En partant de la Conférence d’Introduction à la Psychanalyse de Bernard Golse et Sylvain Missonnier pour la Société Psychanalytique de Paris, sur le fœtus/bébé au regard de la psychanalyse, nous découvrons une pensée psychanalytique de la clinique périnatale.
D’emblée, Bernard Golse et Sylvain Missonnier nous proposent de réfléchir à la construction d’une métapsychologie périnatale qui n’impose aucun renoncement théorique par rapport au corpus freudien. Tous deux psychanalystes auprès d’enfants et de leurs familles, ils possèdent une longue expérience de consultations en périnatalité. En appui sur des maîtres prestigieux comme Serge Lebovici et Michel Soulé, ils développent aujourd’hui d’importantes avancées théoriques en matière de clinique pré et périnatale tout en les inscrivant dans la continuité de la pensée freudienne.
DEPUIS FREUD
Ils rappellent que Freud (1926), dans Inhibition, symptôme et angoisse, avait tout d’abord été séduit par l’hypothèse d’Otto Rank qui postulait que l’angoisse s’originait dans le traumatisme de la naissance. Mais par la suite, Freud est revenu sur sa position et a présenté la césure de la naissance comme beaucoup plus progressive que suggéré par Rank. La recherche de B. Golse et S. Missonnier s’inscrit dans le désir d’éclairer ce qui se tisse dans la période prénatale et permet justement une continuité entre l’avant et l’après de cette césure. Ils tentent d’élaborer pour ce faire, une continuité métapsychologique entre les premières inscriptions sensorielles et la topique d’un appareil psychique en cours de différenciation.
UN APRES-COUP DU TRAUMATISME PRENATAL ?
Grâce au petit Auguste, « auteur-compositeur » d’une histoire clinique présentée par S. Missonnier, ils nous invitent à considérer l’importance du vécu prénatal dans la compréhension d’une symptomatologie anxieuse, essentiellement caractérisée par des terreurs nocturnes. Auguste est membre d’une fratrie de triplés. La grossesse s’est déroulée dans le cadre d’une procréation médicalement assistée. Au détour des consultations thérapeutiques, il s’avère qu’à l’origine, 4 embryons s’étaient formés et qu’il avait fallu procéder à une réduction embryonnaire pour donner plus de chances à la grossesse. Alors que ce geste avait été largement banalisé, la culpabilité et la dépression maternelles viennent se mêler à la conversation lors des consultations. Les troubles du sommeil cèderont au fur et à mesure que la famille pourra élaborer cette perte et organiser peu à peu un deuil qui avait à peine été esquissé.
S. Missonnier et B. Golse s’interrogent sur la part des traces laissées chez l’enfant par la transmission intergénérationnelle des représentations parentales, explicites et implicites, et sur la part des traces sensorielles engrammées par Auguste pendant sa vie intra-utérine. Quel investissement un fœtus pourrait-il faire d’une présence qui disparaît ? On peut bien sûr interroger également la rencontre malencontreuse de la réalité de la réduction embryonnaire et de fantasmes fratricides ou infanticides. Ce télescopage amplifiant l’angoisse de castration du petit garçon œdipien qu’est devenu Auguste. C’est ainsi que les auteurs théorisent un après-coup du traumatisme prénatal. Après la naissance, Auguste rencontre la culpabilité et la dépression maternelles qui résonnent avec son propre développement psychique et tous les événements contingents de ses 6 premières années. En ce sens, l’intérêt pour la vie intra-utérine n’oblige à aucun renoncement métapsychologique. Cet « hyperprécoce » des premières traces sensorielles est appelé à servir de terreau aux fantasmes nécessaires à l’organisation de la vie psychique.
QUELLE TOPIQUE A L’AUBE DE LA VIE PSYCHIQUE ?
