Chez une femme enceinte en situation de migration, la vulnérabilité liée à la grossesse est potentialisée par la vulnérabilité liée à l’exil avec tous ses bouleversements. La survenue de la perte du fœtus dans ce contexte, place la mère dans une situation hors de tout repère. A l’entre-deux culturel de la migration, entre le pays d’accueil et le pays d’origine, se confronte un autre entre-deux qu’est le deuil prénatal, survenue de la mort lors du surgissement de la vie, qui nous situe selon certaines représentations entre le monde des vivants et le monde des esprits… Si la grossesse est considérée comme une « crise existentielle », et la perte d’un bébé comme « une crise dans une crise » (Leon, 1990), que peut-on alors dire de la perte d’un bébé chez une mère migrante ?
En psychiatrie de liaison en maternité, il nous a semblé, de façon empirique, que l’intervention des équipes de psychiatrie était plus souvent nécessaire pour des mères venant d’ailleurs. Leurs histoires de migration entraînaient un isolement et des vécus différents de ce que nous pouvions observer habituellement. Un questionnement est né sur nos façons d’aborder ces mamans qui traversent une situation de crise, et sur l’adéquation des soins que nous leur proposons par rapport à leurs besoins. La limite est parfois délicate concernant la justesse de nos réponses dans ces situations, et dans certains cas, ce qui guide nos manières d’agir est de ne pas rajouter du traumatisme au traumatisme existant.
Ainsi nous avons tenté de mieux comprendre ce qui se joue pour ces mères venues d’ailleurs qui perdent leur bébé, afin de les accompagner au mieux dans leur processus de deuil. Nous développerons sur un plan théorique une mise en lien entre les modélisations théoriques occidentales du deuil prénatal et les problématiques de migration et de tranculturalité. Nous présenterons dans une deuxième partie les perspectives que cela implique pour les équipes de soins.
Lecture transculturelle à multiples facettes du deuil prénatal
Plus que la perte de leur enfant, le deuil périnatal implique chez les parents des remaniements plus complexes quant à leur amour-propre, leurs objectifs développementaux, et leur capacité à se confronter aux conflits antérieurs. I.G. Leon a proposé une compréhension complète de la mort périnatale ancrée dans le cadre théorique de la grossesse dans un modèle multidimensionnel à quatre facettes (Irving G. Leon, 1996). Afin de faire le lien entre ces modélisations théoriques du deuil prénatal et les problématiques liées à la migration, nous nous appuierons sur cette conceptualisation du deuil périnatal d’I.G. Leon pour rendre la lecture transculturelle du deuil prénatal chez les mères migrantes plus aisée.
Le deuil prénatal comme obstacle au développement
D’un point de vue développemental, la grossesse est le passage du statut de femme au statut de mère, s’inscrivant donc dans un important processus de maturation psychique (Deutsch, 1944), (Benedek, 1959). Cette phase de développement émerge du croisement de la maturation intrapsychique et de la maturation sociale (Erikson, 1980). Dans la perspective de la grossesse comme passage à une nouvelle phase de développement qu’est la condition de parent, la mort prénatale représente un obstacle au développement en perturbant une étape importante. La part sociétale, et donc culturelle, de ce passage au statut de parents est ébranlée par la perte foetale, ainsi que la (re)construction d’un système familial parfois fragilisé du fait de la migration.
Obstacle à la reconstruction du système familial dans un contexte de migration
Lorsqu’une personne émigre, la migration l’oblige à réécrire la trame de son histoire à partir d’un nouveau système de sens et de références. Mais la perte de l’étayage familial, social et culturel, a pour conséquences une solitude et un isolement compliquant la construction de nouvelles représentations et de compromis entre les deux cultures. L’immigrant a besoin d’être en relation avec son passé et, en même temps, de s’en échapper afin de donner un nouveau sens à sa vie (Gouvernement du Quebec, 2007). Le projet d’enfant et la grossesse s’intègrent dans cette grande ambivalence liée au double investissement qu’impose la migration. Ce contexte d’ambivalence et de solitude est compliqué par le caractère traumatique de la migration. Sans être pathogène par elle même, la migration, par la perte de repères qu’elle induit et l’énergie psychique et physique qu’elle demande, contraint donc à des réaménagements et est source de fragilité. Parfois, si le projet de migration échappe à la volonté des femmes, elles pourront s’investir dans un autre type de projet d’où pourra émerger leurs aspirations secrètes et profondes : le projet d’enfant (O. Reveyrand-Coulon, 1993). Si la migration est considérée comme une rupture dans la vie d’une femme, la maternité peut constituer un repère et l’enfant devenir le projet de son existence en France. L’enfant est donc surinvesti d’un rôle fort, et la fragilisation potentielle autour de la naissance est d’autant plus importante. Dans ce contexte, l’ambivalence qui peut exister autour du fœtus nous semble parfois peu accessible.
