La technique du psychodrame psychanalytique individuel est conçue pour conduire le patient de l’expression des attitudes globales extériorisées dans le jeu à la prise de conscience de l’existence de son monde interne, lieu d’émergence de ses désirs, à la fois point d’origine de ses comportements et attitudes et en même temps distinct d’eux. Toutes les règles techniques sont là pour faciliter cette reconnaissance du primat de la réalité psychique du sujet.
C’est de l’extérieur, au moyen de ce que l’intéressé a fourni de son intériorité, qu’on vise à le faire réintérioriser son “théâtre interne” après qu’il en eut pris connaissance et eut pu en faire et défaire les figures multiples. Les techniques propres au psychodrame : les scènes répétées, les voix off en commentaire, le double et la situation de spectateur proposée au patient, permettent ce travail. Au regard de l’analyse, cette représentation au-dehors des fantasmes exprimés par les patients, que souvent même on devance en les leur prêtant, offre une variante tout à fait considérable puisqu’elle propose un chemin inverse à celui qui, dans la cure classique, est constamment utilisé. Cependant, cette diversité de moyens vise une même fin qui est la confrontation du sujet avec ses productions fantasmatiques dont il pourrait se reconnaître l’auteur. Elle est en effet une condition sine qua non pour que l’interprétation fasse sens et acquiert éventuellement une “valeur mutative”.
Ce qui change donc c’est la façon dont les outils fondamentaux de la démarche psychanalytique sont mis en œuvre. Cette mise en œuvre propre au psychodrame peut être vue comme un renforcement de l’étayage des processus psychiques par le cadre. Ce renforcement repose essentiellement à notre avis sur deux ordres de données qui se soutiennent et se complètent l’une l’autre : une aide aux processus de figuration et par là même de liaison ; et un renforcement des facteurs de différenciation.
Ces deux ordres de données sont rendus possibles par le recours très particulier aux stimulations perceptivo-motrices que permet le psychodrame et par la gestion, elle aussi spécifique, de l’économie des investissements transférentiels qu’il autorise. Dans les deux cas il s’agit de l’inclusion dans le cadre du processus psychothérapique d’éléments qui sont habituellement utilisés comme défense par les patients : le contre-investissement du monde interne et des processus psychiques par le surinvestissement de la réalité externe et des données perceptives sur un mode de type “opératoire”, pour reprendre la terminologie des psychosomaticiens ; la défense par la latéralisation du transfert et les acting out transférentiels. Défenses qui sont souvent mises en place pour se protéger de la régression. En cela le psychodrame psychanalytique apparaît comme une réponse particulièrement bien adaptée à la difficile question de la place de la régression dans les cas difficiles et à certains âges comme l’adolescence. Il n’est pas de traitement psychanalytique et de transfert sans que la régression ne soit sollicitée et en même temps on connaît ses dangers et le risque de ne plus pouvoir la contrôler avec certaines organisations et à certaines étapes de la vie.
L’aide aux processus de figuration est la conséquence directe de la mise en place du cadre psychodramatique et ce à toutes les étapes du psychodrame : aide par le meneur de jeu à l’expression et à la formalisation des scènes proposées par le patient ; intervention des co-thérapeutes dans le jeu qui, comme nous l’avons déjà signalé, est susceptible de se faire selon une multitude de choix et donc permet de représenter toutes les modalités d’expression de l’appareil psychique : fantasmes inconscients ou préconscients, pulsions, instances psychiques…; interruption de la scène par le meneur de jeu et travail éventuel d’interprétation ou simplement d’explicitation et de commentaires.
Le psychodrame soutient et renforce les facteurs de différencation. Il le fait déjà grâce aux moyens de figuration et de décondensation qui viennent d’être envisagés. Mais il le fait également par le soutien du monde perceptivo-moteur qu’il propose d’emblée au patient et qui est celui du cadre psychodramatique proprement dit. En cela il prend le contrepied de la cure classique et se rapproche de la psychothérapie, en face à face. Il en rajoute même par rapport à cette dernière puisqu’il multiplie les thérapeutes et propose un recours à la motricité. A la limite il peut aller jusqu’à suppléer la verbalisation du patient, au moins pour un temps puisque les co-thérapeutes s’expriment toujours pour une part à la place du patient, pouvant le faire complètement en le doublant et qu’il peut arriver que devant le blocage du patient le meneur propose une scène à sa place.
Simultanément les limites sont constamment soutenues par ce recours à la réalité externe : limites entre soi et autrui, entre monde interne et externe, mais aussi soutien par l’espace du jeu psychodramatique de l’espace intra-psychique virtuel et des limites fictives entre les instances intra-psychiques. Le jeu psychodramatique en vient ainsi à figurer analogique-ment l’espace intra-psychique et ses composantes virtuelles : Imagos paternelle et maternelle, Sur-Moi, Ça et Moi avec leurs différentes composantes sont supportés concrètement par les différents intervenants. Il n’est pas jusqu’à l’ambivalence des sentiments qui ne puisse être matérialisée par tel ou tel acteur du jeu, tandis que le patient est potentiellement protégé de la massivité du transfert avec son caractère condensant et dédifférenciant, rendant par là même l’investissement dangereux pour l’autonomie narcissique, par sa dilution sur plusieurs participants et par sa médiatisation par la présence de tiers.
Les indications découlent de ce qui fait la spécificité du psychodrame. C’est dire qu’elles reposent plus sur les particularités du fonctionnement mental du patient que sur les divisions nosographiques. Ces particularités sont celles que ces caractéristiques spécifiques du psychodrame sont susceptibles de mobiliser. Il s’agira donc essentiellement d’entraves importantes au jeu psychique : inhibitions massives, ou au contraire un discours trop facile, loin des affects, à but défensif ou en faux self ; déni ou phobie de la vie psychique interne et des émotions qui s’y rattachent ; prévalence des conduites agies ou des plaintes et expressions symptomatiques corporelles ; mais aussi des cas plus classiques mais dont on pense, et que parfois une première expérience a confirmé, qu’ils auront du mal à supporter la pression à investir et à s’exprimer qu’induit la relation duelle. On peut y ajouter les cas où on sent à la fois la nécessité d’une mobilisation importante du patient mais pour lesquels on craint en même temps les effets délétères d’une régression mal contrôlée.
Cette prévalence des conditions du fonctionnement mental dans les indications fait que l’adolescence est une période où les indications de psychodrame sont particulièrement intéressantes, point que nous avons déjà développé antérieurement et que d’autre part ces indications peuvent recouvrir l’ensemble du champ nosographique. Précisons que plus encore peut-être que dans la relation duelle les affinités des thérapeutes et leurs contre-attitudes à l’égard de certaines catégories de patients ainsi que leur capacité de contenance, d’empathie, de trouver les mots et les attitudes à la fois justes mais qui sachent surprendre les patients tiennent un grand rôle dans la pertinence des indications. Il n’est guère que les troubles majeurs de l’humeur qui constituent, au moins temporairement, une contre-indication.
Ajoutons également que le psychodrame psychanalytique individuel peut être utilisé sur quelques séances pour sensibiliser un patient à sa vie psychique et aider à poser une indication de psychothérapie quelque puisse être la forme future de celle-ci, ou pour relancer une psychothérapie voire une psychanalyse qui s’enlise, en général en raison d’un transfert devenu inanalysable dans le cadre habituel, et ce de préférence en présence du thérapeute qui assiste mais ne joue pas.