Le bilan psychologique des enfants avec autisme
Dossier

Le bilan psychologique des enfants avec autisme

Vieillir, entre espoir de vivre longtemps et crainte des atteintes de l’âge. Vieillir et son cortège de représentations négatives : dépendance, maison de retraite, maladie d’Alzheimer. Vieillir et son coût pour le sujet, pour la famille, pour la société… Chaque sujet singulièrement et chaque société appréhendent la vieillesse, même si le plus souvent celle-ci reste bien difficile à définir, chaque proposition de définition appelant un démenti, un contre-exemple… Le mot « appréhender » a en français deux sens que l’on peut entendre dans la logique des sens opposés des mots primitifs (S. Freud) : « prendre, saisir » d’une part, « redouter » de l’autre. Sans doute craint-on d’autant plus la vieillesse (dans ses dimensions vécues comme négatives naturellement) qu’il est bien difficile de s’en saisir et, cela va avec, de la maîtriser. On appréhende (craint) ce que l’on ne peut pas appréhender (saisir). Dès lors chaque sujet, selon son histoire singulière et selon les représentations sociales en cours, et chaque société, se dotent de moyens pour appréhender le vieillissement dans le sens d’instaurer une (illusion de) maîtrise sur ce vieillissement. Ainsi a émergé l’idée de prévenir, là encore dans le double sens d’avertir et d’empêcher : prévenir les sujets de ce qui les attend s’ils ne font pas ce qui leur est prescrit afin que justement ils l’évitent en agissant. L’opération est à leur bénéfice (ils vieilliront heureux) et à celui de la société (ils ne lui coûteront pas et même pourront continuer à dépenser). Ainsi naquit le modèle du « bien vieillir », au singulier, car il semblerait bien qu’il n’y ait qu’une manière de bien vieillir, du moins vue de loin. Car, vue de près, c’est-à-dire à partir de la pratique gérontologique, on se rend vite compte que la question ne se pose pas forcément ainsi pour chaque sujet.

Une anecdote : à l’occasion d’un colloque sur le vieillissement, une chef de produit d’un laboratoire pharmaceutique en cosmétique me proposa une discussion. Elle voulait savoir (je pratiquais en gérontopsychiatrie) quelles étaient les attentes de mes patientes quant aux produits cosmétiques. Je fus incapable de lui répondre, sinon que cela leur semblait si peu essentiel que jamais elles ne m’en parlaient ! Elles étaient plutôt préoccupées par leur dépendance ou celle de leur conjoint, les pertes d’objets d’amour, leur situation financière, le retour de blessures anciennes que leur présent réactivait… Pourtant l’angoisse quant à son propre vieillissement existe et chacun se construit un idéal du bien vieillir nourri à plusieurs sources, ce dont je parlerai d’abord, idéal qui fait ressortir, dans la lignée des travaux précurseurs de Claude Balier, la place centrale du narcissisme dans les problématiques du vieillissement. Les contenus de cet idéal seront explorés dans une deuxième partie, avant que ceux développés par quelques psychanalystes ne soient à leur tour questionnés.

Aux sources des modèles du bien vieillir

Le vieillissement est, pour chaque sujet, l’objet de mise en représentations qui se construisent en appui sur différentes sources. Cette mise en représentation participe à l’idéal du moi qui n’est pas une instance close mais au contraire dynamique, évolutive. Cette instance, en tant qu’elle ouvre sur le futur, sur le non advenu du sujet, joue un rôle important dans la dynamique du « Je », définie par Piera Castoriadis-Aulagnier (1975). Cet idéal est biface : projet du Je et défense par rapport aux angoisses de pertes et de mort (castration, abandon, néantisation). On trouve dans l’idéal du moi de l’enfant des éléments qui concernent la vieillesse, mais ces éléments sont remaniés (quand ils ne sont pas niés) tout au long de la vie. De plus cet idéal est alimenté par de nouveaux éléments qui viennent en modifier la dynamique et parfois l’orientation.

L’idéal du moi est héritier, dans la lignée du narcissisme infantile, des « rêves de désir irréalisés des parents » (S. Freud, 1914) qui ne concernent guère la vieillesse sinon quant au désir de survivre dans ses enfants, dans les enfants de ses enfants… ce qui revient à dire que la grand-, puis l’arrière-grand-parentalité participent souvent à cet idéal du moi tardif.

Si cet idéal s’étaye sur le psychisme des parents, il s’étaye aussi, en propre et via l’idéal parental, sur les représentations sociales, ainsi que S. Freud (1927) l’a proposé, ainsi que René Kaës l’a affiné (1989). Depuis la fin du XXème siècle, les médias de masse sont des véhicules extrêmement efficaces des représentations sociales (Serge Moscovici).