Obstacle à l’accès au statut de parent
Dans certaines cultures, comme à Taïwan et en Inde, les représentations de la femme et de son rôle social semblent au premier plan lors d’un deuil prénatal. L’obstacle développemental, empêchant l’accès au statut de parent, est alors l’obstacle principal. La perte de l’enfant est synonyme de honte. Par exemple, dans le système de valeur des chinois Hans à Taïwan, où la mort est un sujet tabou, donner un descendant est la clé de voute de la réalité des femmes. Un enfant qui n’est pas encore né ou qui n’est pas né vivant n’est pas reconnu comme un enfant réel. Une fausse-couche est vécue par ces femmes comme une perte de contrôle, un sentiment d’anéantissement personnel, un sentiment d’échec dans leur identité maternelle et dans le rôle culturel de la femme (Hsu et al., 2004). En Inde, la détresse liée à la perte périnatale résulte du fait que l’on est perçu par la famille comme un échec, comme ne pouvant pas produire de progéniture (Mammen, 2013).
Le deuil prénatal comme perte d’objet
Au fil de la grossesse, le bébé est progressivement perçu par la mère comme une personne spécifique. La mort prénatale est alors conçue comme une perte d’objet, mettant en évidence l’importance du deuil. Les représentations du fœtus et de sa perte, influencées par la culture, jouent un rôle majeur dans la perception et la mise en sens de la mort prénatale. Le modèle de la perte d’objet souligne aussi la nécessité de prendre en compte la douleur non résolue associée à des deuils précédents. La succession de pertes liées à la migration peut amplifier la douleur liée au deuil actuel.
Perceptions du fœtus et de sa perte selon les cultures
La construction de sens autours du deuil prénatal passe inéluctablement par les représentations que se font les parents de leur fœtus. Le fœtus peut être le prolongement narcissique des parents, un individu objectalisé ou encore un matériel peu humanisé. À propos des interruptions de grossesse, Golse évoque la situation contradictoire entre l’intense investissement psychique du fœtus pendant la grossesse et l’immédiat désinvestissement dont il semble pouvoir faire l’objet lors de l’annonce d’une anomalie fœtale (Golse, 2002). La question de la représentation du fœtus pour les parents est ainsi posée (fœtus monstrueux, sorte de souillure interne renforçant le sentiment d’inquiétante étrangeté, désinvestissement du fœtus réel ou du fœtus imaginaire ?, statut narcissique du fœtus rejeté ?). Il semble que le statut du fœtus est en lui même porteur de risque, ce qui donne toute l’importance aux représentations du fœtus en fonction des cultures. Un certain nombre d’auteurs se sont penchés sur la question des représentations du bébé et de l’enfant, Mead en fut la pionnière, influençant Devereux, suivi par Moro qui proposa le concept de « berceau culturel », selon lequel les représentations culturelles sont une sorte d’image dans laquelle l’enfant viendra se nicher. Les représentations du bébé sont bien renseignées dans la littérature, mais il en est tout autre pour les représentations du bébé avant sa naissance. L’image du fœtus reste mystérieuse et teintée d’étrangeté, d’un certain mysticisme. Les représentations du fœtus peuvent être envisagées à partir des croyances autour du bébé, les croyances religieuses ou traditionnelles projetant chacune sur le fœtus, leurs théorisations sur l’origine de la vie.
