Tout spécialiste de la psyché s’intéresse aux querelles de famille. Qui est malade, de quel trauma, et quel fantasme organise les troubles en une quasi structure pathologique, au-delà du défaut constitutionnel ? Que penser toutefois lorsque la société elle-même semble en proie à des troubles qui n’épargnent personne ? Dans chaque famille, les pour et les contre s’affrontent, chacun y va de son cliché : la mondialisation menace notre sécurité, nos acquis sociaux ; la liberté d’entreprendre est freinée par la bureaucratie de nos dirigeants qui ne nous écoutent pas ; notre écosystème est en danger, mère nature est la cible d’odieux prédateurs qui ne songent qu’à la souiller ; l’invasion d’autres cultures menace notre identité.
Certes, notre ère de la communication est aussi une ère de solitude ; les familles s’y disloquent, délaissant leurs « vieux » et faisant naître la nostalgie des petits groupes, des communautés et des sectes soudées par une même foi. Alors assiste-t-on, sous d’autres formes que celles du passé, à un retour des idéologies ? La psychiatrie peut-elle y faire quelque chose ? C’est hélas improbable, vu les moyens alloués à une activité peu médiatique. La psychanalyse alors ? Sous réserve de ne pas se laisser corrompre par l’idéologie des médias, peut-elle déceler les fantômes des structures familiales d’antan, et de l’Oedipe tranquille qu’elles assuraient ? Par un retour de balancier, les fantasmes originaires alimentent en effet de nouvelles idéologies, sur les ruines de notre belle famille européenne, où papa Freud et maman Klein régnaient en maîtres incontestés. L’analyste saura-t-il analyser les nouveaux malaises dans la civilisation, les idéologies faisant le lit des guerres du futur, avant qu’elles ne se transforment en « psychose de haine et de destruction » (Einstein/Freud, 1932) ?