L’accès aux soins institutionnels des enfants autistes : l’approche épidémiologique d’une situation pénurique
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L’accès aux soins institutionnels des enfants autistes : l’approche épidémiologique d’une situation pénurique

L’accueil institutionnel des enfants ou adolescents porteurs de troubles autistiques ou apparentés peut être envisagé de deux points de vue différents, qualitatif ou quantitatif.

Sur le mode qualitatif, on pourra s’interroger sur le fait de savoir quelle est la meilleure solution à proposer pour accueillir de tels enfants. Les choix seront alors fonction d’une conception scientifique de référence voire d’une certitude idéologique. C’est ainsi, en particulier, qu’un vaste débat s’est ouvert pour savoir si l’autisme devait être considéré comme un trouble relevant d’un soin ou comme un handicap relevant d’une éducation spéciale. Des positions très tranchées, des oppositions déterminées ont modelé un paysage institutionnel différent d’un endroit à l’autre. C’est ainsi que sont apparus des établissements sanitaires ou médico-sociaux dont l’implantation relevaient des convictions de leurs promoteurs beaucoup plus que d’une planification, qu’elle fut départementale ou régionale. Il en est résulté une situation dans laquelle les enfants se trouvaient orientés vers telle ou telle structure beaucoup plus en fonction d’opportunité géographique ou relationnelle que d’un réel choix quant aux modalités de prise en charge.

C’est alors qu’est apparu le critère quantitatif : il ne s’agissait plus de trouver la meilleure solution d’accueil institutionnel mais celle qui était disponible.

Sur un mode quantitatif en effet, ce à quoi nous avons assisté durant ces dernières décennies, c’est une raréfaction des capacités d’accueil par rapport à une demande qui paraissait en expansion. Il y avait certes des évolutions satisfaisantes : la mise en place des secteurs, le développement des solutions alternatives, ambulatoires ou séquentielles, le partenariat avec l’Education Nationale ont été autant de moyens diversifiés mis à la disposition du soin. Mais cela s’est fait au prix d’un redéploiement et d’une réorganisation des structures à l’enseigne d’une désinstitutionalisation qui n’était pas sans conséquences sur les capacités d’accueil.

Ainsi, à titre d’exemple, en Île de France, en psychiatrie infantile, le nombre des lits d’hospitalisation à temps complet est passé de 686 en 1987 à 459 en 1992 soit une diminution de 33% en 5 ans. Parallèlement, dans la même région Île de France, le premier hôpital de jour (d’initiative privée associative) a été ouvert au début des années 60, en 20 ans 1.800 places ont été créées, mais cette dynamique a pris fin et les délais d’attente se sont considérablement allongés. En bref, l’orientation d’un enfant vers une structure institutionnelle s’est progressivement muée en une “ chasse à la place ” éprouvante pour les professionnels et encore plus pour les familles.

Il était nécessaire d’avoir une approche objective de cette situation, d’autant plus que les perspectives de restrictions budgétaires n’allaient pas dans le sens d’une amélioration de la situation. Les enquêtes épidémiologiques antérieures étaient essentiellement constituées de coupes transversales à un jour donné qui faisaient apparaître les taux d’occupation mais ne renseignaient pas sur les demandes d’admission.

Dans le cadre du C.C.O.M.S.- I.N.S.E.R.M., son directeur le Dr Nicole Quemada et moi-même avons proposé une méthodologie plus spécifique, visant à recenser durant une période de six mois les demandes d’admission arrivant dans les institutions et à faire apparaître le pourcentage de non-admission, les délais de réponse, ainsi que les motifs de non-admission. Cette proposition de procédure a été acceptée par le Ministère de la Santé et la D.R.A.S.S. d’Ile de France.

Trois enquêtes ont ainsi été menées dans la totalité de la région Île de France :

  • durant le premier semestre 1992, concernant les demandes d’hospitalisation à temps complet adressées aux quelques 17 services hospitaliers existants encore à l’époque ; étaient également comptabilisées durant la même période toutes les demandes “ d’accueil soignant temps plein ” émanant des 51 secteurs de Psychiatrie Infanto-Juvénile de la région, cette formulation permettant de prendre en compte certaines alternatives à l’hospitalisation avec hébergement,
  • durant le premier semestre 1994, concernant les demandes d’admission en hôpital de jour (publics et privés),
  • durant le premier semestre 1996, concernant les demandes d’admission en Institut Médico-Educatif, qu’il s’agisse d’externat ou d’internat.