Cependant, la question topique est fondamentalement intrapsychique. Comment la penser avec un bébé dont l’intrapsychique commence à peine à se construire ? La réflexion peut être facilitée si l’on envisage les tout débuts des différenciations. Les bébés doivent mettre en place leurs enveloppes, leurs liens avec l’extérieur, leurs objets. Pourrait-on imaginer qu’Auguste ait formé une représentation de liens in utero ? La réponse nécessiterait de décondenser le concept de relation d’objet, trop global. Les auteurs proposent de distinguer :
– La représentation de la place de l’objet
– La représentation des liens à l’objet
– La représentation de l’objet
La dernière ne s’élabore qu’en postnatal puisqu’avant, le fœtus est inclus dans l’objet. Il n’a donc pas la possibilité de se le représenter. Pourtant, des auteurs comme Suzanne Maiello ont proposé l’hypothèse des prémices prénatales de l’objet. Elle avance l’idée d’un proto-objet sonore, encore objet-soi du fait de la perception continue par le fœtus de la rythmicité des bruits physiologiques du corps de sa mère. Le fœtus perçoit aussi la voix de sa mère. Du fait de sa discontinuité, cette voix pourrait déjà évoquer l’altérité d’un objet-non-soi. Mais dans la mesure où une grande partie de la sensorialité est fonctionnelle bien avant la naissance, pourquoi ne pas imaginer aussi un proto-objet tactile ou un proto-objet gustatif ? Hypothèses plausibles, surtout depuis que l’échographie a permis de voir le fœtus jouer avec le cordon, répondre à une pression ou déglutir le liquide amniotique parfumé par l’alimentation maternelle. Seulement, l’intégration de ces amorces en un objet complexe ne se réalisera qu’après la naissance.
En ce qui concerne les deux premières, la représentation de la place de l’objet et celle des liens à l’objet, il est possible qu’elles s’initient dès la vie intra-utérine. La représentation de la place de l’objet rejoint ce que Bion a théorisé comme préconception ou proto-représentation. Il disait que « le bébé cherche le sein là où il a coutume d’être », manifestant ainsi une sorte d’intuition d’un parent, autre secourable pour l’être néotène qu’il est. Quant à la représentation des liens à l’objet, elle pourrait rejoindre ce que Lebovici désignait en proposant que « l’objet est investi avant d’être perçu ». Il s’agirait d’un mouvement vital vers l’extérieur avant même l’installation de l’intersubjectivité. Le bébé investit avant que l’objet soit perçu dans son extériorité, les signes d’accordage affectif, d’attachement. Ce qui revient à se pencher sur la symbolisation en présence de l’objet, symbolisation qui repose sur l’investissement des interactions.
DU LIEN INTRANSITIF A L’INTERSUBJECTIVITE
B. Golse et S. Missonnier s’interrogent sur la possibilité de tels investissements pendant la grossesse. Ils plaident pour une topique du lien, qui permettrait de prendre en compte ces précurseurs de la relation d’objet. Un lien intransitif1, présent et investi avant l’objet. Etant donné qu’il s’agit de représentations (celles de la place de l’objet et des liens), il est déjà question d’intrapsychique donc de métapsychologie. Cette réflexion s’étaye sur la demande intransitive des bébés mais aussi sur celle des enfants autistes en thérapie. Une demande qui ne s’adresse pas encore à l’objet-thérapeute que nous sommes ce qui n’est d’ailleurs pas sans atteindre notre narcissisme. Dans les thérapies parents-bébés, une partie du thérapeute doit accepter de se « désobjectaliser » pour incarner un dehors qui renvoie le mouvement pulsionnel, un point de rebond. C’est d’ailleurs ce que font naturellement les mères dans leur fonction d’« object presenting » comme le décrit Winnicott. Parmi les objets du monde qu’elles présentent à leur bébé, elles se présentent elles-mêmes progressivement, se révèlent en douceur, sans intrusion en assurant un point de retour tout en s’effaçant partiellement.
Note
1 Intransitif : en grammaire, se dit d’un verbe qui n’admet pas de complément d’objet
Pour aller plus loin :
Brusset B. (2005) Psychanalyse du lien, Paris, PUF
Maiello S. « À l’aube de la vie psychique. Réflexions autour de l’objet sonore et de la dimension spatio-temporelle de la vie prénatale », Joyce Aïn éd., Réminiscences. Érès, 2010, pp. 103-116.
Golse B., Missonnier S. Plaidoyer pour une troisième topique. Une représentation intrapsychique du lien intersubjectif avant même la découverte de l’objet In Analysis (2020)
Golse B. Roussillon R. (2010) La naissance de l’objet, PUF
Missonnier S., Golse B. (2021) Le fœtus/bébé au regard de la psychanalyse, vers une métapsychologie périnatale, PUF