Les théories étiologiques sont d’abord des processus constituées d’un ensemble organisé d’hypothèses qui ne sont pas la propriété de l’individu mais qu’il s’attribue à un moment de sa vie quand il en a besoin (Baubet and Moro, 2000). Ainsi, lors de la perte d’un fœtus, ces théories sont plus à même de remonter à la surface et d’être signifiantes pour les parents. De plus, en situation d’exil, les lignées ne sont pas reliées mais mises en antagonisme (Douville, 2010). A ce moment-là, les croyances traditionnelles sont mises en exergue. En anthropologie de la naissance, il existe de nombreux travaux qui nous rappellent que les nouveau-nés connaissent une imprécision de leur statut d’humain tant qu’ils n’étaient pas baptisés ou intégrés par un ensemble d’actes rituels à un cosmos, un territoire, une lignée (Le Grand-Sébille, 2001). La naissance sociale modifie le sens attribué au décès et le destin des morts dans l’Au-delà. La question de l’ancrage spatial incertain de ces morts renvoie « au monde des esprits, des ancêtres, aux limbes, au motif de l’errance, au vol des anges » (Le Grand-Sébille, Morel, et Zonabend, 1998).
La construction de sens, selon la religion, permet de faciliter le parcours de deuil, par les croyances et les rites funéraires (Rachedi, Leduc, et Montgomery, 2010). Une corrélation négative entre la dépression et l’attribution par les mères de la mort de leur bébé à la volonté de Dieu a été retrouvée dans certaines populations (Whitaker, Kavanaugh, et Klima, 2010). Le sens donné à la perte d’un fœtus et les rituels de prise en charge selon les religions diffèrent, mais le côtoiement des deux mondes, visible et invisible, est partagé par la majorité des croyances. Quelque soit la religion, les enfants morts sont souvent assimilés à de puissants intercesseurs entre les vivants et Dieu. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, la mort est rarement perçue comme naturelle. Elle est plutôt jugée suspecte, en lien avec une faute rituelle (souillure, sacrilège) ou une agression imaginaire (sorcellerie), (Le Grand-Sébille, Morel, et Zonabend, 1998). Il sera question de possession, d’enfant attaqué en sorcellerie, d’enfant transformé, de transgression d’un tabou par un aïeul…. Le fœtus fait partie du monde de l’Au-delà d’où il est sensé venir : le monde supra-humain et supranaturel des ancêtres et des génies. Ces ancêtres ou génies font retour à travers lui, il est un messager entre les univers. Comme nous le dit Moro, l’enfant est donc intimement lié à l’ancêtre et se pense d’abord dans une appartenance verticale (ancêtres), et non horizontale (couple), ce qui modifie la nature des liens parents-enfants (Moro, Neuman, et Réal, 2008). Douville note que les rationalités traditionnelles se centrent sur la façon dont une famille accueille son enfant, dont un lien social accueille et les enfants et les parents (Douville, 2010). De plus, la famille se doit d’imaginer et de figurer la façon dont le nouveau-né accueille et adopte le Monde. Ce croisement entre deux actes d’adoption, figurés par les rituels, peut ne pas s’effectuer, l’enfant refusant sa mise au Monde, par exemple, ou, autre exemple, le Monde incapable de le protéger contre des sorts.
Le modèle de l’insight
Le modèle de l’insight, ou « théorie de l’instinct », décrit la réactivation de conflits antérieurs pendant la grossesse. La femme traverse toute une série de transformations corporelles, hormonales et psychiques, aboutissant à une perte des repères identitaires. M. Bydlowski a introduit le terme de « transparence psychique » pour décrire cet état de fragilité de la future mère, livrée à la résurgence de conflits infantiles et d’angoisses refoulées, soudainement revenus à la surface (Bydlowski 1991). Lorsque grossesse et migration se croisent, la femme enceinte isolée, ayant perdu l’étayage de son groupe, peut dans le cadre de la transparence psychique de la grossesse (Bydlowski, 1991) voir resurgir en elle des souvenirs culturels, des éléments mythiques et fantasmatiques qu’elle croyait avoir oublié.
C’est ce que Moro appelle la « transparence culturelle » (Moro, 2004), en résonance avec « la transparence psychique » de Bydlowski. La femme a accès à des éléments de son histoire sous une forme codée par sa culture, éléments qui ont souvent à faire avec son appartenance, sa filiation, mais aussi son enfance. Étant donc envahie de souvenirs en lien avec ses origines, la future mère se trouve plus sensible aux éléments culturels qu’elle pouvait avoir refoulés, et donc plus ouverte à l’élaboration autour de son histoire. Il peut arriver aussi, dans le processus de migration, que les choses soient moins simples et que certaines représentations culturelles soient restées figées dans une forme antérieure à la migration, dans une sorte de sidération psychique. Ainsi, alors que les représentations évoluent dans la culture traditionnelle et dans le pays d’accueil, la future mère, elle, se retrouve isolée dans des représentations faisant partie du passé, et fragilisée par son incapacité à décoder et à interagir avec le monde autour d’elle. Cet isolement s’amplifie d’autant plus que la maternité est vécue ici de manière très individuelle, comme quelque chose de très personnel, faisant partie de l’intime. La solitude pour les futures mères migrantes peut être perçue comme une contrainte, et vécue de manière traumatisante, puisqu’elle ne fait pas partie de leurs modes culturels et habituels.