Ces trois enquêtes ont donné lieu à la publication de rapports, encore disponibles qui, ont tous fait apparaître une inadéquation entre les demandes et les capacités d’accueil. Tous âges et pathologies confondus, sur une période de six mois, et sur une masse globale d’un peu plus de 8000 demandes d’admission, c’est :

  • une demande sur deux qui est refusée en hospitalisation temps complet,
  • deux sur trois dans les hôpitaux de jour,
  • six à sept sur dix dans les instituts médico-éducatifs.

Le motif prévalent de non-admission est le manque de place : 44% en hospitalisation temps complet, 32% en hôpital de jour et 31% en institut médico-éducatif.

Le repérage clinique étant fondé sur la C.F.T.M.E.A., il est possible de faire apparaître les données concernant plus spécifiquement l’autisme et les troubles apparentés : quand on pense « soin » pour un enfant autiste, c’est l’hypothèse de l’hôpital de jour qui est une des premières avancée. Effectivement, sur la coupe transversale effectuée une semaine donnée, recensant 1803 enfants présents, le diagnostic d’autisme représente 18% de la cohorte, à quoi il faut ajouter 10% de psychoses déficitaires, terminologie souvent employée pour désigner des pathologies lourdement handicapantes que d’autres rangeront sous le terme d’autisme d’évolution grave. Nous retrouvons à peu près les mêmes proportions dans les demandes d’admissions : en 6 mois, sur 1238 demandes d’admission en hôpital de jour, on recense 229 autistes (19%) et 119 psychoses déficitaires (10%). Mais on rappelle que globalement 2 sur 3 de ces demandes sont refusées faute de place adaptée.

On peut observer une différence significative dans la répartition des diagnostics selon que la demande d’admission reçoit une réponse positive ou négative. Les enfants autistes représentent 16% des sujets admis et 20% des non-admis ; les psychoses déficitaires constituent quant à elles 7% des enfants admis et 12% des non-admis. Si l’on considère l’hospitalisation à temps complet, on constate une prévalence importante de diagnostics de psychose infantile, puisque dans la population présente à un jour donnée ce diagnostic concerne 25% des hospitalisés de moins d’un an, et 60% des hospitalisés de plus d’un an. Mais les psychoses représentent 47% des demandes rejetées (146 sur 306) et il faut rappeler ici que le motif le plus souvent invoqué pour le refus est le manque de place (44%).

L’idée reçue selon laquelle le déficit en place du sanitaire était compensé par l’accès au médico-social est battu en brèche par ces enquêtes. Sur un total de 4892 demandes d’admission, les psychoses infantiles représentent 27% (780 sujets) en externat et 17% (349) en internat. Globalement, les réponses négatives concernent 70% des demandes en internat et 62% des demandes en externat. Si l’on compare les populations admises et non-admises, les psychoses représentent 10% des admis contre 19% des non-admis en internat, et 18% des admis contre 29% des non-admis en externat.

Il apparaît bien que l’approche épidémio-logique confirme et quantifie l’impression des professionnels du terrain : dans le domaine de la psychiatrie infantile et de l’enfance inadaptée, le champ médico-social ne supplée pas au champ sanitaire ; l’un et l’autre, avec des moyens différemment répartis ont à faire face à la même problématique de pénurie. L’inadéquation des réponses aux demandes qui leur sont adressées, et les refus d’admission prioritairement par manque de places, pénalisent essentiellement les enfants présentant les pathologies et les handicaps les plus lourds. Les enfants autistes et leurs familles sont les premières victimes de cette situation.

C’est afin de mieux comprendre les difficultés ainsi dénoncées, et pour proposer les moyens d’une planification régionale que nous venons de lancer, en Île de France, dans la suite des enquêtes précédentes, une étude portant sur un suivi de cohorte d’enfants autistes, sur une période de 5 ans. Cette étude, autorisée par la CNIL, est soutenue par l’ARHIF, la DRASSIF et les associations de parents ; elle devrait permettre de mieux connaître la population d’enfants en quête de solution, et donc de mieux programmer les équipements destinés aux enfants autistes.

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