Lévi-Strauss, Lacan, Foucault, Althusser, ceux qu’il était convenu de surnommer les « 4 mousquetaires » du structuralisme, ont régné sur la vie intellectuelle française dans les années 1960-1970. L’influence des trois premiers ne s’est pas démentie, toujours aussi lus et commentés, le quatrième est tombé dans un quasi-oubli. Comme si son « imposture », qu’il craignait tant de voir révélée au grand jour, avait fini par l’emporter. Avec l’impitoyable autodérision qui le caractérisait, Althusser disait : « Je suis connu pour ma célébrité. » Reste un livre, de loin le plus lu : L’avenir dure longtemps 1, à la fois un grand livre autobiographique, la fresque d’une époque et un témoignage sur la mélancolie. Pas la douce mélancolie, la mélancolie profonde et dangereuse, celle qui côtoie la mort et finit par s’y livrer. Si Althusser est demeuré célèbre, ce n’est pas pour avoir écrit Pour Marx, que tous les adolescents gauchistes de Mai 68, moi le premier, connaissaient par cœur avant de tout en oublier, mais pour avoir assassiné sa femme une nuit de novembre 1980.
Il étrangle la femme de sa vie. Il n’en a pas connu d’autres, ou si peu. Il a 30 ans quand il l’embrasse et couche avec elle. C’est son premier baiser donné à une femme et son premier acte sexuel. La scène le plonge dans un abîme d’angoisse, la « peur de mourir avant l’éjection », et entraîne sa première hospitalisation en psychiatrie à Sainte-Anne. Pierre Mâle conclut à la démence précoce, Ajuriaguerra corrige le diagnostic en mélancolie, électrochocs à l’appui. Parce que l’humour ne lui a jamais fait défaut, même dans les pires moments, Althusser avait surnommé « Staline » le bourreau moustachu chargé de l’électricité.
Les dépressions profondes avec hospitalisation jalonnent la vie d’Althusser, sans avoir jamais véritablement entamé sa…