Ainsi le bien vieillir se construit-il à partir des représentations sociales, et ce, d’autant plus que celles-ci bénéficient de supports importants (publicités, magazines, émissions de télévision, articles plus ou moins scientifiques…) et d’appuis multiples, tant du côté des industries (cosmétiques, alimentation, sport, voyage…) que du côté des pouvoirs publics veillant au bien être, au vieillir en bonne santé de la population. Ceci conduit non seulement à responsabiliser le sujet mais surtout à le culpabiliser s’il ne prend pas soin de lui selon les normes imposées. Comme le soulignent Michel Billé et Didier Martz (2010), on passe alors de l’injonction à la tyrannie du bien vieillir, à une emprise des normes sociales sur le corps et sur les modes de vie.

Mais l’idéal du vieillir pour chaque sujet ne se construit pas seulement à partir de ces discours sociaux, aussi prégnants et culpabilisants soient-ils. Il se construit aussi par intégration des événements de vie et la manière dont ils ont mis à l’épreuve l’idéal du moi antérieur, dans la logique des différents moments de bilan de vie. Il convient d’ajouter à ceci les identifications de l’âge adulte et de la vieillesse, le processus identificatoire demeurant actif tout au long de la vie (Jean Guillaumin, 1988). Ce processus permet au moi de réajuster ses idéaux en passant par une prise en compte (partielle) de la réalité du vieillissement pour lui. L’investissement qui sous-tend ces identifications repose d’abord sur la qualité du lien à l’objet, mais aussi (pour partie) sur la manière dont cet objet répond (ou non) à la dimension normative des représentations sociales.

Les contenus du bien vieillir

Sur le fond, le bien vieillir est en fait un « ne pas vieillir ». La consigne sociale (plus ou moins internalisée, appropriée) pourrait être : « Cachez ce vieillissement que je ne saurais voir ». Le refoulé est alors non seulement le sexuel, dès lors qu’il est associé au vieillissement, mais aussi ce qui a partie liée avec la mort. Aussi les contenus s’organisent-ils autour de deux axes, le second venant au point de défaillance du premier : bien vieillir serait ne pas vieillir ou, à défaut, et pour le moins, ne laisser paraître aucun signe de ce vieillissement.

Le bien vieillir concerne tous les aspects de la vie, cependant il vise tout particulièrement le corps, qu’il s’agisse du corps vu (apparence) ou du corps fonctionnel, et le cognitif. Dans tous les cas il s’agit de « gérer », maître mot de notre époque ainsi que le soulignent M. Billé et D. Martz : gérer son corps par du sport, des crèmes, gérer son cognitif par des exercices, de la « gym cerveau », gérer son social par des engagements associatifs, des voyages… sans parler, bien entendu, de gérer son patrimoine (quand patrimoine il y a !!!). En effet, tout ceci est très articulé à des enjeux économiques, qu’il s’agisse de vendre des crèmes, des lotions (des traitements « anti-âge » !!!)1, des opérations de chirurgie esthétique, du Viagra, des activités, des abonnements dans des clubs de gymnastique, pardon, de fitness, des voyages, des cures de thalassothérapie, de la nourriture bio allégée et/ou enrichie (Billé et Martz, ibid.)… Pour autant ce « gérer » demeure une illusion du moi de pouvoir tout maîtriser, à commencer par ce corps qui se transforme et qui, au fond, ne fait que cela tout au long de la vie, sans que le sujet ait jamais grand pouvoir à cet égard. Le « bien vieillir » fait son lit du négatif qu’il a en même temps pour fonction d’occulter, voire de nier dans un pacte sur le négatif tardif (Kaës, 1989). Ce négatif multistrate est composé des restes insymbolisés de l’enfance, de l’adolescence, de l’âge adulte et enfin de la vieillesse. Il est fait de ce qui est demeuré traumatique, de ce qui témoigne de la haine (en soi et dans les objets), du travail de la mort (en soi et dans les objets) tels qu’ils sont entre autres perceptibles dans les destins du corps…

Ce « bien vieillir », comme formation réactionnelle au négatif inhérent à toute vie (Kaës), laisserait donc le sujet supposer qu’il s’agit pour lui de bien vieillir dans la continuité d’une vie qu’il aurait bien vécue ou, pour le moins, d’une sorte de rattrapage (avec une dimension de réparation) : si la vie adulte a été mal vécue (qu’est-ce que cela voudrait dire ? Au regard de quelles valeurs ? Idéal du moi ? Normes sociales ?), la vieillesse donnerait une chance d’enfin bien vivre. Pour reprendre Pierre Desproges, il ne s’agirait pas de « vivre heureux en attendant la mort » mais de bien vivre (il n’est ici pas question de bonheur, d’affect) en niant la mort ! La défense maniaque y est donc convoquée par laquelle le sujet se tient dans le faire plutôt que dans l’être (D.W. Winnicott, 1971).

