Le préconscient : entre utilité clinique et potentiel transformatif
Article

Le préconscient : entre utilité clinique et potentiel transformatif

En partant de la Conférence d’Introduction à la Psychanalyse donnée le 9 septembre par Clarisse Baruch, Présidente de la Société Psychanalytique de Paris, Marie-Laure Léandri revient sur une notion importante : le préconscient.

FREUD, LE TEMPS ET LE PRÉCONSCIENT

Ce que Freud postule, c’est que les processus inconscients sont intemporels. C’est sa célèbre phrase : « L’inconscient ne connaît pas la temporalité ». Depuis l’Esquisse, il met en opposition la représentation du temps, qui relève des processus conscients, et l’intemporalité des processus inconscients. Retenons ce qu’il écrit dans Métapsychologie (1915) : « Les processus du système inconscients sont intemporels, c’est à dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps ». Le rêve, voie royale de la connaissance de l’inconscient, souscrit pleinement à cette logique d’insoumission à la temporalité. Clarisse Baruch dans sa conférence cite cette très belle phrase de J.-B. Pontalis : « Le rêve, tout à la fois régresse vers l’amont et galope vers l’aval. Il mêle les temps ; les parcourt en tous sens, fait advenir des simultanéités étranges, coexister des rythmes différents – il procède en accéléré ou dans un ralenti qui peut glacer ».

Un temps de la conscience très différent de l’intemporalité des processus inconscients, oui mais…qu’en est-il de la mémoire ? Pour qu’il y ait mémoire, il faut bien qu’il y ait une chronologie, c’est-à-dire au moins un « avant » et un « MLL1  » ? Alors la mémoire relève t-elle du conscient ou de l’inconscient ? Ici c’est le Freud du Bloc-notes magique (1925) que nous allons lire. Dans ce petit texte Freud s’interroge sur les lieux d’inscription durables des éléments de nos vies et revient ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’ « ardoise magique ». Par ce terme, il décrit d’une part une sorte d’impression des perceptions par le système Pc-Cs (perception-conscience) qui ne garde pas de trace durable de ces impressions – ce serait la feuille recouvrante du bloc-notes magique – et d’autre part la conservation des traces durables, donc ce qui fonde les souvenirs, inscrites en quelque sorte sur le tableau de cire qui se trouve derrière, assimilé à l’inconscient. Mais, si cet inconscient « n’a aucune relation avec le temps » comme le postule Freud dans la Métapsychologie, comment peut-il alors être le lieu d’inscription des traces mnésiques, puisqu’il y a bien une relation entre mémoire et temps ?

Pour Clarisse Baruch, qui procède dans sa recherche comme un vrai enquêteur, c’est bien là que le préconscient occupe une fonction majeure : on lui doit probablement les processus de stockage de la mémoire, ainsi que la construction temporelle.

Le préconscient freudien est nettement différencié de l’inconscient, ses contenus – séparés de l’inconscient par une censure- restent relativement accessibles à la conscience. Le passage d’un contenu du préconscient au conscient est soumis à une « seconde censure », différente de nature de celle entre l’inconscient et le préconscient.

DE L’UTILITÉ FONCTIONNELLE DU PRÉCONSCIENT

Les psychosomaticiens de l’École de Psychosomatique de Paris ont beaucoup travaillé à cette notion de préconscient et souligné son intérêt clinique. Ainsi Pierre Marty s’est-il centré sur ce qu’il a appelé les lacunes fondamentales et les lacunes secondaires du préconscient : ce qu’il veut désigner, ce sont les insuffisances en quantité et en qualité des représentations psychiques, leur insuffisance de connotation affective et un dysfonctionnement du refoulement qui mène à un système plus pauvre : celui de la répression, à la place du refoulement donc. L’insuffisance de connotation affective est fondamentale, et sans doute comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nombre de psychologues, même à leur insu, travaillent à requalifier affectivement les représentations de leurs patients. MLL2  comme on ne peut pas compartimenter à l’infini nos vies psychiques, les altérations du préconscient ne peuvent s’isoler, elles témoignent de dysfonctionnements globaux.