Le modèle du narcissisme
La grossesse est l’expérience d’une rencontre intime avec soi même pour la future mère, qui dans cet état de transparence psychique est centrée sur elle-même, révélant la dimension narcissique de cette période. Ainsi, la femme enceinte se désintéresse-t-elle de ses investissements habituels pour se centrer sur elle-même et son état, ses rêveries à propos de l’enfant à venir, son monde interne. Lors d’une perte prénatale, le modèle du narcissisme souligne l’intensité de la blessure et de la rage narcissique qui suivent souvent la perte de l’enfant en période périnatale. Il peut être utile dans la compréhension de la façon dont les parents peuvent se déprécier sur le plan de l’estime de soi dans un contexte de migration, de perte de repères identitaires et d’isolement. Cette conceptualisation permet une prise en compte assez complète des deux problématiques extrêmement riches et complexes que sont le deuil prénatal et la migration.
Perspectives pour les équipes de maternité et de psychiatrie périnatale
Diversité culturelle des expressions de deuil périnatal
D’un point de vue clinique, l’évaluation nécessite de prendre en compte la diversité culturelle des expressions du deuil. Alors que les études anthropologiques et sociologiques décrivent l’expression de deuil en public comme socialement construite, la préoccupation présente est d’essayer d’obtenir des facteurs liés aux émotions intimes des endeuillées qui ne peuvent être comprises lorsqu’elles sont isolées de leurs influences culturelles. Il est difficile d’évaluer le deuil dans des cultures où la contrainte sociale empêche son expression extérieure, ou de juger de la sincérité et de l’intensité des sentiments quand les gens sont socialement contraints à pleurer. Rosenblatt recommande de mettre les termes que l’on utilise dans notre propre culture entre-guillemets lorsque l’on se réfère à la souffrance de personnes d’autres cultures (Rosenblatt, 2008). Les termes décrivant des émotions, tels que « chagrin », « dépression », « anxiété », sont douteux dès lors qu’ils font partie de moyens occidentaux de catégoriser et de comprendre les états émotionnels et somatiques. Il pointe différentes réactions de deuil, du calme accentué à Bali, au deuil extrême en Égypte, et à la colère et l’agressivité chez les papous de Nouvelle-Guinée. Citant Kleinman, Rosenblatt note que le deuil dans les pays occidentaux est psychologisé alors que dans de nombreuses cultures comme la Chine, il est somatisé. De nombreux symptômes clés dans la psychiatrie occidentale se réfèrent à des modèles conceptuels influencés par les traditions philosophiques occidentales (Krause, 1989). Ces symptômes peuvent être absents voir même absurdes ou encore avoir une signification complètement différente dans une culture influencée par d’autres traditions philosophiques. Outre ces textes datant de presque plus de dix ans maintenant, il n’existe qu’une faible quantité de données dans la littérature documentant l’expérience de deuil périnatal des familles faisant partie des minorités ethniques. Étant donné le peu d’étude dans ce domaine, les praticiens sont contraints de se reposer sur leur expertise professionnelle et leurs visions personnelles pour guider leur approche de l’intervention.
Ainsi, un article de Martin reprend les différents modes d’expression du deuil périnatal selon les cultures (Martin, 2009). Le deuil serait très expressif chez les mères hispaniques/latines, pouvant présenter des « crises de nerf » avec tremblement et convulsions, et chez les mères haïtiennes pouvant « perdre l’esprit » et se mettre à hurler, se tenir l’estomac, sauter, voir même courir. A l’inverse, les familles Amish privilégieraient la confidentialité, ne parlant que très peu de leur perte en public. A la Barbade où il est inculqué de rester fort dans l’adversité, les mères préfèreraient garder le contrôle (Schaeffer, 2007). Chez les mères taïwanaises, parler de la mort et exprimer son chagrin font partie des tabous culturels (Hsu et al., 2004). Ces travaux soulignent l’importance de replacer les symptômes cliniques dans leur contexte socio-culturel lors de nos rencontres avec les familles endeuillées.