Théories psychanalytiques et bien vieillir

Si la psychanalyse a pour méthodologie fondamentale l’après-coup, ce qui la protège (en principe) de devenir normative et/ou prescriptive, il n’en demeure pas moins qu’une lecture un peu attentive de quelques travaux psychanalytiques récents montre qu’à côté du travail clinique avec les âgés, les auteurs tendent à indiquer eux aussi ce qu’est pour eux le bien vieillir, c’est-à-dire, in fine, leur modèle idéal (du moi) du vieillissement qui passe le plus souvent par la création d’un contre-modèle (celui du mal vieillir). Ceci est d’autant plus vrai que les auteurs ne sont pas encore vieux eux-mêmes. Ainsi Marion Péruchon et Gérard Le Gouès tendent-ils à idéaliser la sublimation et la mentalisation qu’ils opposent aux destins démentiels, tandis que Henri Bianchi fait l’éloge d’un deuil de soi qui, sur un modèle quasi bouddhiste, semble faire du renoncement la voie de la vieillesse réussie et en quelque sorte a-pulsionnelle. Jean Bergeret va dans le même sens en proposant la crise de sénescence comme une crise d’adolescence à l’envers : la vieillesse serait-elle pour lui une nouvelle latence ? A l’opposé, Roger Dadoun insiste sur « le feu sous la cendre » sous-titre de son ouvrage, avec Gérard Ponthieu Vieillir et jouir. Un travail approfondi sur les psychanalystes (et leurs travaux) qui ont théorisé la vieillesse, au risque d’un modèle normatif implicite, permettrait de repérer le négatif qu’il s’agit pour chacun, de mettre de côté…, que ce négatif soit du côté de la perte de la pensée, de la disparition de la pulsion ou au contraire de l’impératif pulsionnel tardif. En somme le vieillissement, entre angoisse de mal vieillir et espoir de bien vieillir (quand bien même ils ne donnent pas lieu à une représentation consciente, explicite), n’en a pas fini de solliciter le clinicien, lui-même nécessairement aux prises avec cette question tant en ce qui concerne ses objets parentaux qu’en ce qui le concerne lui-même. Aussi se plait-il à penser que l’activité intellectuelle serait un gage de bien vieillir !

Note

  1. J’imagine facilement qu’un jour, comme on est passé de « neuroleptique » à « anti-psychotique », on passera de « anti-âge » à « anti-vieux » ; ces dénominations ont pour elles leur franchise puisqu’elles ne s’embarrassent plus de périphrases ou de déplacements sémantiques !

Bibliographie

Balier C., (1976), « Eléments pour une théorie narcissique du vieillissement », Cahiers de gérontologie, Décembre 1976, 128-153. (1979), Pour une théorie narcissique du vieillissement, L’information psychiatrique vol 55, N°6, 635-645.

Bergeret J., (1982). « La deuxième crise d’adolescence », in Guillaumin J., Reboul H., Le temps et la vie, Lyon, Ed. Chroniques sociale, 71-78.

Bianchi H., (1980), Travail du vieillir et « travail du trépas », Psychanalyse à l’Université, T5, n°20, septembre 1980, 613-619. Bianchi H., (1987). Le moi et le temps, Paris, Dunod.

Billé M., Martz D., (2010), La tyrannie du « bien vieillir », Lormont, Ed. Le bord de l’eau.

Castoriadis-Aulagnier P., (1975), La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF.

Dadoun R., Ponthieu G., (1999), Vieillir et jouir. Feux sous la cendre, Paris, Phébus.

Desproges P., (1983), Vivons heureux en attendant la mort, Paris, Ed. du Seuil.

Freud S., (1910), « Sur le sens opposé des mots originaires », in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, (1985), 47-60,

Freud S., (1914). « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Puf, (1977), 81-105,

Freud S., (1927), L’avenir d’une illusion, Œuvres complètes, PUF, (1994), XVIII, 141-197

Guillaumin J., (1988). « Le devenir des identifications et des objets internes au cours de la vie », Etudes psychothérapiques. 19ème année, 1, mars 1988, 9-22.

Kaës R., (1989), « Le pacte dénégatif dans les ensembles transsubjectifs », in Missenard A., Le négatif, figures et modalités, Paris, Dunod, 101-136.

Kaës R., (1989), « Psychanalyse et représentations sociales », Jodelet D., Les représentations sociales, Paris, Puf, 87-114.

Le Gouès G., (2000), L’âge et le principe de plaisir, Dunod.

Péruchon M., (1994), Le déclin de la vie psychique, Paris, Dunod,

Péruchon M., (2005), « Les compétences somato-psychiques au cours du vieillissement et de la vieillesse », In Talpin J-M. Cinq paradigmes cliniques du vieillissement, Dunod, (23-46).

Talpin J-M., (2005), Cinq paradigmes cliniques du vieillissement, Paris, Dunod,

Talpin J-M., (2013), Psychologie du vieillissement normal et pathologique, Paris, Armand Colin

Winnicott D. W., (1971), « La créativité et ses origines », in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, (1975), 127-161

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Autisme : état des lieux et horizons