« Tu vas être père »
Dans un provocant récit de quelques pages signé d’« Un certain Plume », alias Henri Michaux, intitulé Tu vas être père 1, un homme qui va l’être accepte plutôt mal cette idée ; père, il le devient pourtant, jusqu’au jour où l’enfant, à 3 ans, pour sa première grande promenade dans le monde, s’approche trop près de la fosse de l’ours. Issue fatale : « Peut-être me serais-je fait un jour à l’idée d’être père », ainsi se termine le texte publié en 1943. Sous l’événement autobiographique – la femme du poète est enceinte, à un mauvais moment : c’est la guerre au-dehors et dans le couple –, apparaissent, avec l’ironie du conte cruel, haine et fantaisie meurtrière à l’égard de l’enfant. Dans la réalité, une fausse couche résoudra l’épreuve, que le texte exorcise avec ruse, selon une méthode chère à Michaux.
Quatre ans plus tard, Winnicott confirmera l’intuition de l’artiste : « La sentimentalité est inutile chez les parents, car elle nie la haine et la sentimentalité chez une mère ne vaut rien du point de vue du petit enfant2. » Pas de sentimentalité non plus chez le père – passé à la trappe d’une ligne à l’autre de Winnicott, on l’aura remarqué : pas de différence, un parent suffisamment bon est un parent à la haine bien tempérée, autrement dit une mère non sentimentale.
Pas de différence, ou plutôt si : « Elle, elle doit l’aimer lui, ses excréments et tout, au moins au début, jusqu’à ce qu’il (l’enfant) ait des doutes sur lui-même », écrit Winnicott3. Et lui, le père, écrit Michaux, que je ne résiste pas à citer un peu longuement, il « fait docilement le dada (pour un enfant son père sera toujours infiniment moins intéressant qu’un cheval), mais pas trop souvent…