Rituels de deuil
En ce qui concerne donc les rites funéraires, ce qui est « normal » varie (Martin, 2009). Étant donné que le processus migratoire et la question générationnelle modifie le rapport à la religion et aux croyances, les connaissances sur les pratiques culturelles ou religieuses dans un pays donné s’avèrent largement insuffisantes pour comprendre les pratiques des personnes immigrantes dans la société d’accueil (Rachedi, Leduc, et Montgomery, 2010). D’autant plus que chacun a sa propre histoire et un rapport différent aux pratiques culturelles ou religieuses dites traditionnelles. Dans nos sociétés métissées actuelles, il ressort que les transformations autours des rituels aboutissent à un caractère bricolé et coconstruit du rituel. Outre le bricolage religieux, un second élément intéressant est la tendance à personnaliser les rites funéraires. Il s’agit alors d’une transformation des rites religieux qui laissent la place aux souhaits personnels de la famille.
Pratiques rituelles actuelles intégrées dans le système de soin occidental
Les travaux des deux dernières décennies sur le deuil prénatal précisent que l’absence de preuves d’existence de l’enfant décédé risque d’interrompre le travail de deuil de ses parents au stade du déni et d’aggraver les troubles psychiatriques (psychose, dépression du post-partum) observés chez les femmes ayant vécu un deuil périnatal (Dumoulin et Valat, 2001). Il existe maintenant des « protocoles » de bonnes pratiques autour du deuil prénatal dans la plupart des maternités, où il est recommandé d’encourager les parents à voir et porter leur fœtus. Ces pratiques rituelles, intimement liées à la culture, ont été étudiées dans plusieurs études, sans qu’aucune ne détaille spécifiquement l’intrication culturelle (Sloan, Kirsh, et Mowbray, 2008), (Hughes et al., 2002). Il est tout de même souligné le risque pour les professionnels de santé d’agir en raison de leur propre croyance, ou des croyances et pratiques particulières de l’institution.
Pratiques d’autopsie
Deux études récentes se sont intéressées aux réactions des parents à la proposition d’une autopsie périnatale et ses conséquences (Breeze et al., 2012), (Rankin, Wright, et Lind, 2002). Les populations étudiées sont très majoritairement d’origines européennes et diplômées au minimum d’un premier cycle universitaire, ou se rendant dans un centre tertiaire en Angleterre, bénéficiant d’un service de consultation spécialisé dans le deuil périnatal. Les résultats sont semblables quant à la moindre importance des barrières culturelles et religieuses dans la prise de décision. Le besoin de comprendre des parents éclipse les éventuelles barrières lors de la décision de faire une autopsie. Ils souhaitent connaître la cause de leur perte, notamment en vue d’une prochaine grossesse. Pour les quelques familles ayant refusé l’autopsie, les raisons culturelles et religieuses étaient les moins importantes.
Soins existants, réseaux de soutien et importance de la relation soignants/parents dans le monde
Beaucoup de formes d’accompagnement sont décrites dans la littérature, comme des appels téléphoniques, des visites à domicile, des conseils de lectures, des groupes de soutien, des groupes de paroles…
Plusieurs études s’intéressent aux groupes de paroles de parents endeuillés et montrent un bénéfice pour les parents qui y participent (Côté-Arsenault, Bidlack, et Humm, 2001) (DiMarco, Menke, et McNamara, 2001). Cependant, ces groupes peuvent ne pas refléter les perspectives de différents groupes raciaux/ethniques, les taux de fréquentation étant plus élevés pour les familles blanches de classe moyenne. Dans les populations afro-américaines, les parents endeuillés acceptent de s’exprimer autour de leur perte, mais ils ne semblent pas à l’aise avec l’idée de participer à un groupe de soutien (Schaeffer, 2007). La visite à domicile par un soignant, proposée par le système de soins américain, serait généralement accueillie positivement. Parmi les mères afroaméricaines, celles ayant un large support familial n’acceptent, parmi les accompagnements proposés, que les appels téléphoniques et la littérature portant sur le deuil.
