation de séparation et de retrouvailles, la plupart des enfants se montre capable d’évoquer les affects y afférant. Les éléments décrits ci-dessus semblent indiquer l’établissement d’un lien d’attachement sécurisant pour la quasi-totalité des enfants. Les questions posées aux parents se référant aux représentations des relations précoces, nous permettent d’interroger la place prise par les troubles physiques que nous avons constaté être présents dès la période néonatale chez tous les enfants observés. Ainsi, pour un enfant, il semble y avoir un impact des problèmes de santé sur l’investissement de l’enfant par les parents.
6 – Illustration par un cas clinique
A. est un petit garçon de 7 ans et 4 mois qui a été opéré d’une malformation congénitale responsable de nombreux troubles (régurgitations, bronchites asthmatiques) et dont le diagnostic est resté incertain jusqu’au moment de l’opération. En entretien, A. se montre calme et discret. Il répond distinctement à nos questions. Les deux parents sont présents. L’analyse du matériel projectif met en évidence chez lui une forte inhibition de l’agressivité. Cette inhibition de l’agressivité coïncide avec une attitude passive d’A. devant l’hospitalisation. Ajuriaguerra et Marcelli (1984) expliquent qu’une attitude de soumission de l’enfant devant l’hospitalisation doublée d’inhibition est l’expression d’un sentiment de perte lié à la maladie. Nous retrouvons cette sensibilité à la perte chez A. qui fournit souvent aux épreuves projectives des récits incluant la problématique d’abandon et de retrouvailles. Face à son vécu, les mécanismes de défense utilisés par A. sont de l’ordre de l’évitement et n’offrent donc que peu de possibilité de se confronter à son vécu interne. Les mécanismes employés semblent peu opérants car ils n’empêchent pas l’expression d’angoisses massives (angoisse de mort associée à l’opération). Quant aux parents, ils ont une attitude défensive de banalisation vis-à-vis de l’état de leur enfant. La maman exprime beaucoup d’ambivalence et de culpabilité. L’investissement important de l’image paternelle semble réactionnel à un vécu de manque dans la relation à la mère. Nous faisons l’hypothèse que l’expression de l’agressivité ressentie à l’égard des figures parentales lors de l’hospitalisation n’a pas été possible en fonction du type de lien précédemment établi. Il est possible également que la mère envahie par ses propres angoisses et par un vécu de culpabilité important (troubles dus à une malformation congénitale) n’ait pas pu servir “d’écran protecteur” lors de cette expérience.
7 – Conclusion
En conclusion, nous observons tout d’abord que, parmi les multiples dimensions auxquelles confronte l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale lourde, l’enfant va être surtout vulnérable par rapport à celles auxquelles son histoire l’a sensibilisé (par exemple, un enfant sensibilisé, de par son histoire, à la séparation va se montrer plus sensible aux dimensions de séparation impliquées par l’hospitalisation). Nous retrouvons ici l’idée que le vécu de l’hospitalisation de l’enfant est fonction de son histoire et nous rallions plus particulièrement le point de vue d’A. Freud (1952) selon lequel la réalité fait traumatisme quand elle entre en contact avec les fantasmes de l’enfant.
Quelles que soient les dimensions auxquelles ont été sensibles les enfants rencontrés, nous observons des différences dans les possibilités d’élaboration de leur expérience de l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale lourde. Ce que nous observons comme éléments permettant de dépasser l’expérience à laquelle ils ont été confrontés est d’une part la capacité à pouvoir faire un récit cohérent de leur expérience, c’est-à-dire de mobiliser des capacités de mentalisation et de symbolisation et d’autre part l’aptitude à utiliser les ressources relationnelles qui s’offrent à eux, comme par exemple s’appuyer sur le personnel soignant. Les capacités précitées correspondent à ce qui est décrit dans la théorie comme traduisant un lien d’attachement sécurisant. En effet, la construction d’un attachement de type secure participerait selon P. Fonagy (in M. Anaut, 2003) de la capacité de résilience du sujet par le fait d’équiper l’enfant d’un système de traitement de l’information, les Mécanismes Interprétatifs Interpersonnels ou M.I.I. désignant “la capacité d’un individu à se représenter des états internes complexes de soi et des autres, ce qui contribuera à l’établissement de relations interpersonnelles productives”. Cette même capacité renvoie, selon d’autres auteurs, à celle de mentalisation (Cl. de Tychey, 2001).
Un autre élément facilitateur du vécu de l’hospitalisation semble être le fait d’occuper une position active, notamment de revendication. Nos observations vont ici dans le sens de la théorie décrivant les réactions de protestation face à l’hospitalisation comme des réactions saines (T.B. Brazelton, 1992). “Une épreuve dont on sort victorieux est toujours bénéfique à condition d’avoir les moyens appropriés pour s’en sortir et pour s’attribuer en totalité ou en partie la responsabilité de la victoire (…)”. Les deux enfants pour lesquels nous observons un moindre dégagement de cette expérience, utilisent de manière préférentielle des mécanismes d’évitement et de mise à distance, n’offrant que peu la possibilité de se confronter à l’épreuve vécue et d’élaborer leur vécu interne. Ces enfants, chez qui nous observons une certaine difficulté d’élaboration sont aussi ceux qui sont les plus jeunes et qui ont été exposés de façon 3,4,5,6,7
Notes
- De Tychey Cl., “Surmonter l’adversité : les fondements dynamiques de la résilience”, Cahiers de psychologie clinique, 16, 2001, p. 50. La procédure standardisée d’histoire à compléter ici utilisée consiste en une adaptation du test de I. Bretherton, D. Ridgeway et J. Cassidy prévu pour des enfants d’âge préscolaire selon les caractéristiques du test “the Manchester Child Attachment Story Task” destiné aux enfants d’âge scolaire (J. Green, C. Stanley, V. Smith, R. Goldwyn, 2000).
- Delvaux N., Razavi D., Desmarez C., “L’impact psychosocial de la maladie et de la mort de l’enfant : conceptions actuelles” in L’enfant, le maladie et la mort, Ed. Centre d’aide aux mourants, Bruxelles, 1987, p. 61.
- Lestang C. & Saint Maurice CL., “Le vécu de l’anesthésie chez l’enfant”, in Cahiers d’anesthésiologie, Tome 32, n°5, Paris, 1984, p. 395.
- Confrontés à une courte absence de la mère suivie de son retour (paradigme de la situation étrange de M. Ainsworth), les enfants dont le comportement est classé dans la catégorie secure tendent à protester lors de la séparation mais accueillent à son retour la figure d’attachement avec soulagement et recherchent sa proximité pour ensuite retourner explorer le monde extérieur.
- cité par Anaut M., La résilience, surmonter les traumatismes, éd. Nathan, coll. Psychologie 128, 2003, p. 69.
- Bouchart Godard A., “Winnicott. Le pédiatre, le psychanalyste, l’artiste, …, le maternel et l’enfant” in Brun D., Pédiatrie et Psychanalyse, éd. P.A.U., 1993, p. 205.
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