Une séance saisissante :
« Il s’en est fallu de quelques degrés » me dit une jeune femme que je reçois pour la première fois juste à mon retour de vacances d’été. Carla n’explique pas le sens de ces « quelques degrés » mais elle vient me voir pour parler de ce qu’elle a vécu ce 14 juillet 2016 à Nice. Ce n’est pourtant pas ce qu’elle fait lors de cette première rencontre. D’emblée, elle déclare qu’on ne devrait pouvoir mourir que de trois façons : d’une maladie, dans son lit ou d’un accident de voiture, mais pas parce que « quelqu’un a voulu tuer pour de bon », dit-elle, comme pour se prouver qu’il ne s’agit pas d’un jeu d’enfant à se faire peur. Elle a tout vu... et je comprends que les quelques degrés dont elle parle, ce sont ceux du rayon de braquage du camion qui fauchait les passants fuyant vers les trottoirs. Ses amis et elle avaient décidé de rester au milieu de la rue. Carla parle en enchaînant les associations, sans s’arrêter, comme si elle courrait encore dans la nuit noire de ce 14 juillet, elle parle sans essoufflement dans son débit ni de rupture dans son rythme. Ses associations me donnent une impression bizarre, allant dans tous les sens, en zigzag, comme le camion tueur. Elle est professeur dans un lycée de la « zone » et parle de « violence symbolique et permanente dans les programmes scolaires ».
D’ailleurs, après les attentats du 13 novembre, elle n’a pas voulu participer aux exercices de confinement et n’a pas voulu en parler avec ses élèves. Pas question de faire une minute de silence dans sa classe, d’ailleurs elle ne le peut pas : elle a souvent l’impression de faire cours à des « apprentis…