Pour les populations migrantes fréquemment plus isolées, l’outil Internet semble avoir un intérêt majeur. Des groupes de soutien en ligne se sont développés ces dernières années, mais il semblerait que les populations qui pourraient tirer le plus de bénéfices d’un soutien en ligne ne soient pas celles qui l’utilisent (Capitulo, 2004). Les femmes issues de minorités ethniques seraient nettement sous-représentées sur ces forums, malgré le fait qu’elles soient à plus haut risque de fausse couche (dans l’étude de Gold et al. : 2% des individus était afro-américains contre 92% d’individus de race blanche et 2% d’individus asiatiques) (Gold et al., 2012). Les expériences de deuil périnatal seraient comparables entre les femmes de race blanche et les femmes afro-américaines, notamment en termes de besoins similaires et de lacunes dans le soutien social (Kavanaugh et Hershberger, 2005). Ces résultats questionnent les auteurs à propos des variations du type de soutien privilégié d’une culture à l’autre, et sur le sentiment d’inconfort que peuvent ressentir les membres des populations étudiées quant à leur participation à des forums où ils ne sont que très peu représentés en terme de culture.
Dans les populations immigrantes au Québec, les réseaux transnationaux sont une aide non négligeable (Rachedi, Leduc, et Montgomery, 2010). Le « transnationalisme » est une notion qui a été dégagée au début des années 1990 par des anthropologues (Glick-Schiller, Basch et Blanc-Szanton), définie comme le processus selon lequel les migrants construisent des champs sociaux qui lient leurs pays d’origine avec leur pays d’accueil. Le réseau transnational est décrit comme « un bassin extensible de personnes clés qui peuvent, selon les rencontres, les périodes et les lieux, devenir des tuteurs de résilience. » (Vatz-Laaroussi 2009). Les fonctions d’entraide et de protection intergénérationnelle au sein des réseaux transnationaux ont été soulignées. Certains chercheurs démontrent la façon dont les familles immigrantes bricolent entre réseaux transnationaux et locaux afin de gérer les événements de maladie et décès (Montgomery, Gall, et Stoetzel, 2010).
Encadrement et formation des équipes de soins
Les équipes soignantes sont tiraillées et prises au piège entre la nécessité pour elles d’être suffisamment attentives, ouvertes à l’autre et à ses représentations, contenantes, mais dans un même temps de se protéger des traumatismes qui les assaillent en continu. Tous les auteurs se rejoignent pour dire que la formation et l’encadrement de ces soignants est d’une importance capitale dans le cadre du deuil périnatal et dans le cadre d’un accompagnement transculturel. La littérature traite de manière abondante des conditions et qualités requises pour développer des « compétences interculturelles » (Rachedi, Leduc, et Montgomery, 2010). Les unités de soins confrontées à la mort périnatale ont de nombreuses possibilités qui s’offrent à elles pour développer ces connaissances. De brèves synthèses, tels que des articles récents au sujet de croyances culturelles courantes, ou des lectures plus approfondies, que les équipes de soins pourraient lire et utiliser dans leurs pratiques peuvent être proposées (Parkes, Laungani, et Young, 1997) (Irish, Lundqvist, et Nelsen, 1993). Il existe des programmes de formation transculturelle destinés aux infirmiers et aux personnels intéressés, tel que celui développé par Martin aux USA (Martin, 2009). Ces programmes procurent une éducation culturelle basique et des méthodes pour incorporer les compétences culturelles dans les pratiques quotidiennes liées au deuil périnatal. Un guide d’intervention auprès des familles d’immigration récente a été publié par le gouvernement du Québec (Gouvernement du Québec, 2007). D’autres auteurs recommandent que les acteurs de soins s’efforcent de comprendre la signification personnelle de la perte pour les parents et les accompagnent en évaluant si leur expérience est cohérente avec les soins standard existants (Hutti, 2005). Une bonne connaissance des croyances de chacun ne doit pas empêcher de faire la demande explicite, de manière individuelle et personnalisée, des souhaits personnels à propos des pratiques actuelles et de leur signification (« souvenirs de l’enfant », photographies, empreintes…) (Martin, 2009) (Davies, 2004). Devant l’acculturation de certaines familles aux USA, il est assez fréquent qu’elles introduisent certains changements qui puissent être acceptables dans leurs propres cultures. Les souvenirs et les restrictions liées à la culture de la famille peuvent s’appliquer de manière extrêmement générale, mais tous les auteurs insistent sur le fait que « la mort, le deuil et la douleur sont des expériences très personnelles » (Clements et al., 2003).
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