Pierre Marty, fondateur de l’Ecole de Psychosomatique de Paris, parle « d’épaissir » le préconscient. Il décrit une double stratification du préconscient : topique comme chronologique, et les lacunes du préconscient qu’il postule concernent des patients confrontés à une insuffisance des représentations psychiques et à un manque de connotation affective de celles qui existent. Marty accorde une place fondamentale au concept de fonctionnement opératoire.

LE PRÉCONSCIENT, LES ADOLESCENTS

Plusieurs psychanalystes centrent la théorisation de leur clinique avec les adolescents autour de la fonction du préconscient. Pour eux, le préconscient semble de façon privilégiée réguler l’économie psychique de leurs patients dans ce moment entre crise et rupture qui caractérise l’adolescence. Dans ce moment de fragilité particulière, l’activité du préconscient est fondamentale : ce préconscient agit comme un sas entre les représentations inconscientes et conscientes, mais aussi comme un lieu de transformation qualitative des représentations inconciliables avec le surmoi. Laplanche et Pontalis écrivent ainsi dans leur Vocabulaire de la Psychanalyse : « Freud soumet le passage du préconscient au conscient à l’action d’une seconde censure ; mais celle-ci se différencie de la censure proprement dite (entre Ics et Pcs) en ce qu’elle déforme moins qu’elle ne sélectionne, sa fonction consistant essentiellement à éviter la venue à la conscience de préoccupations perturbantes. Elle favorise ainsi l’exercice de l’attention ». Mickael Benyamin, dans son livre Le travail du préconscient à l’épreuve de l’adolescence (PUF, Fil Rouge, 2013) est très précis : « Nous soutenons l’idée que la fin du travail de l’adolescence peut se penser quand le travail du préconscient est pleinement à l’œuvre. Les excitations venues de l’intérieur n’ont plus d’effet traumatique. »

Pour Raymond Cahn, repris par Mickael Benyamin, le préconscient est un agent de la subjectivation, au même titre que l’analyste. Ainsi est-on parfois amené en clinique adolescente à parler de l’analyse comme d’un « préconscient auxiliaire » du patient.

UNE EXPÉRIENCE CLINIQUE SINGULIÈRE : « JE SUIS REVENU À MOI-MÊME ! »

Si Clarisse Baruch a proposé lors de sa Conférence d’Introduction à la Psychanalyse de chercher …le lieu du temps, c’est qu’elle partait d’une expérience clinique très précise : celle de personnes qui, après une commotion cérébrale, témoignent d’un moment tout à fait particulier et passionnant que l’on peut s’essayer de décrire ainsi : quelque temps après leur accident, tout d’un coup, quelque chose s’est passé pour elles, étonnant, bizarre et fort : le temps s’est remis à couler ! Ils décrivent une sorte de reconnexion à eux-mêmes, un sentiment de vie tout d’un coup retrouvé et surtout, tout d’un coup à nouveau inscrit dans le temps, dans une vraie temporalité, où passé, présent et avenir se conjuguent à nouveau, ont à nouveau un sens. C’est depuis cette expérience que Clarisse Baruch a conduit ses recherches qui l’ont amenée à préciser le préconscient comme lieu de cette resynchronisation du moi, de la mémoire et du temps.

La prochaine conférence « Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent » aura lieu le 17 novembre 2021

Pour aller plus loin

Pierre Marty, Michel de M’Uzan, La pensée opératoire, In Revue française de psychanalyse, Vol 84, n°5, pp 1263-1278, 2020

Gérard Szwec, Félicie Nayrou, La psychosomatique, PUF, Coll. Débats en psychanalyse, 2017

Pierre Marty, Michel de M’Uzan, Christian David, L’investigation psychosomatique, PUF, Coll. Quadrige, 2015

Mickael Benyamin, Le travail du préconscient à l’épreuve de l’adolescence, PUF, Coll. Le Fil Rouge, 2013

Sigmund Freud, Bloc Note magique, in “Huit études sur la mémoire et ses troubles“, S. Freud, Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 1925